Mon 15e safari-dédicaces : Taymans, l'Unique!
Écrit le dimanche 14 juin 2015 par PG Luneau
Festival de la BD de Montréal 2015
(Première partie)
Le Festival de la BD de Montréal, qui avait lieu du 29 au 31 mai dernier, m'a laissé un petit peu dépité... En effet, puisque j'avais croisé la grande majorité des bédéistes locaux lors de celui de Québec, un mois et demi plus tôt, vous comprendrez que la majorité d'entre eux n'avaient pas grand-chose de neuf à me raconter sur l'évolution de leurs projets!! J'espérais donc me rabattre sur les auteurs étrangers... mais ils faisaient office de denrées rares : trois ou quatre, à peine, dont la Congolaise Elyon's, que je n'ai même jamais aperçue!! :^( Au final, il n'y en avait qu'un seul qui m'intéressait : André Taymans. Lui, je ne voulais pas le manquer!
Je connais ce bédéiste belge aux traits reconnaissables entre tous (sa ligne claire et épurée est une digne descendante de celle d'Hergé) pour plusieurs de ses séries, tant celles pour adultes (Caroline Baldwin et les Filles d'Aphrodite) que celles pour la jeunesse (le petit Bouchon, un cochonnet qui s'évade dans ses rêves - un hommage au Little Nemo de Windsor MacCay - ou la passionnante petite série des aventures de Charlotte). J'avais donc, dans ma collection, plus d'une vingtaine d'albums prêts à être dédicacés, et j'arrivais avec l'espoir fou que monsieur Taymans ne soit pas suffisamment connu de la communauté safariste québécoise et qu'il me soit disponible en exclusivité! ;^)
Mon souhait ne s'est réalisé qu'à moitié... En effet, six ou sept de mes confrères étaient présents devant la table de monsieur Taymans à chacune des trois séances auxquelles je me suis présenté, ce qui est bien peu, il faut l'avouer. Et, à force de discuter, j'ai réalisé que si ces collectionneurs y étaient, ce n'était pas nécessairement parce qu'ils connaissaient cet auteur... mais bien parce qu'il était quasiment le seul artiste européen présent au festival!!
Ces rencontres ont toutefois été vraiment très agréables, car très conviviales! Nous étions tellement toujours les mêmes habitués que, plutôt que la traditionnelle file, avec celui dont c'est le tour qui discute un peu avec l'auteur et les autres qui attendent sagement en ligne, derrière, on était tous assis ou debout autour de la table et on posait collectivement des questions à monsieur Taymans, qui s'est montré très généreux dans ses réponses. J'ai donc pu en apprendre beaucoup sur lui et son œuvre! Une rencontre coup de cœur parfaite, avec un artiste que j'aimais déjà beaucoup : quoi demander de plus!!
D'abord, la famille semble assez importante pour lui. En effet, au cours de toutes ces discussions, il nous a parlé de ses deux grands-pères!! Du côté de son père, il est descendant d'Andreas Taymans (d'où son propre prénom, bien sûr!), un Flamand qui a fait partie de la Résistance, lors de l'Occupation. Cet homme de conviction a été tellement outré par le fait que plusieurs de ses compatriotes flamands ont collaboré avec les Nazis qu'il a décidé, une fois la guerre terminée, de déménager sur la rive wallonne du lac au bord duquel il habitait (un lac en plein sur la frontière linguistique qui sépare la Belgique). À partir de ce jour-là, il a francisé son prénom et il s'est mis à ne parler QUE français : exit le flamand, cette langue de traîtres!! Ça a créé tout un choc dans sa famille, vous pensez bien!!
Du côté maternel, son grand-père Robert Beaujean («Beau comme beau, jean comme Jean» se plaisait-il apparemment à dire!) lui a servi de modèle pour le personnage de William, le père de Charlotte, dans la série éponyme qui raconte les mille aventures d'une jeune fille qui part vivre au Laos, dans les années 30. D'ailleurs, monsieur Taymans honore aussi sa famille maternelle en donnant à Charlotte et à son père le patronyme maternelle : Beaujean!! De plus, pour l'amusant personnage de Léon, un ami du père de Charlotte, Taymans a décidé de caricaturer un de ses arrières-grands-pères ;^D D'ailleurs, les photographies qui ornent la page de titre des tomes #4 et 5 de cette série sont de réelles photos de famille des Beaujean! Même si la légende y parle de William Beaujean et de Léon, pour donner corps et crédibilité aux personnages, il s'agit en fait de grand-papa et arrière-grand papa Beaujean, qui ont très fière allure sur ces belles photos d'époque, vous verrez! Parlant de Charlotte, l'illustrateur nous a appris que les cinq tomes (quel dommage qu'il n'y en ait pas eu plus!!), maintenant introuvables, seront réédités sous peu, mais sous forme d'intégrale.
Nous n'avons pas été en reste d'anecdotes sur la série la plus populaire de Taymans, Caroline Baldwin !! D'abord, nous avons tous été sidérés d'apprendre que le tome #1 de cette série, Moon river, ne devait être, à l'origine, qu'un one shot !! :^O Taymans se serait contenté de cette histoire qui raconte la dépression d'un astronaute vieillissant... Ce sont les éditeurs qui ont insisté pour que l'on retrouve le personnage de cette détective, Caroline Baldwin, dans d'autres aventures!! «J'avais voulu que ce détective soit une femme, question de faire changement. Et pour ce qui est de son nom de famille (qui allait devenir le nom de la série), j'ai dû le trouver en rush. Puisque je voulais un nom qui sonne anglais, j'ai pris le télé-horaire et lu la distribution du premier film américain sur lequel je suis tombé : c'en était un avec l'un des célèbres frères Baldwin!!» ;^D Quand on lui demande pourquoi son héroïne est d'origine québécoise, sa réponse est instantanée : «Je ne voulais surtout pas qu'elle soit Américaine!» Une réponse si soudaine et si sentie nous laisse présager que monsieur Taymans s'intéresse plus aux États-Unis pour le vaste terrain de jeu qu'ils offrent à un auteur de récits d'aventures policières que pour ses habitants en tant que tels!! ;^)
(Attention : SPOILER!! Sautez au paragraphe suivant si vous voulez continuer à vivre dans le déni et l'ignorance... question de mieux apprécier le punch, quand vous y serez rendus!! ;^) Puis vient l'épisode (Absurdia, le tome #5) où Caroline contracte le virus du sida! Quelle audace, surtout pour l'époque (1999)!! Les éditeurs n'étaient pas du tout d'accord : on n'affuble pas une héroïne qui cartonne d'une maladie si grave qui risque de la faire disparaître à jamais! Les journalistes et chroniqueurs BD d'alors gloussaient candidement : «C'est certain qu'elle ne sera pas réellement atteinte, ce n'est qu'un suspense bidon pour nous faire acheter le prochain tome!!» Il n'en fallait pas plus pour finir de convaincre monsieur Taymans de les faire mentir : dès le tome #6, on apprend que Caroline est officiellement porteuse du VIH!! Les éditeurs capotent encore plus, craignant de voir tous les groupes gays et les associations proactives de lutte contre le sida leur lancer des tomates! Mais c'est le contraire!!! Ces groupes accueillent le premier personnage de BD officiellement séropositif avec éclat : quel beau moyen de sensibiliser la population à cette réalité et de leur démontrer qu'il y a une vie après le diagnostic! «Comme quoi les éditeurs n'ont pas toujours raison!» ai-je rétorqué. «Mais les éditeurs n'ont JAMAIS raison!», de rajouter monsieur Taymans, le sourire en coin! Amusant, de la bouche de celui qui est maintenant directeur de collection pour les éditions suisses Paquet (qui viennent d'incorporer quelques petites maisons d'éditions belges et françaises, dont le catalogue d'Emmanuel Proust, question de mieux se positionner face aux méga-consortiums éditoriaux franco-belges, de plus en plus gigantesques!).
En observant les couvertures des Caroline Baldwin, au verso des albums, j'ai remarqué que seul l'album Angel Rock s'était mérité une toute nouvelle illustration lors de la première réédition de la série. Je me suis demandé pourquoi celle-là et pas les autres... Monsieur Taymans m'a expliqué qu'il s'agissait d'une question de déséquilibre : sur la nouvelle maquette, la cartouche choisie pour le typogramme de la série «écrasait» trop l'illustration de la première édition, il a donc préféré refaire une illustration qui s'harmonisait mieux avec la nouvelle disposition des éléments.

Parlant d'Angel Rock, Taymans a fini par nous révéler qu'il s'agissait de son album préféré, celui qui le satisfait le plus, peut-être parce qu'il se déroule en grande partie en montagne, lieu qu'il apprécie particulièrement. Dans cet épisode, l'héroïne rencontre un homme qui s'amuse à fabriquer de petites boîtes panoramiques, montrant des personnages de carton dans des paysages... Taymans nous a révélé qu'il a pris cette idée après qu'un agent de bord, lors d'une traversée transatlantique, lui eut raconté qu'il pratiquait ce hobby, à la frontière du bricolage et du scrapbooking! D'ailleurs, la première édition de cet album était offerte avec, en prime, une maquette auto-dépliante représentant celle que l'on retrouve dans la dernière vignette de l'album, avec Caroline en canot, entourée de superbes montagnes. «Encore là, ça a été toute une aventure! Mes éditeurs voulaient faire un cadeau à mes lecteurs et leur offrir... des autocollants!!? J'ai refusé! Qu'est-ce que les lecteurs de Caroline Baldwin auraient bien pu faire d'autocollants??! Puis est venu l'idée de cette maquette. Ça n'était pas évident à réaliser, et assez dispendieux. Malheureusement, l'une des faces du pop-up a été imprimée à l'envers! Du coup, l'idée d'agencer le tout pour que le pop-up se déploie en ouvrant la quatrième de couverture devenait impossible! Les éditeurs ont donc dû se rabattre sur l'idée d'insérer le pop-up dans une pochette accolée à la troisième de couverture... Tout ces assemblages ont été effectués dans les ateliers d'une prison belge!!»
Puis, j'ai abordé une autre question qui me tarabiscotait : qu'en est-il du film dont il me semblait avoir entendu parler sur le Net?? Eh bien, mes amis, sachez que les 33 premières minutes sont complétées, suite à des semaines de tournage en Thaïlande... mais que tout est sur la glace, pour ne pas dire à l'eau!!??! :^( C'est qu'un des producteurs a fait faillite (refrain connu!), et les tentatives pour lui trouver un remplaçant n'ont rien donné jusqu'à maintenant!! Cette aventure aurait été un scénario original (que Taymans aurait aussi dessiné, question de sortir l'album en même temps que le film!). Monsieur Taymans nous a gâté en sortant sa tablette pour nous montrer une superbe bande-annonce de 2 minutes 30, dans laquelle on a un super aperçu de ce que serait ce film : action, suspense, sensualité, intrigue... un vrai film à l'américaine - tourné en anglais, d'ailleurs, à mon grand étonnement! De prime abord, pas mal mieux que le film tiré des aventures de Largo Winch! Et c'est fou à quel point Carole Weyers, la comédienne qui tient le rôle principal, a le look de l'héroïne BD!! Un excellent casting!!! Nous n'avons plus qu'à espérer que cette bande promotionnelle intéresse de nouveaux investisseurs!
Finalement, j'ose espérer que monsieur Taymans a bien apprécié son séjour parmi nous. Puisque sa principale héroïne y séjourne régulièrement, il n'a pas vraiment le choix de faire de même, question de faire un peu de repérage («Les maisons québécoises que j'illustre dans ces albums sont souvent celles d'amis que j'ai, ici!»). Chose certaine, j'ai très hâte de lire le prochain tome des aventures de Caroline : monsieur Taymans nous a expliqué qu'il devait y intégrer une scène de poursuite en plein air... et qu'il trouvait que le Festival de BD, en plein parc Lafontaine, serait un endroit rêvé et un contexte idéal pour cette scène!! Qui sait, peut-être figurerai-je, avec mon chapeau safari, dans ce futur album??!! Ça, ça serait chouette!! ;^)
Même si, au final, je n'ai obtenu que trois dédicaces, j'ai adoré mes rencontres avec ce très gentil monsieur. J'aurais pu en obtenir quelques autres en retournant au festival une troisième journée, le dimanche, mais je ne m'y serais rendu QUE pour lui... et n'oublions pas que j'ai toujours, à pareille date, mon rush de fin d'année qui me pèse sur la conscience! ;^) De toute façon, j'aurais eu l'impression d'abuser un peu trop. Monsieur Taymans s'était déjà tellement dévoilé : je me serais presque senti mal de lui demander d'autres dédicaces, et d'autres anecdotes!! J'ai préféré en garder pour une prochaine fois!
Merci, donc, monsieur Taymans, et longue vie à Caroline... et à Charlotte, à qui je souhaite ardemment de nouvelles aventures!!

|