#01- ENNUI
Scénariste(s) : Tsugumi OHBA
Dessinateur(s) : Takeshi OBATA
Éditions : Kana
Collection : Dark Kana
Série : Death note
Année : 2003 Nb. pages : 200
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1 à 4 / 13) (Manga)
Genre(s) : Thriller fantastique, Récit psychologique
Appréciation : 5 / 6
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Devenir maître de la Mort, ça vous dit??!
Écrit le lundi 03 mars 2014 par PG Luneau
Titres lus : #01 – Ennui (200 p.)
#02 – Rassemblement (200 p.)
#03 – Course effrénée (208 p.)
#04 – Flamme amoureuse (208 p.)
Si vous aviez la possibilité de tuer quelqu’un en toute impunité, de manière totalement anonyme, juste en écrivant son nom dans un petit cahier, le feriez-vous? Et de qui vous voudriez vous débarrasser? De votre beau-père qui a abusé de vous quand vous étiez jeune? De votre patron tyrannique? De la maîtresse de votre conjoint? De votre belle-mère acariâtre? D’un voisin? Je serais bien curieux de connaître le pourcentage de la population qui se risquerait à utiliser un tel cahier!
C’est un peu le dilemme auquel Light Yagami doit faire face depuis qu’il a trouvé, sur le sol, devant lui, un death note, c’est-à-dire le cahier aux pouvoirs maléfiques d’un puissant dieu de la Mort qui a voulu s’amuser à voir les humains se démener dans une telle situation!! Est-ce que ce nouveau droit de vie et de mort sur son entourage va entraîner ce jeune homme de 16 ans sur la pente glissante de la criminalité?
En fait, en bon idéaliste qu’il est, c’est à l’éradication de cette dernière que va s’attaquer le jeune Light!?! Il est vrai qu’il est fils d’inspecteur de police… et que son Q.I. surpasse celui de 99% d’entre nous! Avec de tels atouts, faut-il se surprendre de sa décision!?! Ainsi, après avoir fait la connaissance de Ryûk, l’horrible dieu de la Mort en question (qui suit maintenant Light partout mais qui n’est visible et audible que par lui), le brillant adolescent commence à inscrire le nom de tous les grands criminels de la planète, incarcérés ou non… et ceux-ci tombent tous comme des mouches dans les secondes qui suivent, victimes de ce qui s’apparente à une épidémie de crises cardiaques!!?
Mais les autorités ne sont pas dupes : elles se mettent rapidement à se douter de quelque chose! Tous ces criminels n’étaient pas des enfants de cœur, mais leur mort soudaine ne peut être le fruit du hasard! Qui donc peut causer la mort de tant de gens aussi inaccessibles les uns que les autres?... Comment cela peut-il être possible??... Voilà qu’une équipe spéciale d’enquêteurs est mise en place, menée par… le père de Light! Puis, ce sont des agents du F.B.I. qui viennent au Japon pour donner un coup de main à l’équipe… L’étau se resserre tant autour du jeune Yagami, qui a pourtant pris toutes les précautions possibles, qu’il lui vient nécessaire… d’éliminer certains policiers!! Voilà, he cross the line, comme diraient les Anglais. Light (dont le patronyme signifie dieu de la nuit) s’était pourtant dit qu’il ne s’attaquerait qu’aux criminels! Jusqu’où devra-t-il aller? Peut-être pas trop loin, puisque face à une telle puissance imparable, la grande majorité des policiers attitrés à l’affaire prend peur et demande à être réaffectée… Ne reste plus qu’une équipe réduite, dirigée par un autre génie, un mystérieux inconnu simplement baptisé L !
En somme, c’est à un long duel de raisonnements intellectuels entre L et Light auquel on assiste dans cette série, un duel si intense et complexe qu’il faut être bien éveillé pour suivre parfaitement toutes leurs élucubrations : après tout, je n’ai pas la prétention d’avoir un Q.I. aussi élevé que celui de ces deux personnages! D’ailleurs, à voir la très grande intelligence du scénario, on suppose aisément que Tsugumi Ohba, le scénariste, a, lui, un tel Q.I.!! Le duel en question prendra des tournures imprévues dès le troisième tome, quand un autre quidam trouvera un deuxième Carnet de la Mort et se jettera dans la cohue, mystifiant tout le monde, confondant tant L que Light! Un revirement qui relancera l’histoire vers de nouvelles péripéties, la rendant encore plus riche et thrillante! ;^)
Bref, Death note, c’est un jeu du chat et de la souris haletant, bien mené, plus réflexif que pétaradant, où l’on s’attache étrangement à un jeune qui commet des meurtres, carrément, tout en remettant en cause notre propre sens moral. Que de dilemmes troublants, tant pour les personnages que pour nous, lecteurs!! Sur le plan visuel, précisons que les dessins de Takeshi Obata sont d’une réalisation irréprochable, avec, comme c’est souvent le cas dans les mangas, des décors d’une perfection architecturale quasi photographique et des personnages un peu plus nuancés mais très maîtrisés.
En fait, en commençant à lire cette série dont mon ami Arsenul m’avait beaucoup parlé, j’avais aussi un mandat bien précis : la directrice de mon école a reçu une boîte de livres à mettre à la disposition de nos élèves, et ces Death note en faisaient partie. Comme elle ne connaît pas ces mangas et qu’elle voulait savoir s’ils étaient adaptés à notre clientèle, elle a décidé de faire appel à mon expertise… Résultat : je suis bien embêté!! ;^) Il me semble que les propos moraux abordés dans ce récit sont pas mal avancés pour des jeunes de 11-12 ans… Mais il y a longtemps que je n’ai pas travaillé avec cette clientèle (les miens ont 9-10 ans). Et je connais un prof, en Gaspésie, qui la présente à ses élèves de 6e année et qui la laisse à la disposition des plus matures d’entre eux. Donc… je crois que je vais faire appel, à mon tour, à l’expertise de Christian, mon collègue de 6e. Lui pourra me dire avec quelles réserves on peut laisser une telle série au primaire… Série qui, à mon sens, trouvera un public-cible beaucoup plus adapté auprès des jeunes de 14 à 20 ans!!
Plus grandes forces de cette BD :
- les couvertures, aux illustrations d’inspiration religieuse à la sauce gothique. En arrière-plan, en filigrane, on y retrouve les premières règles d’utilisation du carnet, écrites en belles lettres… gothiques, elles aussi!? Conceptuel, non?! :^)
- la richesse fascinante des dilemmes moraux qu’engendre ce récit. Qui a le droit de faire justice? Tuer un tueur fait-il de nous un tueur à tuer?? Quoi qu’en pense les réfractaires de la BD, les mangas et les comics peuvent, à l’instar de la BD franco-belge, s’avérer des lectures fort puissantes, qui entraînent des questionnements superintéressants et profonds. Je l’ai vécu avec Walking dead, j’en ai un autre excellent exemple ici! En suivant l’évolution des réflexions de Light, notre sens moral en prend un coup!! Quand il décide, froidement, d’éliminer les policiers qui sont sur le point de le coincer, je me suis surpris à tergiverser avec mes sentiments : c’est le héros, on s’est attaché à lui, mais on ne peut que déplorer son choix… C’est vraiment troublant, on ne sait plus quoi penser, qui croire ni ce en quoi croire!!?! D’ailleurs, toute la longue séquence entre Light et la fiancée de Raye est d’un malaisant incommensurable, quand on connaît la situation et qu’on se doute de ce qui va se passer!...
- la qualité irréprochable des décors architecturaux. Comme c’est très souvent le cas dans les mangas (je l’ai bien sûr souligné dans ma critique d’Un zoo en hiver, de Taniguchi, mais aussi dans celles d’Une sacré mamie, de Yotsuba ou de Yakitate Ja-Pan! Un pain c’est tout), les scènes urbaines nous offrent toujours des vignettes d’une précision technique incroyable, comme je le disais plus haut : on se croirait devant des photographies! Chapeau au mangaka désigné pour dessiner ces bâtiments!!
- une petite remarque intéressante sur l’impersonnalité qu’offrent les réseaux sociaux. À la p.66 du tome #1, Light explique que personne n’osera avouer qu’il est bien d’éliminer les criminels, rectitude politique oblige… mais que la réponse sincère et honnête de chacun face à une telle question se retrouverait plus facilement sur le Net, où l’anonymat sécurise les gens et leur permet de dévoiler le véritable fond de leur pensée. C’est un pensez-y bien… Quel beau sujet de débat, en classe!? ;^)
- la qualité du tissu de liens entre les personnages. D’abord, la relation entre Light et Ryûk est particulièrement réjouissante!?! Puis, le fait que ce jeune homme soit le fils du responsable de l’enquête rend leurs rapports très délicats, Light ayant accès indirectement à des informations privilégiées mais devant aussi marcher sur des œufs et faire doublement attention pour éviter de se faire surprendre! De même, quand on découvre que le mystérieux L, personnage à l’aura si particulière, toujours vouté et pieds nus, deviendra un copain de classe de Light, la dynamique entre les deux personnages devient électrisante. C’est vraiment très bien construit!
- les phylactères de Ryûk. Ils sont toujours en grands rectangles allongés, à la verticale, avec des coins arrondis. Ça nous aide à identifier lorsque c’est lui qui parle, et c’est très apprécié car les appendices ne sont pas toujours très précis! ;^)
- la dernière page de chacun des chapitres, qui nous présente, à chaque fois, deux ou trois nouvelles règles d’utilisation du fameux Carnet de la Mort. Je trouve ça très agréable, très conceptuel… Par contre, ce que j’aime moins, c’est qu’encore à la fin du tome #4, après le 34e chapitre, on apprend encore des détails pointus sur le fonctionnement du cahier, détails qu’un utilisateur devrait avoir lus AVANT de prendre le risque d’utiliser un pareil instrument de mort, non??! De plus, ne se lassera-t-on pas de toute cette accumulation de règles? Un petit coup d’œil dans le tome #11 m’apprend que ça continue encore de s’accumuler!!?!... Plus d’une soixantaine, au total!!?!?! J’ai peur de finir par trouver ça un brin exagéré!
- les titres des tomes! Généralement, si j’en crois ma courte expérience en la matière, les albums d’une série de mangas n’ont presque jamais de titre spécifique. Toutefois, ici, chaque chapitre (chapitre qu’on nomme page, d’ailleurs, autre originalité amusante, comme si chaque chapitre était une page du récit!) possède son titre propre, et l’un d’entre eux donne son nom à l’ensemble de l’album, comme on peut le constater sur la toute dernière planche, au bas de laquelle on peut toujours lire : vol. #1, Ennui – fin ou vol. #4, Flamme amoureuse – fin, etc. Rien n’y paraît sur la couverture ou dans les premières pages, malheureusement, mais le simple fait que ces tomes aient des titres distincts permet de leur donner une identité spécifique plus personnalisée que tome #1, #2, #3 ou #12, vous ne trouvez pas? ;^)
- l’apparition d’un deuxième death note, avec une deuxième personne qui le contrôle!!? Quel revirement inattendu et génialement amené!!?! Et ce nouveau personnage s’avérera des plus intéressants, lui aussi! Ça augure de bien belles choses pour la suite!
- la courte biographie des deux auteurs, à la fin du tome #3. J’y ai appris, notamment, que Takeshi Obata, le dessinateur, est celui qui a illustré la populaire série Hikaru no Go, sur les tournois de Go (ce jeu de dames asiatique) et que le scénariste, Tsugumi Ohba… cache autant son visage et sa véritable identité que L, au début du récit!! En effet, personne ne sait qui se cache derrière ce pseudo anonyme : homme, femme, artiste émérite, néophyte, vedette au talent caché?? Nul ne le sait encore!!? De plus, ce supplément informatif m’a appris que ce qu’on pourrait nommer la «franchise» Death note se développe maintenant en plein de produits dérivés : un dessin animé pour la télé et un jeu vidéo, bien sûr, mais aussi trois films avec de véritables comédiens et un roman racontant une enquête antérieure de L (celle au cours de laquelle il a travaillé avec la pauvre Naomi Misora, aux États-Unis!). Suis-je surpris qu’un récit aussi puissant trouve tant de plateformes de diffusion?? Naaoon, bien sûr… :^) On parle même d’une possible télésérie avec de vrais comédiens… mais je n’en ai trouvé aucune trace sur le Net : peut-être ce projet ne s’est pas encore concrétisé.
Ce qui m’a le plus agacé :
- l’appellation anglaise de la série. Le Carnet de la Mort, est-ce que ce n’aurait pas été un nom de série tout aussi efficace? Bon, d’accord, ça a peut-être un peu moins de punch, Death note frappe peut-être un peu plus, surtout sur la couverture… Par contre, DANS le récit, quand Light dit : «Je devrai utiliser mon death note avec prudence.», je trouve ça beaucoup moins efficace que si ça avait été : «Je devrai utiliser mon carnet de la mort avec prudence.» J’ai dit.
- les nombreux ombrages et trames utilisés dans les toutes premières pages du tome #1. Ces teintes de gris et ces motifs tramés assombrissent grandement les vignettes, et nuisent à leur lisibilité. On m’a déjà expliqué que c’était parce que ces premières planches étaient, dans leur version originale, en couleurs!?! Avouez que ces couleurs, une fois «photocopiées», font d’un très mauvais effet!! De deux choses l’une : les éditeurs français devraient laisser ces pages en couleurs, ou investir un peu dans leur «décoloration»!?!
- le personnage de Ryûk me laisse un peu ambivalent. D’abord, je le trouve hyper horrible… En soit, c’est un peu logique : c’est un dieu de la mort! Ses yeux de merlan frit, son sourire à la Joker et, surtout, les coutures qui lui tiennent la tête sur les épaules me mettent mal à l’aise… ce qui est une preuve d’efficacité, j’imagine, même si je ne l’apprécie pas! ;^) Mais ce n’est pas tout : j’éprouve aussi des sentiments ambivalents pour ce qui est de son caractère. Les auteurs nous le présentent comme le roi des dadais, une espèce de Rantanplan qui suit Light docilement en passant souvent des remarques insignifiantes et en attendant de faire la belle pour obtenir… des pommes!?!? Ça ajoute de petites touches d’humour très agréables… mais ça rend l’horrible personnage aussi risible qu’un bouffon de foire!! Donc, Ryûk, on doit l’aimer, le plaindre, s’en moquer ou le craindre?? Cette confusion des styles m’agace un tantinet… ;^)
- l’attitude pitoyablement paternaliste de l’agent Raye, du F.B.I., à l’égard de sa fiancée. Bien qu’il ne soit que dans la jeune trentaine, cet homme d’action souhaite que sa copine, elle-même ex-agent du F.B.I., «reste à la maison pour s’occuper du foyer.» Il y avait longtemps que je n’avais pas entendu ou lu ce genre d’arguments rétrogrades dans une discussion de couple contemporaine!!?
- la complexité des raisonnements de L et de Light, qui deviennent de plus en plus difficiles à suivre à mesure que la série progresse. Je veux bien être témoin d’un débat intellectuel entre deux jeunes génies (comme celui du chapitre 21, dans le tome #3), mais parfois, quand l’un commence à anticiper les réactions de l’autre et qu’ils se lancent dans des surenchères de suppositions qui n’en finissent plus, ça devient parfois confondant et un peu lourd… D’ailleurs, le simple fait que ces deux personnages soient #1- de jeunes adolescents et #2- des génies surdoués rend le récit un peu plus difficile à croire! Chose certaine, si vous désirez suivre toutes leurs joutes verbales et intellectuelles, je vous déconseille de lire Death note le soir, au lit, quand vous avez votre journée dans le corps! ;^)
- l’absence de référents quant aux bouquins et aux auteurs présentés à la p.11 du tome #3. J’ai eu l’impression de passer à côté de quelques subtiles allusions… Mais ça m’a aussi donné envie de connaître un peu plus la culture nippone! ;^)
- une coquille, à la p.57 du tome #3. Il manque un mot, en haut à gauche : «Il n’y aucune autre raison…»
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