2 GÉNÉRAUX
Scénariste(s) : Scott CHANTLER
Dessinateur(s) : Scott CHANTLER
Éditions : la Pastèque
Collection : X
Série : 2 Généraux
Année : 2010 Nb. pages : 152
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Roman graphique) (Insp. comics)
Genre(s) : Drame de guerre, Biographie, Hommage
Appréciation : 5 / 6
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Un devoir de mémoire, mais un devoir plus qu'agréable!!
Écrit le dimanche 01 mai 2016 par PG Luneau
Les Québécois ont toujours eu un rapport trouble avec la Seconde Guerre mondiale. C'est assez compréhensible : le gouvernement canadien, mené par les Anglais qui nous avaient conquis militairement moins de 200 ans plus tôt, et qui nous contrôlaient financièrement depuis tout ce temps, a décrété la conscription, voulant nous forcer à aller libérer la France, cette mère-patrie qui nous avait justement laissé tomber comme de vieilles chaussettes, lors de la dite conquête!! Avouez que c'était assez ironique! Évidemment, je n'étais pas là, à l'époque, mais si j'y avais été, j'ai l'impression que j'aurais eu autant de réserves que les nombreux Québécois d'alors qui ont décrié avec véhémence cet enrôlement forcé dont nous étions victimes!!
Mais, bien honnêtement, mon manque d'intérêt pour le Seconde Guerre mondiale (de même que pour la Première, d'ailleurs!) n'a rien d'aussi idéologique. C'est simplement que ma passion pour l'Histoire s'étiole radicalement avec le passage au XXe siècle!! J'ai toujours trouvé qu'à partir des années 1890-1900, tout n'était plus que politicaillerie et conflits... J'imagine que, d'une certaine façon, toute l'Histoire de l'humanité est principalement affaire de politique et de conflits (un homme illustre n'a-t-il pas déjà affirmé que : «Tout est politique!»), mais j'ai l'impression que les contextes et les modes de vie plus anciens m'aident à l'oublier!
Au final, ça fait en sorte que je lis très peu de drames de guerre... et que, quand je m'en tape un, j'apprends plein de choses et je suis souvent agréablement surpris!! ;^) Surtout quand l'œuvre se veut touchante et bien ficelée, comme c'est le cas avec 2 Généraux, le roman graphique que Scott Chantler nous a offert en 2010.
Si monsieur Chantler s'est lancé dans ce projet, c'est parce qu'il a eu le privilège de pouvoir mettre la main sur le journal de bord personnel de son grand-père, officier dans le Highland Light Infantery of Canada. Et je crois avoir bien choisi mon mot en utilisant le terme privilège, car à voir tout le beau travail qu'il a fait dans cet album, et le vibrant hommage qu'il y rend à son grand-père, je suis assuré qu'il a considéré le fait d'avoir accès à ces données de première main comme un grand honneur!
Ce roman graphique nous fait donc suivre le quotidien de son grand-père, Reginald Law Chantler. On y parle de sa jeunesse et on assistera à son décès, mais le gros du volume s'attarde surtout, bien évidemment, à ses années dans l'armée : sa formation d'officier; son transfert en Angleterre en prévision du fameux Débarquement de Normandie; l'attente et les formations spécifiques qui s'en sont suivie; le Débarquement en tant que tel, puis les jours suivants, alors que sa division avait pour mission d'avancer dans les terres afin de faciliter la prise de Caen par d'autres troupes.
Chantler nous raconte le tout de façon souvent anecdotique. On parcourt la vie de ce général (et de son compère et meilleur ami, Jack Chrysler... d'où le pluriel du titre!! ;^) avec simplicité et, presque, désinvolture... Mais cet exercice, qui aurait pu être banal, est transcendé par le talent de l'auteur à saupoudrer son récit de petites touches d'humour, de moments de belles émotions et d'informations de premier ordre. Sincèrement, on est en présence d'un roman graphique riche, agréable mais tout à fait abordable. Si un néophyte comme moi parvient à tout comprendre et à apprécier sa lecture, c'est que tout le monde y trouvera son compte, je vous le garantis!! ;^)
Pour ce qui est du dessin, monsieur Chantler y va d'un trait beaucoup plus réaliste que celui qu'il exploite sur sa série les 3 Voleurs, dont je vous ai déjà parlée. Encore une fois, il utilise la ligne claire la plus pure qui soit : d'ailleurs, son héros ressemble à s'y méprendre au capitaine Francis Blake, de la série Blake et Mortimer, du grand Jacobs, maître incontesté de ce style graphique!! Avec une maîtrise parfaite des proportions et des perspectives, Chantler nous promène du Canada à l'Angleterre, puis à la France de 1944, avec une aisance, une pureté et une finesse qui nous donnent presque l'impression que le tout ça est éminemment facile... N'est-ce pas là le propre de tous les grands artistes??
Je vous recommande donc très chaleureusement cet album. Dès 12 ou 13 ans, vous serez émus, instruits, divertis... et vous aurez fait votre devoir de mémoire... afin que de tels carnages ne se reproduisent plus!!
Plus grandes forces de cette BD :
- tout l'objet-livre. Tant le format que la soyeuse couverture souple à rabats contribuent, avec la sobriété de la maquette, à faire de ce bouquin un livre qu'on a envie de toucher. La belle épaisseur du papier m'a aussi séduit. Encore une fois, la Pastèque a frappé dans le mille à ce niveau.
- le fulgurant usage des teintes de kaki et de rouille. Alors que tout le récit est presque exclusivement coloré avec des teintes de beige, de taupe, de caca d'oie et de kaki, seules certaines vignettes ou quelques planches particulièrement frappantes sont agrémentées de rouille, de sang-de-bœuf ou de citrouille brûlée. Ces cases, judicieusement choisies, sont d'autant plus punchées qu'elles sont très peu nombreuses. Ainsi, notre œil a le temps de s'accoutumer à l'harmonie un peu vieillotte et monotone des couleurs dominantes pour, à chaque fois, être surpris à nouveau par ces teintes beaucoup plus violentes... et qui soulignent, presque toujours, la présence de la mort, de la douleur, de la souffrance... C'est du grand art, sans contredit la force #1 de ce récit!
- ma très belle dédicace, qui date déjà de plusieurs années! Je vous l'avais montrée, ici! Avouez qu'il a des airs du complice de Mortimer!! ;^)
- un incipit intrigant. Les trois premières planches, toutes de rouge teintées, tantôt avec gaufrier, tantôt en pleine page, avec son personnage principal, de dos, presque immobile, nous plongent tout de go en plein carnage, ou plutôt en pleine aphasie-post-carnage. Ça saisit, mais comme on n'en est qu'au début, le choc est minimal, parce qu'on ne connaît encore personne. On n'a qu'hâte d'en savoir plus!! ;^)
- l'efficacité de la mise en contexte historique. En seulement quatre planches (p.14 à 17), Chantler nous brosse un portrait de l'époque d'une manière tout à fait satisfaisante, en soulignant au passage la Grande Crise, les grands noms du jazz (Ah!! Les staqe bands!!) et le difficile contexte social qui sévissait en Allemagne, à ce moment-là. Il parvient même à nous faire comprendre l'allemand, sans sous-titres (p.16 et 17) !?! :^)
- le dessin, très class, de Chantler. Comme je le disais plus haut, sa ligne claire est remarquable. Et, contrairement à certains, ce dessinateur parvient à nous offrir des faciès très variés (et quand on parle de régiments de soldats, on en a beaucoup, de visages, à dessiner !! ;^) De plus, il est amusant de remarquer à quel point certaines vignettes ressemblent à des photos... Mais, compte-tenu du contexte, je me doute bien que ce soit le cas!! ;^) On en a un exemple direct à la p.30 (l'originale de la photo qui y est illustrée nous est carrément montrée à la toute fin, à la p.147... au-dessus d'un dicton écossais d'une sagesse implacable!! ;^), mais mon petit doigt me dit que la 2e vignette de la p.20 est aussi tirée d'un cliché-photo!
- la subtilité toute britannique de l'humour distillé à gauche et à droite. La planche de la p.21, où les deux généraux découvrent le fonctionnement des W.C. du Vieux Continent, le bas de la p.48 (alors que le général Chrysler s'intéresse à la mère d'un gamin), l'attachement des soldats pour leurs «animaux de compagnie» (bas de la p.102... et pages de garde ;^) et, surtout, l'incroyable capture d'un ennemi par le personnage principal... alors qu'il s'était isolé pour faire ses besoins naturels (!??!), tout ça est raconté de manière amusante, très pince-sans-rire. Ces touches humoristiques reflètent bien toute la canadiano-anglaisité de Monsieur Chantler et de ses ancêtres venus du Royaume-Uni.
- les très nombreuses anecdotes informatives. Jamais je n'aurais cru que les officiers avaient le temps de jouer au golf dans leur temps libre, alors qu'ils étaient en exercices sur le terrain, par exemple!! De même, non seulement je ne savais pas que certains soldats (dont le régiment du général Chantler) avaient débarqué sur les plages de Normandie en vélo (superbement mal équipé, d'ailleurs, roulant plus sur les jantes que sur les pneus!!), mais je n'aurais jamais pensé que les militaires avaient préalablement dû donner des cours de vélo à ces jeunes hommes qui, pour plusieurs, n'avaient jamais pédalé de leur vie!! Mais l'information qui m'a le plus marqué, c'est que ces soldats s'entraînaient avec de vraies balles... et qu'un pourcentage de perte de 10% avait été jugé acceptable!? Il y eut des morts sur les champs d'entraînement!!?? C'était peut-être un moyen de préparer ces hommes à être canardés par des confrères, comme ce fut le cas une fois sur le continent (p.91) !!?
- l'émotion qui se dégage de certains passages poignants. Sans trop vouloir vous vendre de punchs, je soulignerai le sournois stratagème des Allemands qui leur a permis de décimer le North Nova Scotia Highlanders et, évidemment, le moment fort de tout le récit, à la p.126... (Je vous laisse le découvrir par vous-même!). Nul doute que le fait que l'auteur ait eu accès à des sources de premières mains et qu'il ait connu le principal protagoniste contribue à ce que l'émotion soit si tangible. L'hommage aux réalisations de son grand-père et de tous ces hommes qui ont contribué à la Libération est, en ce sens, très réussi, et la liste des autres exploits du Highland Light Infantry, à la p.134, le démontre bien.
- la grande qualité des mises en pages. L'emploi très fréquent de gaufriers à neuf cases assure un rythme un peu classique, qui cadre tout à fait avec l'aspect vieillot que l'auteur a voulu donner à son récit, mais les angles de vue et les différents plans, très variés, rendent le ton dynamique malgré tout! Ça donne, au final, un montage qui respire bien (vive les silences et les vignettes identiques qui se répètent, pour nous permettre de ressentir un temps mort, une émotion, une atrocité...), que l'auteur a su ponctuer de doubles planches impressionnantes, comme aux p.64-65 et 78-79. Du beau travail, vraiment!
- l'immense talent de monsieur Chantler à dessiner des œuvres architecturales avec un réalisme photographique. Je fais référence ici à la splendide cathédrale de Caen qu'il a illustrée, en pleine planche, à la p.88, mais aussi, surtout, à l'intrigante église de Stoke Poges, qui apparaît ponctuellement tout au long du récit (et ce, dès la première planche!!), sans qu'on sache trop pourquoi. Le souci de perfection dans les détails et dans les perspectives qui se dégage de ces deux édifices, dessinés dans un style beaucoup plus réaliste que le reste des dessins, m'a confirmé que Scott Chantler est l'un des plus grands dessinateurs du Canada. Je suis, littéralement, en amour avec ses dessins!! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- la vitesse avec laquelle ce petit livre se dévore. Malgré ses 152 pages, j'ai été étonné de constater à quel point les pages se succèdent rapidement, parfois parce qu'il y a peu de texte, parfois parce que c'est palpitant... et souvent à cause du cumul de ces deux facteurs!! ;^)
- l'absence de carte géographique conséquente! À partir de la seconde moitié du livre, l'action se concentre sur le Débarquement et ses suites. On y mentionne plusieurs villes, villages, hameaux ou lieux-dits, avec des précisions sur leur importance tactique ou militaire, mais sans nous les situer!! J'ai trouvé difficile de visualiser les avancées ou les replis dont on parlait parce que monsieur Chantler ne nous offre que 4 ou 5 toutes petites cartes, très partielles et à beaucoup trop grande échelle pour qu'on puisse avoir un portrait d'ensemble! J'aurais aimé qu'une carte plus complète soit annexée, en fin d'album, par exemple, pour avoir une idée plus précise de ce qui s'est passé!
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