#01- TU ES POUSSIÈRE
Scénariste(s) : Xavier BÉTAUCOURT
Dessinateur(s) : Didier PAGOT
Éditions : Bamboo
Collection : Grand angle
Série : Chineur
Année : 2009 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/2)
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Aventure policière
Appréciation : 4.5 / 6
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Que de secrets cachés dans la poussière des greniers!
Écrit le jeudi 13 janvier 2011 par PG Luneau
Gabin Kashenko est antiquaire. Le Chineur, c’est lui. Car pour ceux à qui ce mot est inconnu, apprenez que le verbe «chiner» signifie courir les marchés aux puces et les greniers à la recherche de la perle rare, de la vieillerie tant désirée, de l’antiquité pour laquelle les amateurs payeront le gros prix.
Ce Gabin (oui, oui, Gabin, comme l’acteur… mais lui, c’est son prénom!) arrive donc à Dain-sur-Souzon, un petit village de Charente, en prévision de la brocante régionale qui y débutera dans quelques jours. Il espère ainsi mettre le grappin sur les meilleurs morceaux avant tout le monde. Aussi s’efforce-t-il de faire copain-copain avec les habitants, question de se doter d’un capital de sympathie qui pourrait s’avérer salutaire, lors des négociations à venir.
Seulement voilà : plusieurs des villageois sont d’un caractère pour le moins sanguin, ou même hostile, et bien peu semblent intéressés à se séparer de leurs vieux meubles ou bibelots! Même que Kashenko se fait souvent accueillir par des chiens jappeurs (sa hantise!) ou des maîtres qui le sont tout autant, quand ce n’est pas par un fusil sous le nez! Si ça se trouve, plusieurs ont des secrets bien enfouis qu’ils ne désirent pas voir être mis à jour en même temps que leurs vieilleries!
Toutefois, notre chineur est un pro! Même s’il est talonné par La Fouine, un rival au négoce un peu trop sauvage à son goût, il parviendra à mettre la main sur une vieille commode… mais seulement après que son propriétaire, son épouse et leur maison aient été réduits en cendre par un incendie criminel!! Kashenko trouve aussi un vieux cahier, dans lequel il lira des révélations troublantes. Qui est ce jeune qui, quinze ans auparavant, écrivait que sa mère biologique venait de mourir et que son père le violentait? Et pourquoi faisait-il référence à un trésor? Est-ce que ces vieux écrits auraient un lien avec l’incendie? Est-ce que Mireille, la jeune déficiente qu’hébergeaient feux les Bousoir, saura identifier l’incendiaire? Et le docteur Lemanant, l’ancien directeur de l’institut psychiatrique du coin, est-il blanc comme neige? Et le comte de Mornac, aussi rébarbatif que ruiné, quel rôle joue-t-il dans toute cette histoire?
C’est vraiment à une intéressante intrigue campagnarde que nous convie Xavier Bétaucourt. Bien qu’il ne s’agisse que de la première moitié du cycle, ce tome constitue presque un récit en soi tant il est cohérent et que la conclusion en est satisfaisante! Mais les quelques mystères entraperçus et sur lesquels on n’est pas revenus me laissent supposer que le second tome, déjà paru et qu’il me tarde de lire, amènera des rebondissements étonnants : je sens qu’il reste bien des secrets à révéler au petit village de Dain-sur-Souzon!
Plus grandes forces de cette BD :
- le fait de connaître le nombre de tomes qu’aura le récit AVANT la lecture. En effet, sur le dos et dans un coin du quatrième de couverture, on peut lire «Cycle I, épisode 1/2». Donc, non seulement on sait déjà que cette «enquête» trouvera sa vraie finale dans le tome #2, mais on se doute que d’autres cycles suivront! C’est génial!
- la préface humoristique d’Alain Dodier, auteur de l’excellente série Jérôme K. Jérôme Bloche. C’est sympathique de voir un bédéiste d’expérience qui «chaperonne» (dans une certaine mesure) des créateurs moins expérimentés, d’autant plus qu’on retrouve beaucoup de l’esprit des albums de J.K.J. Bloche dans le dessin et l’univers du Chineur, un univers où l’aventure s’immisce, pour une fois, dans le banal quotidien de monsieur Tout-le-monde, et non chez des héros bien typés.
- une thématique originale. Un brocanteur à la recherche de vieux meubles et de bibelots divers, quelle belle façon de s’immiscer dans l’intimité des gens, et de déterrer leurs vieux secrets! C’est un terreau riche en possibilité, je m’étonne que personne n’ait pensé à ça avant!
- l’atmosphère de petit village campagnard, très bien rendue. On sent que les relations sont tricotées très serrées à Dain-sur-Souzon. Les gens semblent se tenir et se couvrir les uns les autres, malgré les querelles ou même les haines qui les taraudent. L’arrivée d’un étranger entraîne une attitude défensive de la part de plusieurs (sauf des incontournables commères!), et on se doute bien que tous ont des choses à cacher. Les auteurs ont été très forts car ils ont réussi ce très bon portrait en misant surtout sur les non-dits et les secrets!
- un personnage principal qui fait très naturel. Avec sa peur des chiens et son passé amoureux un peu compliqué, Gabin est un homme tout ce qu’il y a de plus commun. Il n’a rien du «héros» traditionnel, en ce sens que les aventures viennent à lui sans qu’il ne les demande, et que les grands actes héroïques ne sont pas son apanage. Un gars humain, qui ressemble plus à votre voisin qu’à Rambo, quoi!
- les très beaux et très nombreux plans d’ensemble. Pagot excelle dans les paysages. On sent qu’il aime dessiner les architectures et ses petites scènes de foule, sur les places publiques du village, sont très agréables pour l’œil. D’ailleurs, il lui arrive souvent de profiter d’un long dialogue entre deux personnages, dans un café, par exemple, pour les délaisser momentanément et nous montrer, le temps d’une ou deux cases, ce qui se passe devant la façade du café. C’est une bonne chose car ça rend le découpage de ses pages très dynamique… et il est un peu moins fort pour les gros plans.
- l’intrigue, intéressante et très bien huilée. Sans être trop complexe, elle démontre une belle unité, tout en offrant de belles ouvertures pour le tome deux.
Ce qui m’a le plus agacé :
- le titre de l’album, qui n’est pas judicieusement choisi. Je suppose qu’il veut faire référence à l’incendie mortel de la demeure des Bousoir, mais je ne trouve pas le lien évident.
- un départ un peu lent. Les mauvais coups des trois petits «bums» ajoutent du piquant, mais jusqu’à preuve du contraire, ils ne sont pas très significatifs dans la trame principale, qui met du temps à démarrer. Heureusement, cette lenteur est cohérente avec le milieu décrit : un petit village sans histoire… ou, plutôt, sans histoire apparente!
- les dessins. De manière générale, ils sont très bien, mais sans plus. Il me semble qu’il leur manque juste une petite étincelle pour qu’ils deviennent tous aussi transcendants que les nombreuses scènes de village. Par exemple, les visages des personnages sont plus ordinaires (la vignette reproduite sur la page-titre en est un bon exemple), et les yeux du chien, à la page 25, sont complètement ratés.
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