#02- LE SCHTROUMPFISSIME
Scénariste(s) : Pierre Culliford dit PEYO, Yvan DELPORTE
Dessinateur(s) : Pierre Culliford dit PEYO
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Schtroumpfs
Année : 1962 Nb. pages : 62
Style(s) narratif(s) : Récits complets
Genre(s) : Humour fantaisiste, Fantastique médiéval
Appréciation : 3.5 / 6
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Pour cette trois centième critique, schtroumpfons-en choeur!
Écrit le jeudi 16 août 2012 par PG Luneau
Aaaaah les Schtroumpfs!! Je pouvais difficilement trouver mieux que cette bande de joyeux lutins bleus pour célébrer avec vous la parution de ma trois centième critique!! En fait, je n’ai évidemment pas à vous les présenter : toute la planète connaît maintenant ces petits bonshommes et leurs charmantes maisons, creusées à même des champignons! Qui n’a pas rêvé, un jour, de tomber sur cet invitant village forestier, au détour d’une balade dans un petit bois??! Et vous connaissez aussi certainement leurs ennemis séculaires, le hargneux Gargamel, ainsi qu’Azraël, son chat au regard machiavélique!
Moi, j’ai découvert l’univers fantaisiste du grand Peyo quand ses albums ont commencé à être diffusés plus sérieusement au Québec, au milieu des années 70. En même temps que les dix premiers albums, nos marchands lançaient la fameuse collection de petites figurines qui a tant égayé, enfant, mes jours de pluie! Mon père m’avait même bricolé de jolis présentoirs muraux en forme de champignons pour exposer ma collection grandissante! Et je me rappelle m’être lancé, avec une de mes cousines, dans la rédaction d’un roman policier à saveur humoristique qui se déroulait dans leur village!! Ça débutait alors que le Schtroumpf coquet réalisait qu’on venait de lui voler son précieux miroir!! Que de souvenirs!!…
J’avoue avoir eu une grosse «période Schtroumpfs». Même si je n’avais eu que quatre ou cinq albums en cadeau, j’avais emprunté tous les autres à la bibliothèque, et j’avais tout lu, avec une préférence marquée pour le Cosmoschtroumpf, l’Apprenti-Schtroumpf et, surtout, Schtroumpf vert et vert schtroumpf! L’humour soulevé par les confrontations langagières qui opposent les Schtroumpfs du Nord et ceux du Sud, dans ce tome, m’avait particulièrement marqué, à une époque où je commençais justement à m’intéresser aux subtilités de notre belle langue et aux expressions idiomatiques qui la fleurissent! C’était magique!
Puis, entre les tomes #10 et 11 (la Soupe aux Schtroumpfs et les Schtroumpfs olympiques), il y a eu un (grand!) écart de six ans!!!! Je passais de neuf à quinze ans!! Avouez que tout un monde sépare ces deux âges!! Même si j’étais resté très BD, les mignonnes aventures gnagna des petits bonshommes bleus m’intéressaient beaucoup moins, à 15 ans! Et les titres me semblaient pas mal moins accrocheurs : le Bébé schtroumpf («What the fuck?!?»), suivi par les P’tits Schtroumpfs («Dekossé??!»), ça n’avait rien pour appâter le grand dadais d’ado que j’étais devenu! J’ai donc délaissé le doux monde de Peyo… et de son fils, Thierry, qui a bravement pris la relève, au départ de son père.
C’en est suivi des parutions d’albums que je suivais de loin. La plupart des critiques que j’en lisais me semblaient assez négatives : j’avais l’impression que le fils et ses collaborateurs ne faisaient plus qu’allonger la sauce, question de profiter de la manne pendant qu’elle passait encore!! J’ai longtemps boudé la série, sans même relire mes vieux albums : j’avais tant d’autres titres à lire…
Puis est arrivée la sortie d’un tome spécial, en 2008, un album hors-série qui, lui, a su attirer mon attention : les Schtroumpfeurs de flûte! Cet album complète celui où l’on a pu voir les Schtroumpfs pour la toute première fois, soit la Flûte à six schtroumpfs, dans la série Johan et Pirlouit… écrit et dessiné par Peyo presque cinquante ans plus tôt, en 1960!!! Dans ce nouvel album, on a droit au prequel de l’aventure avec Johann et Pirlouit, et sous l’angle des Schtroumpfs : Comment la fameuse flûte a-t-elle été fabriquée? Comment est-elle tombée entre les mains du marchand d’instruments de musique qui l’a emmenée à Pirlouit? Et comment se fait-il que ce torve de Mathieu Torchesac en connaisse l’utilité? Toutes ces sous-questions, qu’on n’avait pas abordées dans la Flute… trouvent maintenant leur réponse dans les Schtroumpfeurs de flûte! De plus, élément non négligeable, ce dernier titre comportait aussi un amusant supplément de 16 pages, paru initialement dans le magazine Spirou en 1971, visant à expliquer de manière humoristique le langage et la culture schtroumpfs… une pièce d’anthologie!
Fier d’avoir renoué avec les charmants lutins, je me suis donc mis à me réintéresser à eux… À peu près à la même époque, mes explorations de la blogosphère m’ont entraîné jusqu’au site de mon ami Jérôme qui, lui, est toujours resté un grand fan. À force de lire ses critiques éclairées, j’ai eu envie de replonger, et me voici à vous offrir ma relecture du deuxième tome de la série régulière des Schtroumpfs : le Schtroumpfissime! Sans être un coup de cœur ultime, on peut en dire qu’il s’agit d’un des bons albums, bien représentatif de la série.
Le résumé en est tout simple : alors que le Grand Schtroumpf doit s’absenter pour quelques jours, les autres Schtroumpfs réalisent qu’il lui faut un remplaçant! S’ensuit une belle bagarre (digne de celles du village d’Astérix) qui force tout le monde à opter pour une approche plus démocratique! C’est donc à une campagne électorale en bonne et due forme qu’on a droit, avec tout le pataclan : pancartes, discours, promesses ridicules… Puis élection, perversion, corruption et abus de pouvoir!! En effet, l’heureux élu passe très rapidement «du côté sombre de la Force», pour parler comme les fans de la saga Star Wars!! ;-) Exigeant maintenant de se faire appeler le Schtroumpfissime, l’imbu personnage se créera une petite armée qui l’aidera à imposer ses décisions aux récalcitrants… qui se rebellent et quittent de plus en plus nombreux le village pour aller joindre un camp de Résistants, bien caché dans la forêt environnante. Comment cette malheureuse guerre civile se conclura-t-elle?
Vous trouverez ici-bas mes commentaires plus pointus sur l’album comme tel. Toutefois, je peux vous rassurer tout de suite : le succès interplanétaire qu’a connu Peyo n’est pas dû au hasard! Avec l’aide (bien souvent, et c’est le cas ici!) d’Yvan Delporte pour ses scénarii, il sait construire des récits au ton tout à fait juste, d’une intelligence indéniable, d’un humour qui fait mouche et d’une touche fantaisiste qui avait tout pour nous faire rêver!! Puis, il rajoute à cela un dessin qui a rapidement frôlé la perfection (et qui a fait école… littéralement : je vous rappelle que la moitié des grands dessinateurs de l’époque sont passés par le studio de Peyo!!! J’en ai parlé, il y a longtemps, ici!)! Au final, on se retrouve avec une œuvre incontournable, un classique des classiques du neuvième art… D’où la dure cruauté de la critique à l’égard du travail du fils Culliford, quand il en est venu à s’approprier les chaussures de son père : la pointure était très grande!!
Je reste quand même un adorateur de la première vague, toujours un peu mitigé à l’idée de lire les titres parus après 1985… Peut-être est-ce simplement pour conserver ma douce bulle de féérie que je me suis forgée, enfant?? Elle est si facile à crever!! (Croyez-moi : j’ai souvent voulu réécouter des séries de dessins animés ou des films qui m’avaient tant chaviré, étant jeune… L’HORREUR!! Un bon conseil : ne réécoutez jamais les films de Tintin avec Jean-Pierre Talbot dans le rôle-titre, ni les épisodes de Vicky le Viking ou ceux du Capitaine Flam!!! La désillusion fait trop mal : ça a tellement mal vieilli que c’en est totalement mauvais!! Gardez plutôt vos impressions d’enfance!!)
À noter : cet album, le Schtroumpfissime, vient d’être republié, il y a quelques mois, dans une édition spéciale où l’on en a analysé toute la portée politique. C’est d’ailleurs cette édition que mon ami Jérôme a choisi de critiquer, pas plus loin qu’ici!
À noter aussi : Les Schtroumpfs, c’est une série pour toute la famille… mais pas avant huit ans! En effet, plusieurs pensent (à cause du charme graphique de ces créatures, sans doute) que c’est pour les tout jeunes enfants, de cinq ou six ans. C’est oublier que le langage schtroumpf demande quand même un certain niveau d’abstraction et une connaissance assez poussée de la langue française! Ne commettez pas l’erreur!
Plus grandes forces de cette BD :
- le Schtroumpf grognon! Autant je n’aime pas trop l’image négative que projette ce personnage (un peu pour les mêmes raisons que celles que j’exposais il y a peu dans ma critique du troisième tome du Crépuscule des dieux), autant ses nombreuses répliques «Moi, je n’aime pas…» me font tordre de rire! Surtout quand il trouve à déformer le sens du mot qu’il entend (ex. : quelqu’un dit : «Chut!» et il réplique : «Je n’aime pas les chutes!», ou il entend : «Je vote pour moi!»… et lui de répondre : «Je n’aime pas les mois!». Delporte et Peyo se payent de bons jeux de mots, en somme!
- le thème, très habilement exploité. Grâce à cet album, les jeunes peuvent clairement comprendre ce qu’est une campagne électorale, pleine de promesses (pas toujours tenues!!) puis l’illustration du vieil adage : le pouvoir corrompt! En plaçant une partie des Schtroumpfs en situation de désobéissance civile et de résistance active, les scénaristes y vont d’un message quand même assez subversif, mais dans un contexte bien cadré, bien démontré. Bravo!
- la qualité des dessins! Déjà, et ce n’est qu’un des tout premiers tomes de la série, les traits de Peyo sont bien ronds, bien proportionnés! On voit que ce grand dessinateur avait un talent fou!
- un humour sympathique, qui s’exprime sous diverses formes! Outre le désopilant Schtroumpf grognon, dont j’ai déjà parlé, il y a le Schtroumpf musicien qui parvient à commettre des couacs complètement incongrus avec tous les instruments qu’il touche (en entendant «Rblam rataclic bam toc pouêt!», vous auriez su que ça provenait d’un tambour, vous??!). On fait donc dans le burlesque. Puis, quand le Schtroumpf à lunettes est fait prisonnier et qu’il se voit libérer en grand héros, on tombe dans un humour beaucoup plus subtil, où un léger sarcasme se mêle à du contre-emploi. Avec le Schtroumpf conspirateur qui n’arrive pas à savoir quand on parle de l’oppresseur ou quand on parle de l’opprimé, à la p.21, on est dans un comique de situation bon enfant mais génialement efficace!! Les auteurs se risquent même à des jurons qu’on peut imaginer, nous, adultes, salaces… mais que le vocabulaire schtroumpf vient rendre tout à fait anodin! Oui, vraiment, bravo à Delporte et Peyo!
- (sur un plan tout à fait personnel) illustrer un grand nombre des figurines que j’avais, enfant! Comme je ne possédais pas cet album, j’ai dû ne le lire qu’une fois, vers l’âge de dix ou onze ans, contrairement à ceux qui m’appartenaient (que j’ai dû relire, eux, des dizaines de fois!). Aussi, je ne me souvenais pas que ce récit mettait en scène tant de personnages que j’avais dans ma collection de figurines : le Schtroumpfissime, bien sûr, mais aussi le conspirateur et le prisonnier! Ces costumes bien spécifiques ne figurent dans aucun autre opus, aussi les avais-je à peu près oubliés!
- l’amusante expédition punitive en forêt contre la Résistance! Les bévues et idioties commises par les Schtroumpfs de main du Schtroumpfissime sont vraiment amusantes, alors que le mouvement contestataire semble tout à fait festif!
- l’abondance de planches! Ah le bon vieux temps où les albums avaient 62 pages!! Sans compter que Peyo y va en plus de cinq strips par planche!! Ça en fait, du dessin!! Et avec un récit de 40 pages suivi d’un second de 20, on peut presque parler de deux récits complets!! Et tout ça pour le même prix!! Miam miam!
Ce qui m’a le plus agacé :
- l’inversion des récits. En effet, le second récit (Schtroumpfonie en ut), plus court, présente, en quelque sorte, le malheureux Schtroumpfs musicien. Or, le Schtroumpfissime fait appel à ce même musicien dans le premier récit. Logiquement, Schtroumpfonie en ut devrait être lu en premier… et c’est d’ailleurs ce que confirme les années de parution originales, dans le magazine Spirou (Schtroumpfonie en ut en 1962, le Schtroumpfissime en 1963)!
- les couleurs. Elles sont bien, surtout pour l’époque, mais quand même pas aussi vibrantes qu’elles ne le sont maintenant. Je ne sais toutefois pas si c’était déjà Nine Culliford, l’épouse de Peyo, qui colorisait à l’époque… car elle a presque tout colorisé, vous savez!? Encore même pour le dernier tome en date, les Schtroumpfs de l’ordre, paru un peu plus tôt cette année (et reprenant un peu le même thème, celui de l’abus de pouvoir, si je ne m’abuse?!)!! La rumeur veut même que ce soit elle, madame Peyo en personne, qui aurait proposé à son mari d’opter pour le bleu, quand est venu le choix de la couleur de peau de ces gentilles créatures, à leur création, en 60!
- certains membres moins charismatiques. Je n’ai jamais aimé le caractère trop verbeux du Schtroumpf à lunettes! Ses textes sont longs à lire… d’autant plus qu’ils ne sont jamais intéressants : il y a des limites à lire des séries de proverbes sentencieux à la sauce schtroumpfe. C’est d’aucun intérêt, et jamais drôle. Évidemment, s’il me tape royalement sur les nerfs, c’est qu’il joue bien son rôle (et j’avoue que j’ai bien aimé le voir jouer le Schtroumpf ordinaire, incognito, sans ses lunettes, à la p.11, pour tenter d’aller voter une deuxième fois!!)! De plus, je dois avouer que le Schtroumpf farceur, avec son sempiternel gag du cadeau explosif, m’horripile assez : comment se fait-il que les autres tombent encore irrésistiblement dans le panneau?!?!
- la finale, boboche à souhait! Elle est si décevante que je n’hésite même pas à la révéler ici (avis à ceux qui veulent se garder la «surprise»!) : le Grand Schtroumpf revient, le Schtroumpfissime fait amende honorable… et tous lui pardonnent dans la seconde qui suit!! Voilà!! C’est bouclé, en cinq cases!! Beaucoup trop simpliste à mon goût, surtout après trente-huit pages de récit!! Je sais que le public-cible exige une fin heureuse, mais il me semble qu’elle aurait pu faire un peu moins dans le bon sentiment et la guimauve…
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