#02- L'OR DU VICE
Scénariste(s) : Thierry GLORIS
Dessinateur(s) : Jacques LAMONTAGNE
Éditions : Quadrants
Collection : Quadrants Boussole
Série : Aspic, détectives de l'étrange
Année : 2011 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (2/2)
Genre(s) : Aventure policière, Historique esotérique, Humour
Appréciation : 4.5 / 6
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Au «diab' el'vert» avec Javert!
Écrit le dimanche 30 octobre 2011 par PG Luneau
Reprenant exactement là où la Naine aux ectoplasmes se terminait, ce deuxième tome de la très belle série Aspic, détectives de l’étrange permet enfin au détective Dupin et à Flora, qui se proclame sa «stagiaire», de poursuivre – et de conclure! – leur enquête respective afin de découvrir qui l’identité du mystérieux responsable de la disparition de la petite spirite et qui celle du voleur de la montre de monsieur Beyle… bien qu’il s’agisse, on s’en doutait bien, finalement, d’une seule et même personne!
Ainsi, Dupin avait bien vu juste : le secret de l’étrange Hugo Beyle, le «premier client» de Flora, est maintenant éventé. Mais cela ne met pas fin en aucune façon aux recherches pour retrouver madame Wuthering, la fameuse naine, qu’on a de plus en plus de raisons de croire encore en vie!! De même, les nouveaux ennuis de santé de monsieur Beyle font en sorte de mettre encore plus de pression sur Flora et la poussent à s’informer le plus vite possible au sujet d’une importante pierre qui ne serait pas qu’angulaire, dans toute cette affaire, puisqu’elle serait… philosophale, de surcroit!!
Donc, alors que Dupin et l’inspecteur Nimber suivent leurs pistes qui les mènent du côté de la Coterie des Camelots du Crime, association regroupant tous les malfrats du monde interlope parisien, Flora et Hugo se retrouvent à danser au Moulin rouge et à se confronter à un fantôme machiavélique aux pouvoirs de plus en plus inquiétants : nul autre que le spectre ectoplasmique du fameux Javert, maintenu dans notre plan astral grâce à l’Or du vice!! Mais qui donc finance ce dégoutant traqueur d’hommes, et dans quel but??
C’est encore à un fort intéressant album que messieurs Gloris et Lamontagne nous convient. Le mélange d’aventure, de fantastique, d’histoire et d’humour est savamment agrémenté de croisements littéraires multiples, des plus originaux. Je suis vraiment sous le charme de cette série, d’une légèreté tout à fait charmante! À un point tel que je préfère ne pas me formaliser de l’important bogue scénaristique qui enclenche le dénouement final (voir plus bas) et qui, en temps normal, m’aurait fait complètement décrocher! C’est dire combien le reste est agréable, tant à l’œil qu’à l’intellect!… À moins que j’aie le pardon plus généreux avec l’âge??!! Chose certaine, il s’agit ici d’un autre bel album québécois (à moitié, quand même!!) que je recommande chaudement, d’un divertissement digne des spectacles de french cancan!! Dès douze ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- la couverture, aussi grandiose que celle du tome #1. Avez-vous remarqué l’expression faciale de la danseuse à la droite d’Hugo, celle à qui il met la main au popotin?! C’est délicieusement grivois, amusant et, surtout, très subtil, ce gag. J’adore!
- ma dédicace. J’ai en effet eu la chance de discuter un peu avec monsieur Lamontagne, lors du dernier ComicCon montréalais. Il a eu la gentillesse de me faire le portrait de ce cher Hugo, avec son haut-de-forme et sa bonne poire qui lui sert de nez! J’ai beaucoup apprécié cette rencontre… surtout pour l’échange, mais aussi pour ce qui en a résulté!
- le clin d’œil des têtes réduites, sur la page de garde!! Je m’en doutais fort, mais j’en ai eu confirmation de la bouche même du dessinateur (toujours lors de ce même ComicCon) : il s’agit bien de Gloris et de Lamontagne eux-mêmes!! Le dessinateur s’est bien amusé à imaginer de quoi ils auraient l’air, son complice et lui, s’ils croisaient un jour des réducteurs de têtes!! Le résultat est vraiment sympathique!
- le clin d’œil à Gavroche. J’apprécie beaucoup cet effort des créateurs pour intégrer au récit toutes les figures historiques, mythiques, réelles ou fictives, en lien avec cette époque. Ça nous permet d’établir une meilleure «intertextualité», pour utiliser ce terme très à la mode, ces temps-ci, dans le monde de l’éducation, et de consolider la conception que l’on se fait de cette époque!
- les couleurs, très franches et variées. Malgré l’aspect poudreux ou flou qui se dégage de l’album, question de lui donner un air fané de vieille photo sépia, le tout reste néanmoins vivant car Lamontagne sait le rehausser de quelques couleurs vives (les robes de Flora, certains éléments de décor…) mais, surtout, de très intéressants effets spéciaux, comme la fluorescence des spectres ou la luminosité de ses bleu nuit…
- la narration en contrepoint. C’est amusant de voir le parallèle entre les pros (Dupin et Nimber) qui mènent leur enquête dans les règles de l’art, avec l’expérience due à leur ancienneté, et les néophytes (Flora et Hugo), qui s’inspirent surtout de leur fougue, de leur instinct et de leur utopisme! Le contraste est intéressant!
- la double planche au Moulin rouge. Juste au moment où je commençais à me dire que la mise en page était assez proprette et classique, voilà que mon œil tombe sur cette grande page avec petites vignettes encastrées. J’ai pris plaisir à la détailler, et j’ai bien aimé y découvrir la discrète présence de Toulouse-Lautrec, assis dans un coin en train de croquer les danseuses, ainsi que le petit move disco d’Hugo, complètement anachronique! Bien que la salle me semble un peu trop vide à mon goût (l’achalandage du Moulin rouge devait être plus impressionnant que ce que nous montre ici monsieur Lamontagne!), cette grande illustration reste très agréable.
- la légèreté du ton. En effet, bien que le récit se veuille sérieux, un humour bon enfant est toujours bien présent, allégeant les situations parfois périlleuses dans lesquelles les protagonistes se trouvent plongés. Je songe par exemple au commentaire naïf d’Hugo, à la page 13, qui croit que sa méconnaissance des grands philosophes lui nuira dans sa compréhension de ce qu’est la pierre philosophale, ou encore à la bouille impayable de Flora, à la fin de la page 19, alors qu’elle joue avec son nouveau joujou!! D’ailleurs, le dessin de Lamontagne, bien que plus proche du réalisme que du semi-réalisme, contribue néanmoins, lui aussi, à accentuer le caractère amusant d’un récit qui ne se prend pas vraiment au sérieux. En fait, tout au long de ma lecture, j’ai eu l’impression de retrouver le même humour léger mais omniprésent qui transcendait des épisodes télévisuels d’Arsène Lupin de ma jeunesse! D’ailleurs, avec un spectre à l’allure de ceux qu’on retrouvait dans le film Ghostbusters, il peut difficilement en être autrement!
- la fondation de l’agence Aspic, telle que je l’avais devinée à la lecture du tome #1!! En effet, le logotype du nom de la série, montrant l’ombre de Flora et d’Hugo, laissait bien deviner que Dupin, qu’on semblait présenter comme le personnage principal, n’allait jouer, à long terme, qu’un rôle secondaire! Je suis fier d’avoir fait ces déductions par moi-même!! N’est-ce pas là preuve que je suis maintenant prêt à aller porter mon C.V. à l’agence?!
- la conclusion, avec Flora qui écrit à son cousin. Quel amusant clin d’œil que celui de la véritable identité de Johnny l’Rosbeef… et de celle du cousin!! J’ai trouvé ces révélations pertinentes, subtiles, amusantes et joliment amenées! Ça clôt merveilleusement bien ce premier diptyque!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la trop grande ressemblance visuelle entre M. Jeannot, alias Vautrin, et le fantôme de Javert. Quand on fait sa rencontre, j’ai vraiment cru que ce gros bonhomme qui venait mystérieusement «en aide» aux deux héros était une incarnation de l’ectoplasme de Javert, et je ne comprenais pas que Flora et Hugo ne s’en rendent pas compte!! Les deux ont littéralement la même physionomie : rondouillet, gros pif, favoris, chapeau melon… Seuls leurs yeux les distinguent, ceux de Vautrin n’ayant pas la folie de ceux de Javert! Lamontagne aurait dû, je trouve, leur concevoir des physiques plus distincts… à moins que ça n’ait été voulu, pour semer le doute?? Si tel est le cas, je n’en vois pas l’intérêt!
- une grosse incohérence dans l’énigme, à la page 43. Comment Dupin a-t-il pu laisser, cachée dans le chapeau de Nimber, l’adresse de l’endroit où on allait l’enfermer… alors qu’il n’y avait pas encore été amené??? C’est le genre d’incohérence totalement déplorable qui mine complètement la crédibilité d’un récit policier!! Quel dommage!! Juste à cause de la grossièreté de cette bévue, je donne 4,5 au lieu du 5 que j’aurais voulu lui donner!
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