#02- LA FERME DES ANIMAUX
Scénariste(s) : Bill WILLINGHAM
Dessinateur(s) : Mark BUCKINGHAM
Éditions : Panini comics
Collection : 100% Vertigo
Série : Fables
Année : 2003 Nb. pages : 140
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Comics)
Genre(s) : Fantastique, Conte réinventé, Héros animalier
Appréciation : 5.5 / 6
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Mutinerie à la ferme?! Qu'on leur tranche la tête!!
Écrit le mardi 13 mars 2012 par PG Luneau
Si la Reine de cœur d’Alice au Pays des merveilles avait été mise au courant de ce qui se passait sur la Ferme de Fableville-Nord, c’est certainement ce qu’elle aurait hurlé : «Qu’on leur coupe la tête!»… Seulement voilà : même si cette grande dame de l’univers de la fiction jeunesse est bien une des rares à ne pas figurer au générique de cet album, les têtes rouleront quand même à quelques reprises dans ce second tome de l’exceptionnelle série Fables!
Et oui : je me suis enfin gâté! En cette semaine de relâche, je me suis permis la lecture de la Ferme des animaux, le deuxième récit que Bill Willingham a concocté pour nous à partir de l’univers qu’il a mis en place dans Légendes en exil, le tome #1 de la série. J’avais plus qu’adoré ce premier opus, et je suis très heureux de vous apprendre que le deuxième m’a comblé tout autant!
Ainsi donc, on sait maintenant que tous les personnages de contes de fées vivent dorénavant dans un quartier magiquement protégé de New York appelé Fableville et qu’ils nous côtoient tous les jours, incognito. Mais qu’en est-il de ceux qui ne peuvent se mêler à la populace normale : les géants, les dragons, Tom Pouce, les objets animés ainsi que, bien sûr, tous les innombrables animaux qui pullulent dans nos histoires pour enfants? Eh bien ils logent à quelques heures de route, au nord de l’état, sur une vaste terre simplement appelée la Ferme! Et c’est lors d’une simple visite de routine que Blanche Neige et Rose Rouge tombent dans une guérilla en règle qui risque de leur coûter la vie : la révolte animalière est en branle, menée par Boucle d’or, devenue extrémiste radicale!
En plus de mettre en scène un très intéressant conflit aux enjeux moraux moins simplistes qu’il n’y paraît, Willingham réussit à rendre hommage à deux œuvres majeures du corpus littéraire jeunesse, soit la Ferme des animaux d’Orwell et Sa majesté des mouches, de William Golding. Le tout en jonglant habilement avec tous les animaux et les autres créatures impossibles à cacher qui peuplaient les contes de notre enfance, des cartes à jouer du Pays des merveilles à la petite hutte à pattes de poule!! En misant sur la dualité entre ces créatures, contraintes de rester confinées dans l’enclave qu’est la Ferme, et les autres personnages humains, qui peuvent, eux, circuler librement de par le vaste monde, le scénariste agite un levier aux multiples possibilités et le manipule avec adresse. J’en suis encore sous le charme!
Sur le plan du dessin, Mark Buckingham parvient à rendre un style très proche de celui de Lan Medina, qui avait fait le tome #1. Comme j’avais aimé le style réaliste et épuré de Medina, celui de Buckingham m’a donc satisfait tout autant, de même que la coloration de Daniel Vozzo.
Bref, malgré les grands risques de voir «ma balloune» se dégonfler, je me suis risqué à me confronter à nouveau au monde de Willingham. Et c’est avec un immense plaisir que j’ai retrouvé cet univers féérique et sa magie qui, malgré leurs airs naïfs et puérils, ne s’adressent pas vraiment au moins de seize ans! Jusqu’à quand me retiendrai-je de sauter sur le tome #3?? Les paris sont ouverts!!
Plus grandes forces de cette BD :
- retrouver les personnages tant aimés, dans leur univers si particulier, à la fois familier et novateur. L’intervalle entre mes lectures du tome #1 et de celui-ci m’a vraiment paru très long!
- la richesse du fantastique exploité. Quelle merveille que de se retrouver en face de la double planche (p.10 et 11) où l’on nous présente la Ferme! Quel plaisir, deux planches plus loin (p.13), de se retrouver devant tant de personnages fabuleux (au sens littéral du terme!!) : le morse, le chat de Chester et les cartes à jouer du Pays des merveilles, les trois petites souris aveugles, la Mère l’Oie, Goupil, le Chat Botté, le baron Crapaud (du Vent dans les saules)… et les nombreux animaux des fables de Lafontaine! L’auteur a même pensé d’intégrer au récit la Petite hutte à pattes de poule qui m’a tant effrayé, quand j’étais tout jeune, dans Fanfreluche! C’est réellement féérique, et très réjouissant pour le moral de retrouver tous ces souvenirs enfouis! J’ai bien aimé, aussi, la référence (un brin morbide!) à «Sa majesté des mouches», que j’ai lu pas plus tard que l’an dernier! De même, le récit en entier est une belle allégorie de cet autre classique éponyme, la Ferme des animaux, de George Orwell.
- plusieurs nouveaux personnages intéressants : je songe particulièrement à Boucle d’Or, dans le rôle de l’activiste révolutionnaire (!?) qui partage officiellement la couche de Bébé ours (!!??), et à Goupil qui, avec sa ruse légendaire, cache une personnalité bien plus riche qu’il n’y paraît de prime abord. La vieille dame et sa tonne d’enfants qui vivent dans une chaussure sont assez impressionnants, eux aussi… surtout quand on les voit tous armés de mitraillettes et de AK-47!!?
- l’humour, parfois subtilement grivois, qui sourde à gauche et à droite. Ces clins d’yeux sont toujours très fins et judicieux. Je ne crois pas que les plus jeunes s’y attardent ou y accrochent particulièrement… mais il vaut quand même mieux réserver cette série aux plus de seize ans : Rose Rouge est toujours susceptible de lancer une de ses répliques assassines et sulfureuses! D’ailleurs, l’appellation «Pour lecteurs avertis» est en vigueur, comme on peut la lire sur la couverture.
- la rudesse que le scénariste n’hésite pas à instaurer… C’est rare qu’un auteur accepte si aisément d’éliminer ses personnages. Pour sa part, Willingham n’a pas peur de trucider un ou deux petits cochons si ça sert son histoire! Et pourquoi s’empêtrer à garder Shere Khan vivant si ce n’est pas cohérent avec ce qu’il veut raconter! Tant pis pour les éventuels apports qu’un tel personnage pourrait potentiellement léguer dans les tomes à venir!! S’il faut élaguer, il le faut, et Willingham le fait!! Il est même prêt à faire tirer une balle dans la tête de sa principale héroïne, la belle Blanche Neige!! Wow!! Chapeau bas, monsieur!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les couvertures psychédéliques, encore une fois! Décidément, le style de James Jean n’est pas pour moi… même si j’aime bien ré-analyser ses couvertures (tant celle du bouquin comme tel que les couvertures originales de chacun des fascicules américains, mises en annexe) à la fin de ma lecture de chaque «chapitre»!
- de ne pas reconnaître tout le monde, ou plutôt de ne pas connaître tous les contes dont ces personnages sont issus. Ainsi, je n’ai aucune idée de qui est le chevalier Parjure, avec ses délires éthyliques qui font office de prophéties, ni de qui est le forgeron Weyland Smith. Le petit bonhomme à la tête de tournesol m’est aussi totalement inconnu, et bien d’autres… J’aimerais avoir plus de référents.
- quelques expressions très franchouillardes. Je viens en fait de découvrir l’expression, assez grossière mais fort éloquente : «Nullache!»… Et je ne l’ai pas sitôt découverte qu’on me la refile quelques pages plus loin! J’espère que ça ne deviendra pas la phrase du jour qui apparaîtra à toutes les cinq planches!! P.S. : Heureusement, ce ne fut pas le cas!!
- en matière d’anatomie féline, certains dessins jurent un peu. Ainsi, les pattes avant de Bagheera et de Shere Khan ressemblent souvent bien plus à des épaules et à des bras humains qu’à des pattes de grands matous! (p.41, 43 et 44, notamment)
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