les Aventures potagères du Concombre masqué

Le Concombre masqué, ça vous dit quelque chose?? Comment ne pas se souvenir des «Aventures potagères» de cette cucurbitacée aux réflexions pataphysiques?! Si vous l'avez déjà croisé, vous vous en souviendriez!!

En effet, comment oublier ce gros cornichon vert, au gros nez, avec un foulard à la Zorro lui cachant la moitié de la... tête!? Comment ne pas se souvenir de son langage si personnel, où mots-valises, néologismes et expressions poétiques s'entremêlaient dans un délire constant? Comment ne pas rester marqué par l'absurdité de  ses «aventures» décalées où il ne se passait pratiquement rien, sinon des dialogues vaseux ou décapants??! 

Personnellement, je n'ai jamais trop accroché à cette série, même si je sais qu'elle est devenue carrément culte! Peut-être y ai-je été exposé trop tôt, à un âge où je n'arrivais pas à saisir le second (ou troisième, ou cinquième...) degré des choses! Et graphiquement, elle n'est jamais venue me chercher non plus, ni même par la suite... car ce Concombre et son faire-valoir, Chourave, ont connu une carrière qui dépasse largement les pages des premiers Pif gadget que je viens de survoler!!

Bien peu de gens savent qu'elle a débuté dans le journal Vaillant, à la fin mars de 1965!! Nikita Mandryka y dessine, à cette époque, les étranges aventures de Boff, un genre de reporter, qui décide, ce jour-là, d'explorer le Désert-de-la-Mort-Lente pour y découvrir un de ses plus étranges habitants : le Concombre masqué!! La semaine suivante, soit le 1^er avril 65 (non non, ce n'est pas un poisson!), le premier héros légumier (ou même végétal!!) de l'histoire du 9^e art faisait son apparition, et il s'installera dans ce journal, à raison d'une demi-planche par semaine, pendant plus de 160 numéros!! Avec cette grosse légume fortement inspirée par l'univers de Krazy Kat, de l'Américain Herriman, Mandryka venait d'introduire l'absurde dans la BD franco-belge... Lui qui voulait secouer les conventions et les interdits qui règlementaient à l'époque le monde de la presse pour la jeunesse, il l'a fait en signant initialement sous le pseudonyme de Kalkus, qu'il s'amusait souvent à transformer, au gré de sa fantaisie (Karl Kruss, Kalkucé, Kudsak, etc.)!

Ce n'est qu'à partir de 1969, dans le tout premier Pif gadget, que Mandryka s'est mis à utiliser son vrai nom pour signer la nouvelle mouture de sa série : une pleine page, couleur, cette fois! Malgré ce changement de format et la métamorphose du magazine, l'auteur poursuit quant à lui dans sa lancée, car après toutes ces années d'exploration jubilatoire, certains éléments ont pu se cristalliser.

Ainsi, ce personnage burlesque au vocabulaire si coloré («Bretzel liquide!») vit dans un genre de forteresse en forme de cactus qu'il appelle son cactus-blockhaus. Ce dernier est littéralement situé au bout du monde : on le sait, car il y a une pancarte qui nous l'annonce, et que la pancarte suivante, un peu plus loin, nous indique qu'il n'y a plus rien... sinon la bordure du monde, qui donne sur un néant multicolore!! Si, à l'origine, Concombre côtoyait des humains, il s'est peu à peu limité à des protagonistes végétaux : Mémé Concombre, Poireauteux  (son rival), mais plus généralement son meilleur pote, le naïf Chourave. C'est avec lui qu'il discute, philosophe, tergiverse, souvent dans un métalangage existentialiste débridé! Sinon, il vaque à des taches plus sérieuses, comme de mesurer son château, de pêcher les enzymes à l'aide de tampon-buvard, de jambuler dans les environs ou d'explorer une coquille d'escargot!

Mais après 160 présences dans Vaillant et 32 pleines pages dans les 32 premiers numéros de Pif gadget, voilà que le Concombre tire sa révérence!? Il se prépare d'ailleurs une belle mort, psychotronique à souhait, étalée sur 5 ou 6 semaines!! Puis, adios!! Divergence artistique? Litige? Ou simplement incapacité à rejoindre le public-cible (qui me semble bien différent des lecteurs de Pif!!)? Je ne saurais dire... mais son autre série, Ailleurs, qu'il présentait aussi chaque semaine dans Pif (capsule à venir!), s'est arrêtée à peu près au même moment!

Mais ne soyez pas trop triste : dans le 9^e art, les concombres parlants peuvent revenir à la vie!! ;^) Une courte recherche m'a appris que ce héros hors-norme a repris du collier dès 1971, dans le magazine Pilote (où Mandryka travaillait déjà sur d'autres petites séries). Un an plus tard, en 72, René Goscinny, alors rédacteur en chef, lui refuse une histoire, où le Concombre se prélassait en regardant pousser les roches de son jardin zen! C'est la goutte de trop! Elle pousse le créateur à quitter ce magazine et à fonder le sien, en compagnie de ses amis Gotlib et Bretécher : c'est l'Écho des savanes, destiné à un public adulte! Une nouvelle page de l'histoire de la BD franco-belge venait de débuter... et le Concombre a pu poursuivre sa lancée, dans des aventures plus longues, à teneur plus politique, plus sociale, plus intense : il tâtera même à la psychanalyse!!

Puis, éternel migrant, Mandryka quitte l'Écho (qu'il ne voulait plus diriger) et on retrouvera son gros cornichon de nouveau dans Pilote de 1979 à 82, puis dans Spirou de 89 à 93...

Au fil des ans, une quinzaine d'albums ont été édités, chez Futuropolis, Dargaud et Dupuis. Faits amusants : le personnage a participé, en 87, à une campagne de sensibilisation sur le sida, avec l'album Pas de sida pour Miss Poireau (sur un texte de Claude Moliterni), puis 34 auteurs ont célébré l'illustre héros en 1995, dans un album collectif intitulé Tronche de Concombre !

Pour ce qui est des Pif gadget, précisons que la volubile cucurbitacée y est revenue!! D'abord, en 1984, dans le numéro-anniversaire Spécial 500^e : une planche en souvenir du bon vieux temps! Et finalement, lorsque Pif a retenté sa chance, au début des années 2000... et bien le Concombre était de la partie, toujours aussi déjanté, toujours aussi mordant!! On a donc eu droit à une autre dizaine de gags.

En somme, ce phénomène potager a des gênes de pissenlits : il repousse éternellement!!

Titre : les Aventures potagères du Concombre masqué

Auteur : Nikita Mandryka (d'abord sous le pseudo de Kalkus)

Descriptif : Les délires absurdes, métaphysiques et souvent incompréhensibles d'un concombre pantouflard et son copain chourave... rien que ça!!?

Dessin : Très caricatural, relâché, éclaté... vraiment pas mon style!! Couleurs criardes.

Genre : Humour à la fois absurde et poétique, se voulant souvent critique, mais aussi souvent incompréhensible : il en fumait du bon, Mandryka?? Mais quel public visait-on???

# d'apparitions : plus de 160 présences dans Vaillant, puis une apparition dans chacun des 32 premiers Pif (donc 32 gags en une planche, couleur).

Époque des apparitions : du 28 mars 1965 (Vaillant #1037) au 29 septembre 1969 (Pif #132)... pour ce qui est de son époque Vaillant / Pif Gadget!

Des albums? : Une quinzaine, postérieurs à l'époque Pif...

Note personnelle : Scénario : 2/5           Dessin : 2/5               Total : 4/10

Importance relative de parution : 65,5

En couverture? : Le Concombre et Chourave ne se sont retrouvés en couverture qu'une seule fois (sur le Pif #21) pour y présenter le gadget : un petit parachutiste! ;^)

Clins d'œil et trucs divers :

*J'ai bien aimé le gag du #13, alors que Chourave veut porter un pantalon pour ne pas faire comme tous les autres héros indécents du journal, qui n'enfilent qu'un maillot quand vient le temps de se baigner mais qui, le reste du temps, déambulent dans leur plus simple appareil!! On y montre, pour appuyer cette vérité : Pif, Gai-Luron, Pifou et Brutos! De plus, avez-vous remarqué la ressemblance de style, tant graphique que scénaristique, avec le Sombre Vilain de Jacques Hurtubise, dans les premiers Croc ??!! ;^)