#01- L'EMBAUMEUR
Scénariste(s) : Sylviane CORGIAT, Patrick GALLIANO
Dessinateur(s) : Chris CROSS
Éditions : les Humanoïdes associés
Collection : Dédales
Série : Néféritès
Année : 2006 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/3... inachevé!)
Genre(s) : Aventure policière, Historique
Appréciation : 5 / 6
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Palpitantes prémices... sans fin!?
Écrit le samedi 11 juin 2011 par PG Luneau
Par un soir d’orage, le grand prêtre du temple de Seth trouve un corps foudroyé dans la salle sacrée réservée au dieu-chacal. Ce dernier (dieu de la foudre, du chaos et de la violence qui, en fait, aurait plutôt eu une tête d’oryctérope, si on se fie à ce qu’en nous apprend Isabelle Dethan dans ses albums de la mignonne petite série Kheti, fils du Nil) aurait puni lui-même l’outrageux vandale pour son impardonnable intrusion, en lui balançant un éclair à la figure. Une situation exceptionnelle, certes, mais qu’il vaut peut-être mieux passer sous silence…
Le problème, c’est que l’intrus en question n’est autre que Nebtou, un des esclaves préférés de la reine!! Cette dernière oblige le grand vizir Menkhé à traiter la dépouille avec le plus d’égards possibles. C’est donc tout droit chez Néféritès, l’embaumeur le plus réputé de la région, que le seigneur Menkhé file, pour lui demander l’embaumement princier que la Reine exige. Il ne faut pas deux minutes au maître embaumeur pour constater la vérité : Nebtou n’a pas été foudroyé ! Il a simplement été maquillé pour qu’on croie à la vengeance des feux divins de Seth. Le responsable s’est d’ailleurs donné beaucoup de mal pour maquiller le corps de suie et lui blanchir les yeux à l’aide d’huile de cèdre! Mais qui? Et pourquoi??
Ainsi commence une palpitante enquête qui nous entraîne dans les ruelles de la Place pure, ce secteur un peu isolé où tous les morts destinés à l’embaumement étaient rassemblés en attendant d’être traités. Quel superbe site pour une série «policière» historique! Le personnage de Néféritès est le parfait héros pour ce genre de récit : un passé trouble qui le poursuit jusque dans ses rêves, une approche humaniste et socialisante tout ce qu’il y a de plus avant-gardiste (il n’en a pas après l’argent, et accepte de donner aux pauvres le même traitement qu’aux riches, même s’ils n’ont pas les moyens de payer!!)… et des talents certains de médecin légiste, des siècles avant l’apparition du terme!!
C’est à une superbe série en Égypte antique qu’on est convoquée ici… mais ne vous réjouissez pas trop vite, car ce serait en vain que vous vous y accrocheriez!! En effet, ce superbe album (car, en plus, les dessins de Chris Cross sont d’une finesse fascinante!) a été publié dans la collection Dédales… Vous savez, cette excellente collection que les Humanoïdes associés ont lancée en grande pompe, en 2005, avec plein de séries alléchantes… mais qu’ils ont dû abandonner, sans trop d’explications, et sans même finir les séries commencées, moins de trois ans plus tard !!!
GGGGRRRRRRRRRRRRRRRRRR! J’enraaaaaaaaaaaaaage!!!!!!!!!!
Si certaines, comme Œil de Jade, Novikov, Salomé ou Antoine Sèvres n’en ont finalement pas trop souffert (les trois premières étant des diptyques complétés, le dernier étant composé de deux récits complets), d’autres, comme Galata ou Néféritès, se sont vues stoppées en plein vol : il manque, et manquera pour toujours, apparemment, le troisième tome de Galata et les deux derniers tomes de Néféritès. Et dire qu’en plus il s’agit ici des deux séries ayant les dessins les plus maîtrisés de toute la collection!! Quel manque de considération grotesque envers les lecteurs!! Comment une maison d’éditions sérieuse peut-elle lâcher ses clients ainsi, en plein milieu de palpitants récits? On nous prend pour des nouilles ou quoi?!
D’autant plus qu’il y avait des alternatives : à preuve, la série la Porte d’Ishtar, avec la scribe babylonienne Taliya, avait été annoncée dans cette collection, mais a vu le jour quand même, hors collection, malgré le sabordage! Ou mieux encore : le cas de Shimon de Samarie! Après une enquête entièrement publiée dans Dédales (en deux tomes), ce héros entreprend sa seconde enquête dans un nouveau diptyque qui vient de paraître, hors collection lui aussi, toujours aux Humanos, sous le nouveau nom du Samaritain!! Alors pourquoi, mais POURQUOI Néféritès et Galata n’ont-ils pas droit aux mêmes égards?? D’autant plus que ET les dessins, ET les récits, ET même les commentaires critiques étaient positifs!!?
Bref, à moins qu’une autre maison d’éditions n’achète les droits (ça doit bien pouvoir se faire, ça? Surtout si les Humanos battent tant de l’aile!? Ils ne devraient pas cracher sur une rentrée d’argent!!), j’ai bien peur que nous n’aurons jamais la chance de connaître le fin fond de cette palpitante aventure : une enquête à classer dans la filière des cas non-résolus, et un héros des plus intéressants qui, apparemment, retournera dans les limbes des personnages oubliés… à mon grand dam!
Désolé si, par ma critique, je vous ai donné le goût de lire ce récit avorté. J’ai simplement cru de mon devoir d’au moins laisser une petite place, dans ma Lucarne, à cet excellente mise en place historico-policière, ne serait-ce que pour compenser le peu de respect que son propre éditeur lui voue!! Et ce, même si ce récit ne sera jamais complété… À moins qu’on soit cent, mille, CENT MILLE À ÉLEVER NOS VOIX POUR RÉCLAMER NOTRE DÛ…!!
… Que c’est beau, rêver !!
Plus grandes forces de cette BD :
- le dessin. Juste les corps sculpturaux des deux héros valent le détour! Chris Cross est un fameux dessinateur. Il est spécialisé dans le comic book américain, ça se voit à la pureté de son trait… et à la musculature de ses personnages! Ses visages sont particulièrement bien rendus, d’une perfection bien léchée. Déjà, la superbe couverture donne le coup d’envoi, et ça ne dérougit pas vraiment en cours de route.
- le marque-page intégré, avec une superbe illustration du duo de protagonistes. C’était une promotion avec l’édition originale de chacune des nouvelles séries de feue Dédales! Une fort charmante initiative.
- les étouffantes couleurs chaudes. Les jaunes, les orangés et les ocre sont partout et nous font merveilleusement ressentir l’omniprésence de la chaleur solaire qui régnait, déjà à cette époque, en Égypte.
- les angles de vue très dynamiques. Encore une fois, la couverture était annonciatrice de l’originalité et du talent du dessinateur. Si l’agencement des cadres des vignettes est assez sage, les prises de vue, pour leurs parts, sont des plus variées. On plonge, contre-plonge et zoome à qui mieux mieux, comme si des dizaines de caméras étaient disposées de manière à capter chaque séquence. Ça donne beaucoup de rythme à ce tome d’introduction, somme toute assez statique.
- le personnage de Satis, le jeune apprenti de Néféritès. Lui aussi semble avoir un vécu intéressant, puisque l’embaumeur nous apprend qu’en l’achetant, il l’aurait sauvé d’une vie d’incessantes rapines dans le quartier peu recommandable du port! Les commentaires du jeune homme et, surtout, ses mimiques (voir celles, tordantes, de la page 24!) sont vraiment hyper efficaces. On s’attache à ce charmant gamin en un rien de temps tellement il a du charme! Les savants entrelacs tatoués sur ses deux bras musclés sont assez remarquables!
- un contexte original, stimulant et instructif. Quelle géniale idée d’attribuer à des embaumeurs, sans conteste les plus grands spécialistes en anatomie de leur époque, des rôles de légistes!! Il fallait y penser! Et si, en plus, on découvre, pour le même prix, les rites et traditions spécifiques à cette fascinante profession, et bien je crie : «Bravo!»
Ce qui m’a le plus agacé :
- une première page un peu aride, qui nous livre un extrait du célèbre Livre des morts. C’est une entrée en matière des plus pertinentes… mais elle passe mieux quand on est minimalement en forme et motivé. Heureusement, elle ne fait que quatre petits paragraphes! (Oui, Yaneck, je chipote, là!!)
- les noms très complexes des personnages. C’est si difficile à mémoriser, ces noms égyptiens!!! Évidemment, il faut ce qu’il faut : si les personnages s’appelaient Tom ou Juliette, ça ne sonnerait pas tout à fait juste dans le contexte, n’est-ce pas?!!
- certains aspects anachroniques. Je ne suis nullement connaisseur en la matière, et peut-être me goure-je d’aplomb, mais j’ai été surpris par la présence de quelques éléments. LA chef de police, par exemple. C’est intéressant de mettre une femme de caractère à ce poste, mais est-ce historiquement concevable? Une représentante du beau sexe pouvait-elle accéder à un tel poste? Peut-être, après tout, puisqu’il y a eu plusieurs pharaonnes. La civilisation égyptienne faisait peut-être preuve d’une plus grande ouverture d’esprit qu’on ne pourrait le croire. Autres questionnements : les dallages décoratifs qui colorent les murs de la salle d’audience de cette même dame Ourrit (à la page 26), ou le temple d’Hathor, tel qu’illustré dans le bas de la p. 43. Ces éléments ont tellement des airs «art déco» qu’ils sont apparus à mes yeux de profane comme quelque peu anachroniques. Assez pour me faire douter : l’illustrateur a-t-il vraiment bien pris la peine de se documenter? Et jusqu’à quel point se donne-t-il des libertés pour combler les trous de sa documentation?? Ce sont des interrogations pertinentes, non?
- le fait qu’on ne verra fort probablement jamais la fin de cette histoire, tout comme celle de Galata. J’en ai assez parlé, ci-haut et dans ma critique d’Œil de Jade, que je ne rajouterai rien de plus… même si ces éditeurs mériteraient, à mon avis, bien d’autres semonces!!
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