#01- FUREUR MEURTRIÈRE
Scénariste(s) : Luc THIBAULT
Dessinateur(s) : Luc THIBAULT
Éditions : les 400 coups
Collection : Rotor
Série : Section des homicides
Année : 2011 Nb. pages : 78
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Thriller
Appréciation : 3.5 / 6
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Un thriller policier québécois??!!
Écrit le dimanche 16 octobre 2011 par PG Luneau
Si, depuis quelques mois, je vous parle souvent de la collection Rotor, de chez 400 coups, c’est parce que je l’aime beaucoup! Je suis très content, en effet, que des éditeurs québécois aient pris le beau risque de publier des BD «de genre». On a tous une bonne idée du peu d’intérêt que portent les intellectuels de la littérature à la S.F., au fantastique, au policier ou à l’heroic fantasy, par exemple. On se doute aussi du peu d’estime que plusieurs portent à la BD. Imaginez, dans un tel contexte, comment doit se sentir un bédéiste qui fait dans l’anticipation, l’horreur ou les superhéros quand il doit faire son porte à porte, d’éditeur en éditeur, afin d’en trouver un qui veuille bien le publier!! Pourtant, quoi qu’en pensent les critiques, ces genres littéraires ont la cote auprès d’un public de plus en plus large, en BD comme en romans! Aussi suis-je très heureux que la collection Rotor offre une vitrine d’une aussi grande qualité à ces créateurs et qu’elle nous permette d’avoir accès à ces œuvres qui s’approchent peut-être plus du divertissement que de l’art, mais qui intéressent peut-être plus de gens pour cette même raison!
Ainsi, voilà qu’une nouvelle série policière voit le jour dans ma collection chouchou. Il s’agit de la Section des homicides qui, comme son nom l’indique, nous permettra de suivre certains membres du S.P.I., le Service de Police Interprovincial, dans leurs enquêtes pour résoudre les mystères entourant les meurtres sordides qui surviennent dans notre Belle Province. Dans ce premier opus, qui forme une enquête complète, on se transporte en très haute Côte-Nord, à plusieurs kilomètres au nord-ouest de Fermont.
Baie-Kawina est sous le choc! Edgar Morissette, le propriétaire du magasin général, a été assassiné! Deux enquêteurs du S.P.I., les agents Tom Manville et Paul Lambert, quittent leur bureau de notre Vieille Capitale pour ce coin perdu. L’hiver y est rude, mais pas suffisamment pour refroidir les ardeurs, dirait-on! En effet, suicide, assauts, voiture piégée, explosion, appels et lettres anonymes ainsi que de multiples tentatives de meurtres s’amoncèlent en cette petite communauté de 1800 âmes généralement si paisibles!
De prime abord, on constatera que tous les poncifs d’un bon récit policier classique sont présents dans cet album : le rythme est haletant, les péripéties variées, les revirements surprenants et l’ambiance, inquiétante à souhait… Mais certaines lacunes majeures viennent toutefois ternir le tableau.
D’abord, je ne peux passer sous silence le caractère didactique et peu naturel de plusieurs dialogues. Dès la page 6, les deux héros prennent le chemin de Baie-Kawina en s’expliquant mutuellement la géographie québécoise, comme de mauvais comédiens récitant un texte appris par cœur! C’est tellement plaqué et artificiel que ça en est risible!! Voyez par vous-même : «Ce village est situé au nord de la province de Québec, en fait sur la rive nord de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent.»… Parleriez-vous ainsi à un confrère de travail, en roulant en voiture en direction de Charlevoix, par exemple?? C’est plutôt pathétique, non? En fait, suite à ma recherche d’explications, j’hésite entre deux possibilités. J’ai l’impression que soit ce texte était destiné à faire partie d’un encadré narratif, mais que l’auteur a finalement eu la mauvaise idée de l’utiliser comme réplique, ou que soit le personnage du deuxième policier (celui qui reçoit cette «édifiante» explication) ait peut-être été conçu, dans une version préliminaire, comme un policier français ou étranger de passage dans notre province, d’où la nécessité de lui donner ces précisions insipides que seuls les non-Québécois ne connaissent pas. Toutefois, si cette dernière hypothèse explique joliment ce mystère, il n’en demeure pas moins qu’elle n’excuserait pas le fait que monsieur Thibault ne se soit pas donné la peine de réviser son texte plus sérieusement, une fois qu’il ait finalement décidé que ses deux héros allaient être des Québécois pure laine!
De plus, si quelques informations sur les méthodes d’investigations policières sont intéressantes et démontrent une belle recherche documentaire de la part de l’auteur, il reste à celui-ci à apprendre à les intégrer à ses dialogues de manière plus coulante… ou de les inscrire carrément sous forme de narratifs.
Un autre des aspects plutôt malhabiles de Fureur meurtrière, c’est la finale horriblement garrochée, pour utiliser cet éloquent québécisme! C’est très dommage, après soixante-quinze pages d’un récit bien rythmé, de voir tout ça gâché par une dégringolade d’actions qu’on essaie de rentrer de force en deux planches, noyant le tout de longs narratifs surchargés d’informations archi-importantes! Il est clair que monsieur Thibault aurait eu besoin de six à dix planches de plus pour nous présenter tout ça de manière narrativement plus digeste. Mais avec ses 78 pages, il avait probablement trop dépassé, déjà, les standards normalisés de la collection! Encore ici, cette erreur est bien regrettable car elle laisse un goût amer suite à un récit, ma foi, pas si mal. En fait, il m’apparaît que monsieur Thibault a un excellent potentiel, mais qu’une supervision plus serrée ou un coaching avec un scénariste plus aguerri l’aiderait à corriger ses petites lacunes scénaristiques.
Sur le plan graphique, Thibault nous sert un dessin très réaliste, mais parfois malhabile (comme le démontre le chien famélique de la page 4, par exemple). De manière générale, j’ai trouvé les traits de ses personnages très carrés et un peu rigides, et son encrage peut-être un peu trop appuyé. S’ils ne me plaisent pas outre mesure, je conviens que ces choix conviennent néanmoins tout à fait à ce contexte d’aventures viriles suintant la testostérone, et le tout n’est pas déplaisant pour autant. Ici encore, j’ai l’impression que le potentiel est là et qu’avec de la pratique, les dessins s’affirmeront en se raffinant.
Fureur meurtrière nous offre donc une lecture intéressante (déconseillée aux moins de treize ans, par-contre), dont je garderai, somme toute, de bons souvenirs. Même s’il aurait gagné à être révisé et peaufiné, cet album a le mérite de nous offrir un récit complet, dans un genre très peu exploité au Québec. Gageons que l’auteur saura parfaire ses prochains scénarii et son dessin dans les tomes à venir, de manière à ce que nous puissions suivre encore longtemps les enquêtes du S.P.I.
Plus grandes forces de cette BD :
- la page de garde qui nous montre une scène surprenante et intrigante… Quel dommage qu’elle ne se retrouve pas dans ce récit!! Dans un prochain tome, peut-être?!
- le contexte québécois. J’ai trouvé très drôle de reconnaître un camion de livraison Flamingo, sur la route, à la p.7!! On n’aurait jamais vu ça dans un album européen!
- de bons liens entre les suspects, et de belles fausses pistes. On sent bien le côté «petite communauté isolée où tout le monde se connaît, où tout finit par se savoir».
- une intrigue efficace. L’adrénaline et les revirements sont au rendez-vous. Une ambiance angoissante est habilement mise en place, et le tout n’est pas sans rappeler les aventures de mon bon vieil ami Ric Hochet. Et pour ce qui est du duo Manville-Lambert, ne trouvez-vous pas qu’il peut nous faire penser, dans une certaine mesure, à Blake & Mortimer, visuellement du moins?
- une certaine précision dans les informations d’ordre technique. Manifestement, Thibault a fait une recherche sérieuse. Par exemple, son explication de l’utilisation de la nihydrine, à la page 75, est très crédible.
Ce qui m’a le plus agacé :
- le dessin, un peu vieillot. Il donne l’impression d’avoir été fait dans les années soixante ou soixante-dix. C’est surtout à la vue des visages et des coiffures de femmes qu’on en vient à cette constatation. Pourtant, je ne crois pas que le récit soit censé se dérouler en 1970!?
- la coloration des ombrages, un peu malhabile. C’est particulièrement notable dans les visages féminins, comme ceux de l’épouse de Manville, à la p. 4 ou de madame Morissette, au centre de la p.45. De manière générale, les couleurs sont plutôt fades.
- certains problèmes de proportions ou de perspective : Ie chien dans l’escalier hyper à-pic de la p. 6, les gens sur le bord de la rue (même page, 3e vignette), si petits qu’on dirait des lilliputiens, l’enfant de la p. 9 qui arrive au nez de l’homme qui l’accompagne dans la 1re vignette pour ne plus atteindre que ses aisselles, trois cases plus loin!... Ce serait à travailler.
- les dialogues, hyper didactiques! C’est trop souvent très plaqué, comme pour renseigner un Européen ignare, et ça manque de naturel. Tout est trop souligné à gros traits, comme l’explication de ce qu’est du blanchiment d’argent (à la p. 67) ou celle sur l’apparition des banques de données criminelles informatisées (p. 55).
- l’appellation S.P.I. Pourquoi «Interprovincial»?? Les futures intrigues nous entraîneront-elles chez nos voisins ontariens ou néo-brunswickois?
- la conclusion, engoncée dans les deux dernières planches. Celles-ci sont surchargées, elles débordent de texte, d’explications essentielles… et de raisonnements forcés! L’épisode de la montre volée était finalement totalement inutile, sinon pour pouvoir forcer ce «déboulement» final!… Et que penser des trois blessés graves (Mmes Morissette et Gascon et l’agent Beaudry) qui s’en sortent à la dernière seconde! Ça fait bien trop hollywoodien pour être satisfaisant! Dommage…
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