#03B- TRAHISON, 2E PARTIE
Scénariste(s) : Eric SHANOWER
Dessinateur(s) : Eric SHANOWER
Éditions : Akileos
Collection : X
Série : Âge de bronze
Année : 2010 Nb. pages : 128
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (3B/7)
Genre(s) : Aventure mythique
Appréciation : 4.5 / 6
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À la guerre comme à la guerre!
Écrit le samedi 30 août 2014 par PG Luneau
Tomes lus : #3B – Trahison, 2e partie (2010, 128 p., Récit à suivre)
#HS – l’Âge de bronze - les Coulisses de l’œuvre (1999, 96 p., Court récit et documentaire)
Ce printemps, j’ai écouté en rafale la télésérie Odysseus, une coproduction européenne qui relate non pas la célèbre épopée du retour d’Ulysse, suite à la Guerre de Troie, mais plutôt son arrivée à Ithaque, avec les différentes réactions qu’elle suscite auprès de ses proches qui l’attendaient depuis une vingtaine d’années. On y croise Ulysse, Pénélope et Télémaque, bien sûr, mais certaines autres figures mythiques importantes y font des apparitions, comme le grand Ménélas… ou même la belle Hélène, cette sublime beauté à l’origine de tout cet effet domino qui a mené à la terrible guerre entre Troyens et Achéens.
Me replonger dans cet univers m’a fait réaliser qu’il y avait longtemps que j’avais délaissé la fabuleuse série l’Âge de bronze, d’Eric Shanower. Ma lecture du tome #3A datant de juillet 2009 (cinq ans!?!), j’ai décidé de me retaper les trois premiers tomes (548 pages en tout, ouf!) avant de me mettre au tome #3B.
Évidemment, il s’agit de la suite directe du tome précédent. On y retrouve donc le petit groupe d’Achéens venu faire une ultime tentative de réconciliation. En attendant la réponse du roi Priam, cette ambassade de la dernière chance se retire pour la nuit dans la demeure d’Anthénor le Troyen. Priam et lui leur ont promis la protection due à une telle ambassade… mais ça ne veut pas dire que d’autres Troyens ne tenteront pas d’en profiter!!?
Est-ce vous brûler un grand scoop que de vous révéler que cette diplomatie s’avérera inutile et que la guerre aura lieu??! J’espère que non, et que vous êtes prêts pour la bataille parce que ça y est!! Agamemnon, Ménélas, Ulysse, Achille et tous leurs alliés grecs déferlent sur les plages de Troie, et le sang coulera en abondance dès les premières confrontations! Depuis le temps qu’on les attendait, à l’instar des protagonistes, ces combats devraient nous combler… Et pourtant...
J’avoue ne pas avoir été aussi emballé que je l’aurais souhaité par l’enclenchement des hostilités, mais pour une raison bien précise : la difficulté que j’ai eu à décortiquer toutes ces scènes!
Comprenez-moi bien : depuis plus de 550 pages, on s’évertue à distinguer la quarantaine de personnages récurrents (une vingtaine par camp) à l’aide de leur nom, leur chevelure, leur barbe, les traits spécifiques de leur visage et leurs rapports avec les autres… et avec, il faut bien l’avouer, le support des arbres généalogiques généreusement mis à notre disposition dans les premiers tomes! Mais voilà qu’ils se retrouvent tous dans la mêlée, tous clans confondus, avec de gigantesques casques cornus (assurément conformes, historiquement parlant, mais qui leur donnent un air ridicule), casques qui ont le malheur de nous cacher leur cheveux!! Ajoutez à cela que Shanower a décidé de couvrir leur visage de dégoulinures de sueur et de sang, ce qui leur donne à tous des airs de lépreux ou de zombies, et vous comprendrez qu’il devient très ardu, voire impossible, de reconnaître qui que ce soit, de démêler qui frappe qui, qui tombe, qui est blessé et qui a l‘avantage!!? :^(
Les 10 planches du combat de la plage sont un véritable aria à décoder, exigeant qu’on s’attarde au moindre petit élément d’armure ou de couvre-chef pour identifier tous ces héros perdus parmi la centaine de quidams que l’auteur jette dans l’action! C’est beau, c’est physique, c’est plus que crédible... mais c’est difficile à suivre!! Et les 12 pages de chants mortuaires et de rites funéraires qui suivent ne sont pas pour rendre le tout plus palpitant!! Heureusement, la belle histoire d’amour entre Cressida et Troïlos, les Roméo et Juliette de l’époque, surplombe tout l’album et dépose une touche de tendresse, de drame déchirant et même d’humour (!? ;^) sur ces rudes scènes surtestostéronées.
En fait, Shanower poursuit sur sa lancée : le résultat sera un chef d’œuvre de rigueur, d’exhaustivité et de splendeur… mais il est clair que vous ne pourrez pas vous contenter de lire chacun des futurs tomes au rythme, infiniment lent (la qualité exigeant du temps!!) de leur parution!! Si on veut profiter pleinement du récit, on doit avoir tous ses innombrables éléments en tête… mais il y en a tant, que c’est impossible de tous se les remémorer au bout des trois ou quatre ans qui séparent la parution de chacun des tomes!! Pour ma part, je ne crois pas que je me retaperai toutes ces 676 pages dans 4 ans, avant de lire le tome #4, puis encore les mêmes 800 pages, 4 ou 5 ans plus tard, avant le tome #5, et ainsi de suite jusqu’au chapitre final!! J’attendrai probablement la parution du 7e et dernier tome (qu’on peut présumer quelque part vers l’an 2028 ou 2030, si on se fie au rythme actuel!??!) et je me replongerai alors une bonne fois pour toute dans cette épopée.
Heureusement, les éditions Akileos ont eu la bonne idée de nous soumettre (en 2006, entre les parties A et B du tome #3… peut-être pour nous aider à patienter??!!) un hors-série fort instructif intitulé l’Âge de bronze – les Coulisses de l’œuvre. Cet album nous offre, outre de nombreux croquis et un dossier très complet sur l’historique du projet et la démarche de l’auteur, un court récit, en BD, racontant les horribles origines de la malédiction des Atréides, dont Ménélas et Agamemnon subissent encore les contrecoups. J’avoue que la lecture de ce volume m’a grandement intéressé, d’autant plus que son Who’s who, avec tous les personnages, s’est avéré d’une aide salutaire tout au long de ma (re)lecture!
Avis, donc, à tous les fans de mythes grecs et de récits épiques, à tous ceux qui veulent, comme moi, tout connaître de la Guerre de Troie sans avoir à se taper l’Iliade d’Homère : l’Âge de bronze est pour vous… pour autant que vous ayez un excellent sens de l’observation… ou que vous ne soyez pas aussi maniaque que moi sur les détails!! ;^)
À lire aussi : mes critiques des tomes #1 & 2.
Plus grandes forces de cette BD :
- l’importance accordée à l’honneur et à la filiation. Je trouve que Shanower rend bien toute l’importance de la lignée («Bonjour à toi, Untel, fils de Untel, petit-fils de Untel!») et toute l’emphase mise sur la gloire et les honneurs qui retombent sur les valeureux qui vont donner leur sang, à la guerre. En lisant cette série, il est clair que tous ces hommes ont l’air fier d’être aux côtés de ces héros, et prêt à tout pour dorer leur réputation de guerrier. En fait, je ne sais pas si c’était vraiment ainsi que les gens pensaient alors, mais ça cadre bien avec la représentation, peut-être un peu folklorique, qu’on se fait de ces époques héroïques! ;^)
- la chouette idée de mise en pages, quand les combats réguliers deviennent presque routiniers. J’aime beaucoup cette idée d’avoir juxtaposé, pendant 10 pages en parfait gaufrier de 8 cases, deux colonnes de vignettes, celles de gauche nous montrant des scènes de combats divers, celles de droite, des scènes du quotidien d’après-bataille: les retours, en soirée; Cassandre qui s’évertue à psalmodier les horreurs à venir; les mises en gardes des épouses et des mères éplorées; les prières aux dieux; les conseils de guerre… Cette alternance entre barbaries sanglantes et repos tourmentés accentue cette impression de routine qui s’installe, de temps qui passe, chaque jour s’égrainant comme les précédents… avec ses tonnes de morts et de blessés. C’est la banalisation de l’horreur par sa quotidienneté, finalement… Fascinant!
- la très intéressante histoire d’amour entre Troïlos, fils de Priam, et Cressida, fille du devin Calchas, ancien Troyen qui travaille maintenant pour le camps des Grecs, ce qui fait de lui un traître… La pauvre fille écope du déshonneur de la famille, ce qui complique infiniment son histoire d’amour avec le prince royal!! Cette passion assure une touche de romantisme salutaire à travers tous ces bras tranchés, ces yeux perforés à coup de lance ou ces armures lacérées!!
- le court récit relatant les origines et les conséquences de la Malédiction des Atréides, dans le hors-série. Ce récit de 18 planches est dessiné un peu plus «brutalement» que le récit normal, mais il fait référence à des pans de l’histoire familiale qu’il ne fait peut-être pas bon se remémorer avec clarté!! ;^) En effet, on se rappellera que l’histoire d’Atrée et de ses descendants est marquée de tant de viols, de meurtres fratricides, de perversions, d’incestes et d’autres horreurs, et les dieux y sont si entremêlés que peut-être monsieur Shanower a-t-il préféré l’aborder dans un optique un tantinet moins réaliste, stylistiquement parlant. C’est un point de vue qui se défend bien… ;^)
- le nombre astronomique de personnages primaires et secondaires!! Chacun a non seulement son look et sa personnalité propre, mais la plupart d’entre eux ont eu, depuis le temps, leur part de lumière, via une version de la légende qui le mettait à l’avant-plan!! Shanower, dans son souci d’exhaustivité, leur laisse souvent la place qui leur revient… d’où l’ampleur colossale du travail!!
- les deux merveilleux «Qui est qui?», l’un pour les Troyens, l’autre pour les Achéens. Sommairement illustrées du croquis de la tête de chacun des protagonistes (57 Thébains et 70 Grecs!!!), ces listes nous aident à les reconnaître, d’autant plus qu’elles sont accompagnées d’un petit descriptif qui nous rappelle leur filiation, leur fonction ou leur plus grand rôle dans l’histoire. Un must, que j’ai maintes fois consulté, par la suite! ;^)
- l’étonnante diversité des visages et des expressions faciales. Avec sa quarantaine de personnages principaux, Shanower a vraiment le terrain de jeu idéal pour étaler toute l’amplitude de son savoir-faire!! La section des croquis du hors-série nous permet un vaste survol de toute cette multitude de formes de nez, de fronts, de yeux, etc. De plus, Shanower maîtrise vraiment tous les muscles faciaux… graphiquement parlant! ;^) Il sait les utiliser pour exprimer toute une gamme d’émotions subtiles. C’est très impressionnant!
- la précision architecturale et historique, de très haut niveau. Le hors-série nous offre la chance de réaliser à quel point l’artiste s’est vraiment basé sur les découvertes archéologiques les plus récentes pour concevoir chaque palais, chaque citadelle, chaque vaisseau, chaque pièce de vêtement, bijou, armure ou coutume présentés dans sa série. Tout a été rigoureusement vérifié! On le constate notamment si on s’attarde aux petites notes qui parsèment certaines des esquisses! J’en ai trouvées qui précisent que «le palais de Troie devait avoir des colonnades carrées, alors que celui de Mycènes devait en avoir des rondes, avec chacun très exactement 16 rangées de petits picots en relief»!! Une telle précision me laisse complètement baba!! ;^O
- la mégachronologie des naissances, mariages, décès et exploits de chacun de tous les héros (du moins, la quarantaine des plus importants!!). Afin d’avoir une idée de l’âge respectif de chacun d’eux, Shanower a dû rédiger une telle chronologie, l’obligeant parfois à trancher entre deux mythes contradictoires ou de tenter de réparer certaines aberrations illogiques qui transparaissent quand on entrecoupe certains mythes (comme certains héros que l’on dit présents à des exploits survenus alors qu’il n’était pas encore né, par exemple!! ;^) Shanower est vraiment un maniaque, comme… on peut peut-être même dire pire que moi, si c’est possible!! ;^)
Ce qui m’a le plus agacé :
- la disparition de la carte géographique et des arbres généalogiques! Akileos se ramollit un peu. Bien que les voyageurs se déplacent beaucoup moins, dans cet opus que dans les précédents, la carte aurait néanmoins été utile pour nous aider à localiser la provenance des différents alliés, par exemple. Ainsi, quand «Untel, roi de Parlà» vient rejoindre un des deux camps, on aurait pu mieux visualiser les alliances. Et les arbres généalogiques auraient sûrement aidé à démêler la trentaine de combattants méconnaissables qui jalonnent tout l’album!! :^(
- la grande difficulté à reconnaître les personnages, une fois sur le champ de bataille. Mais comme j’ai amplement disserté sur ce sujet plus haut, on peut passer au point suivant! ;^)
- l’absence de pagination, tant dans le tome #3B que dans le hors-série. Grrr….
- quelques longueurs, dans la scène du combat sur la plage (une vingtaine de pages) et, surtout, ce qui s’en suit. En effet, malgré l’originalité de leur mise en pages, je dois avouer que j’ai été un peu assommé par tout ce qui a suivi ce combat : les festivités, les libations, les deux chants liturgiques (interminables!!), le rêve de Cressida, la prière de Priam, le discours de Podarcès sur la mort de son frère Iolaos… Bref, j’avais vraiment hâte que ça aboutisse sur quelque chose de plus constructif, avec plus de mordant.
- le grand nombre de bulles au texte complètement excentré ou mal disposé. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec cette édition, mais il y a quelqu’un, du calligraphe ou de l’imprimeur, qui était à côté de ses pompes!! :^O À plusieurs reprises, on passe près de perdre quelques lettres, quand on n’en perd pas, carrément (et jusqu’à 5 ou 6 dans certains cas!!) C’est vraiment décevant d’un éditeur dont on sait qu’il peut être efficace. La cerise sur le sundae?? Un phylactère entier en anglais, rien de moins!!!!!!!!! :^O J’aimerais vous indiquer à quelle page, mais puisqu’il n’y a pas de pagination… :^(
- l’absence d’uniformisation orthographique!! C’est vraiment très apparent dans le hors-série : à la quantité faramineuse de personnages, on peut difficilement se permettre d’hésiter, en plus, à savoir si Aegiste et Egisthe est la même personne!!??! Sans même chercher, j’ai dénoté quatre autres coquilles du genre (Anthénor vs Anténor, Astyoche vs Astyoché, Tenes vs Tènès, Aithré vs Aethré). Un correcteur-vérificateur aurait dû repasser pour s’assurer d’une plus grande homogénéité!!
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