#04- BÉCASSINE CHEZ LES ALLIÉS
Scénariste(s) : Maurice Languereau dit CAUMERY
Dessinateur(s) : Édouard ZIER
Éditions : Gauthier-Languereau
Collection : X
Série : Bécassine
Année : 1917 Nb. pages : 62
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Humour naïf, Historique
Appréciation : 3.5 / 6
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Quand la BD jeunesse se fait propagandiste
Écrit le lundi 05 juillet 2010 par PG Luneau
Quand je regardais les albums de Bécassine, en librairie, il y en avait quelques uns qui ne m’attiraient absolument pas : c’était principalement les trois albums qui avaient une thématique guerrière (Bécassine pendant la guerre, Bécassine chez les Alliés et Bécassine mobilisée). En effet, si je suis un fervent amateur d’Histoire, ma passion s’effrite avec l’arrivée du XIXe siècle, de l’industrialisation et de la modernité. Donc, tout ce qui touche les deux Guerres mondiales ne m’a jamais particulièrement intéressé, et c’est pourquoi je ne pensais pas lire un jour ces trois albums de ma bonniche bretonne préférée.
Mais ma compulsivité de collectionneur étant ce qu’elle est, quand j’ai déniché, en bouquinerie, les trois tomes à moitié prix, je n’ai pas pu m’empêcher de compléter ma série, d’autant plus qu’il ne m’en manque plus tellement pour qu’elle soit complète! Et, ma foi, je ne suis pas trop déçu.
Ce tome-ci, en effet, en est un bon. Parfois, les péripéties vécues par notre tête de linotte favorite sont plus ou moins drôles, comme si Caumery manquait de jus : ça arrive à tout bon scénariste! Ici, l’humour est assez présent, et les anecdotes racontées sont souvent plus amusantes que dans certains autres tomes.
Le récit débute exactement où Bécassine pendant la guerre se terminait. Dès la première planche, donc, notre amie rentre d’Alsace où elle avait assisté, avec la Marquise de Grand-Air, sa maîtresse, au mariage de Monsieur Bertrand, le neveu de cette dernière. Après quelques jours à Paris, où elle découvre très maladroitement le fonctionnement d’une nouvelle invention, le stylo, elle se voit offrir de suivre Monsieur Bertrand et sa nouvelle épouse, Madame Thérèse, tout au long des déplacements que le jeune homme se voit forcé de faire, compte tenu de son rôle d’officier militaire. C’est donc dans la région d’Amiens, d’abord, qu’elle vivra un baptême de l’air pas piqué des vers et qu’elle sauvera un général d’un assassinat… pour de faux! Elle découvrira les merveilles du cinématographe (à ne pas confondre avec le Pigeonographe, tout aussi merveilleux!!), puis elle traversera en Angleterre, non sans avoir été impliquée dans des tonnes de péripéties plus abracadabrantes les unes que les autres : elle ne se refait pas, notre Bécassine!! C’est à Londres qu’elle vivra un des pires traumatismes de sa vie et qu’elle rencontrera un Québécois qui lui donnera des leçons d’anglais!
Puis, de retour à Paris, elle sera confrontée à la dure réalité du rationnement! Ce sera trop pour elle, et elle préférera repartir avec Monsieur Bertrand et son épouse, en Champagne cette fois, vers d’autres missions… et un troisième album se déroulant durant la guerre!
Bien sûr, ça reste des récits d’une autre époque, complètement dépassés et qui ne feraient absolument plus rire aucune enfant du XXIe siècle! C’est vraiment dans des perspectives historiques et ethnologiques que les adultes devraient relire ces albums, ou mieux, les lire à leurs jeunes enfants. Moi, en tout cas, c’est vraiment l’intérêt majeur que je leur trouve : je suis à chaque fois subjugué par les modes de vie, les coutumes, les traditions qui sévissaient alors. Le simple fait de voir vivre une marquise, et de suivre sa «femme à tout faire», toute contente de son sort de subalterne, juste cela permet de constater de la formidable avancée de la cause féministe au cours du dernier siècle, en occident du moins. Les rapports de force, les inventions nouvelles… tout est vu sous l’angle des petites gens, avec naïveté et bonne humeur. C’est fascinant! Et ma crainte du caractère guerrier du récit n’avait vraiment pas raison d’être. Comme pour le tome précédent, j’ai pris plaisir à découvrir cette période. D’autant plus que puisque le récit a été écrit et dessiné PENDANT la Première guerre mondiale, ce qui est presque incroyable, ça lui donne une véracité difficilement contestable, qui rajoute au réalisme et donne un certain cachet au récit.
En fait, ce que je réalise avec plaisir, c’est que je serais prêt à parcourir les endroits les plus déprimants ou à découvrir les gens les plus emmerdants du monde à travers les yeux de ma très chère Bécassine, car, je le sais, avec elle, ce ne sera jamais ennuyant!
P.S.: SCOOP!! Je viens de découvrir que, malgré ce qu'en disent les crédits, cet album et le précédent ont été dessinés par Édouard Zier, car Pinchon était retenu... à la guerre!!
Plus grandes forces de cette BD :
- les fascinants contrastes de la couverture. En effet, j’ai rarement vu une couverture d’album de Bécassine avec un dessin tant travaillé. Observez la texture du manteau qu’elle porte et l’ampleur du drapé que forme l’ensemble des drapeaux. N’est-ce pas que la tête trop parfaitement ronde de notre héroïne tranche royalement avec tout ceci et avec le major Tacy-Turn, sévère pilote britannique qui est dessiné, pour sa part, dans un style tout à fait réaliste? Quand on observe bien, on peut aussi s’amuser à remarquer un autre contraste : Bécassine a le pouce levé, comme si elle était en parfait contrôle de la situation… Mais son visage parfaitement circulaire, avec son absence de bouche et ses deux grands yeux, démontre un air si dubitatif que c’en est tordant : c’est du grandguignolesque tout à fait digne de la série!
- certaines réflexions de la bonne. Le dernier descriptif de la première planche est un bon exemple de cette bonhomie qui me fait tant sourire. Voyez plutôt : Bécassine revient d’Alsace en voiture, et elle nous décrit ainsi le paysage : «et tout le temps des montagnes, des forêts, des cascades. Enfin, un pays superbe. Je suis contente d’avoir vu ça quoiqu’il y avait un tel brouillard, que j’ai rien vu du tout.» Quand je parle d’humour naïf, c’est ce dont je parle : des réflexions dignes d’une invitée à un dîner de cons!!
- certains personnages, avec leur nom ridicule. En effet, chaque personnage de cette série porte un nom qui indique son principal trait de caractère. Par exemple, pas besoin de chercher bien longtemps pour savoir la principale activité de la logeuse de Bécassine lors de son voyage à Amiens : elle s’appelle Mme Ferluyr… et elle frotte toujours partout, de peur des microbes. Mon préféré, dans ce récit, c’est le major Tacy-Turn, un flegmatique et très grave soldat anglais qui travaille de concert avec les Français.
- les tournures de phrases de Bécassine. Ça fait très drôle de lui voir dire, par exemple : «J’ai été aux Halles.» au lieu du plus conforme «Je suis allée…». Est-ce parce que c’était la manière de parler dans sa Bretagne natale? Je ne sais pas mais, chose certaine, ça rappelle souvent nos syntaxes québécoises.
- le simple fait que tout ce récit ait été écrit et dessiné pendant la Première Guerre mondiale!! Ça me jette littéralement par terre. Ça fait si longtemps! C’était bien avant Tintin! On a souvent l’impression qu’un pays en guerre est paralysé, que plus rien ne s’y produit, que tout le monde est terré dans un abri et que plus rien ne bouge. Pourtant, même si la vie en est grandement affectée, elle n’arrête pas pour autant, surtout quand une guerre dure quatre ou cinq ans! Les gens continuent à travailler, à manger, à commercer, etc. Mais de là à publier des albums pour la jeunesse!? Et si propagandiste, en plus! Étonnant!
- la longueur de l’album et la grande quantité de texte. Je crois me répéter mais tant pis : j’aime bien quand j’ai l’impression d’en avoir pour mon argent! Et c’est le cas avec Bécassine car ces albums sont beaucoup plus longs à lire que la plupart des autres.
Ce qui m’a le plus agacé :
- certains textes tout d’un bloc. Quand tous les mots sont collés, ce n’est pas évident à lire! Essayez plutôt : «Nous sommes entréesdanslesalon, et en voyant tout ce qu’ilyavaitàfaire, jesuistombéeassise, de découragement…». C’est comme ça à peu près à chaque planche (et dans la plupart des albums de la série), et c’est un peu désagréable.
- la côté propagande trop appuyé. Nous sommes en pleine guerre, et cet album s’en veut un pour unifier et motiver les troupes et la population, c’est clair! Je crois que le mot «allemand» n’apparaît à peu près nulle part, ce n’est que Boches par ci et Boches par là! Inlassablement, ce surnom péjoratif est accompagné de l’épithète «sales», question de bien faire comprendre aux jeunes lectrices du Journal de Suzette (où les aventures de Bécassine paraissaient en feuilleton) qui étaient les méchants!! Et que dire des très nombreux élans de bons sentiments de Bécassine à l’égard des soldats français ou alliés?! Par exemple, quand Zidore, un ami de Bécassine, lui expose, avec ferveur, qu’il aimerait mieux retourner dans les tranchées avec ses camarades que de rester à Paris, notre héroïne de s’exclamer : « Quel brave petit! Et dire qu’ils sont des millions comme ça! J’ai pas pu me tenir de l’embrasser!» De telles scènes au patriotisme exacerbé reviennent assez régulièrement tout au long du récit, ce qui finit par devenir assez assommant.
- la fadeur relative des couleurs, de même que leur inégalité. Déjà que les tons restent assez pastel et doux (si on fait abstraction du vert pétant de la robe de Bécassine!), il est fort dommage que souvent, certaines pages aient subi un problème d’impression faisant en sorte que les couleurs soient encore plus estompées que de coutume!! Si cet effet, malheureusement fréquent dans la plupart des albums de la série, renforcit leur caractère vieillot, il me semble qu’il affaiblit en contrepartie la qualité des albums et incite moins à partir à leur découverte. Vous ne trouvez pas?
- la laideur du chien allemand. En effet, quand Zidore demande à Bécassine de garder un chien qu’il a trouvé, il est dit que c’est un chien très laid (évidemment, il venait de chez l’ennemi, il ne pouvait pas être beau!). Mais les illustrations le dépeignant nous montrent plutôt un chien horriblement mal dessiné plutôt qu’un chien laid! C’est à croire que monsieur Pinchon a exigé de son scénariste que le chien soit laid parce qu’il n’arrivait pas à en dessiner un qui soit respectable!
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