#03- ACTE III
Scénariste(s) : Joe Michael STRACZYNSKI
Dessinateur(s) : Brent ANDERSON
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : Rising Stars
Année : 2006 Nb. pages : 200
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (3/3) (Comics)
Genre(s) : Superhéros / Justicier masqué
Appréciation : 5 / 6
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Mais l'État tient-il vraiment à avoir des superhéros??
Écrit le jeudi 06 mars 2014 par PG Luneau
En me plongeant dans ce troisième et dernier tome de la série Rising stars, j’ai ressenti un profond plaisir, comme si je retrouvais de vieilles connaissances que j’appréciais beaucoup! N’est-ce pas là un gage de qualité difficile à battre?!?
Dans le premier tome de cette série, on a assisté à l’écrasement d’un gros météorite, en bordure du petit village de Pederson, dans l’Illinois. Conséquence : tous les fœtus alors en gestation dans le ventre de leur mère se sont partagé une vaste gamme de pouvoirs surnaturels : voler, lire dans les pensées, s’enflammer, passer à travers les murs, communiquer par télépathie, être invulnérable, etc. Très vite remarqués par les autorités, ces 113 «paranormaux» se sont vus confiés à une équipe de scientifiques militaires qui les a éduqués en vase clos… tout en les étudiant de près! Ces jeunes ont grandi, sont devenus adultes et ont tracé leur chemin sous les regards admiratifs ou suspicieux de la population dite normale. Mais voilà qu’un mystérieux tueur en série a commencé à s’en prendre à eux!… John Simon, dit le Poète, un des plus mystérieux des 113 (et principal narrateur du récit), s’est mis à enquêter…
Dans le deuxième volume, c’est à une guerre fratricide en règle entre deux factions de «spéciaux» à laquelle nous assistons. En effet, si certains de ces êtres exceptionnels ont réussi à accepter les regards souvent inquiets des «autres» (c’est-à-dire des «normaux»), d’autres n’ont pas eu la force mentale de résister, et la puissance de leurs pouvoirs leur est montée à la tête! D’où les affrontements titanesques entre un groupe de «bons spéciaux» et une bande de «méchants»… affrontements qui ont coûté la vie à des milliers d’innocents, dévastant des mégapoles complètes, comme Atlanta ou Chicago…
Dans ce dernier opus, on retrouve les survivants (les bons, ce n’est plus un scoop!! :^) une bonne vingtaine d’années plus tard. Après les atroces combats, ces rescapés (ils ne sont plus qu’une vingtaine sur les 113 du départ!) se sont donné comme mission de devenir les défenseurs du pays et de mettre leurs superpouvoirs au service de la population! Tout devrait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes!! Mais ce serait sans compter sur les dirigeants, militaires et politiques, qui voient d’un très mauvais œil leur influence disparaître comme neige au soleil! Mais que peuvent-ils faire contre ces demi-dieux? Un groupe de recherche se penchera secrètement sur la question… Est-ce que les jours de nos derniers justiciers sont comptés??
Cette conclusion de Rising stars me faisait envie depuis longtemps… mais j’avais quand même une petite crainte : est-ce que la finale allait être à la hauteur de l’intelligence du reste du récit? Fort heureusement, j’ai été très satisfait! Straczynski, ce bonze de la S.F. pertinente et humaine, a su, encore une fois, livrer la marchandise. Quelle intéressante réflexion sur la politique, l’étatisme, la soif de pouvoir et toutes les magouilles qui peuvent en découler!! Et tout ça en évitant les constructions souvent labyrinthiques de ce genre de thrillers politiques, genre dans lequel les scénaristes me perdent presque immanquablement!! ;^) Ici, tout est clair, limpide et facile à suivre, sans tomber dans le simpliste. L’auteur réussit à nous faire saliver jusqu’à la fin (grâce au grand secret entourant le mystérieux projet du Poète), tout en nous bluffant complètement avec deux ou trois renversements de dernière minute, habilement amenés. Du grand art.
Pour sa part, Brent Anderson, seul à tenir les pinceaux cette fois, nous sert un graphisme correct, mais sans plus. J’aurais personnellement préféré des traits plus fignolés et un encrage un peu plus discret, mais je me dois de souligner la grande habileté du bonhomme à nous offrir des planches aux constructions originales, au rythme très efficace et d’une très grande diversité.
Avis aux lecteurs qui hésitent à se lancer dans l’univers des superhéros en collants, se disant qu’il s’agit d’un monde puéril pour adolescents attardés : Rising stars est une parfaite série pour tenter l’expérience! D’abord, elle est courte (ce n’est pas comme les six cent soixante-dix trames narratives distinctes de l’univers de Batman, par exemple!?!), donc impossible de s’y noyer… et on peut s’en faire une idée très rapidement. Puis, elle est suffisamment originale et bien construite pour convaincre quiconque que des comics peuvent être, à la fois, intéressants ET intelligents. Je la recommande vraiment à tous, dès 14 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- la subtilité de l’illustration de couverture. J’ai eu ce livre devant les yeux à de nombreuses reprises, et j’ai observé ce dessin maintes fois… mais ce n’est qu’après ma lecture que j’ai remarqué les détails, à l’avant-plan, à droite, ainsi qu’en arrière-plan, détails qui mettent bien des choses en perspective!! ;^)
- la «couverture» du premier chapitre de ce tome, à la p.6. Comme vous le savez sûrement, Delcourt édite sous forme de compilations à couverture rigide ce qui est, à l’origine, des petits fascicules communément appelés comic books par nos voisins du Sud. Ces fascicules sont publiés épisodiquement, avec chacun une couverture (souple) illustrée. Heureusement, Delcourt nous offre, ici, avant le début de chaque fascicule (devenu «chapitre»), l’illustration qui ornait ces couvertures originales. Et celle du chapitre #1 est… une photo d’abribus!! Une véritable photo, avec de vrais gens qui attendent l’autobus, devant un panneau publicitaire qui reprend le leitmotiv utilisé par les «gentils spéciaux» : Change the world or we’ll change it for you. Il faut y comprendre que les survivants des spéciaux sont bien déterminés à s’attaquer à la criminalité et à pacifier leur pays chéri! «Changez d’attitudes, vous, les méchants criminels de tout acabit, sinon vous aurez affaire à nous!», voilà le sous-texte… Mais de le voir affiché dans une vraie ville, comme un véritable message aux citoyens, je trouve ça très original! ;^)
- le premier chapitre du tome, qui agit comme un bon récapitulatif. Sans nous résumer les deux premiers tomes, il nous permet de nous remettre dedans en nous racontant, de façon très naturelle, ce qui s’est passé depuis l’ultime combat de Chicago et le décès du docteur Welles (voir le tome #2). En vingt ans, on comprend que nos amis vivent pour la plupart incognito, qu’ils ont vieilli mais qu’ils sont demeurés à peu près tous actifs, chacun à leur manière.
- la tangente prise par le récit général. Alors que le conflit interne est maintenant chose du passé, voilà que nos amis les spéciaux se retrouvent confrontés à un ennemi dont ils n’auraient jamais soupçonné l’existence, surtout pas maintenant qu’ils propagent la paix et reconstruisent leur pays : la haute direction et l’état-major des États-Unis!?! Cette menace sourde, dont on suit les progrès en tant que lecteur, crée un suspense d’autant plus efficace qu’elle s’ourdit à l’insu des spéciaux, qui ne la voient pas venir du tout! Ça nous tient littéralement en haleine jusqu’à la toute fin. Militaires et politiciens parviendront-ils à contrecarrer nos amis, malgré qu’ils soient des superhéros?!?
- un caméo fort significatif! Ce président américain qui ment de façon éhontée à la population afin de faire passer la révocation des droits civiques, question de pouvoir anéantir les spéciaux, à la p.100, n’a-t-il pas la bouille de Georges W. Bush?!? Que voilà une version intéressante de la grande intégrité du vil personnage!
- la superbe p.111, sur laquelle on peut voir, en montage fort original, le dessin (mystérieusement «collectif») que les 113 spéciaux ont fait, quand ils étaient jeunes adolescents, pour illustrer leur souvenir le plus lointain. C’est une page qui frappe l’imagination de belle façon… Et j’ai adoré reconnaître, sur les pages précédentes, le jaune orangé et le vert forêt si caractéristiques des boîtes de craies de cire Crayola qui ont servi à faire ces dessins, les mêmes que dans ma propre enfance!! Beau placement de produit, pour cette marque de commerce réputée! ;^)
- tout le passage de la séance du Congrès américain, suite à l’investiture de Randy comme nouveau président, et toute la séquence avec Lionel, qui la précède et la motive. J’ai adoré cet ingénieux stratagème que Randy a mis sur pied, en «déterrant», c’est le cas de le dire, tous les secrets et scandales de la Maison blanche, question de mettre tous les sénateurs dans sa manche, une fois élu! Qu’est-ce que c’est jouissif de voir des politiciens véreux se faire attraper à leur propre jeu! Quel pouvoir étrange que celui de parler aux morts! Bravo, Lionel!
- les brillantes solutions amenées par l’administration de Randy, notamment en mesure de lutte à la pollution industrielle de l’eau! J’imagine que Straczynski n’est pas l’instigateur de la solution qu’il avance ici, qu’il a dû la piquer à d’ingénieux environnementalistes, mais je la trouve géniale, logique, relativement facile à mettre en place… et d’une efficacité probablement sans faille! Qu’est-ce qu’on attend pour l’imposer à toute la planète??! Damné lobbying!!
- la finale, à la hauteur de mes espérances… et du grand potentiel du scénariste! Bravo!
- la toute dernière planche, superbe clin d’œil au début de la série! Très bien trouvée, pour boucler la boucle!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les dessins, que je trouve, comme je le disais plus haut, assez moyens.
- le chauvinisme américain, encore lui!! Nonobstant le bel optimisme qu’elle dépeint, le phylactère final de la p.144 a de quoi nous donner envie de vomir! Voyez plutôt : «Nos changements furent copiés à l’étranger. À nouveau, l’Amérique était devenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un phare dans la nuit, un exemple de ce qui était possible pour peu qu’on en ait la volonté.» Sirupeux et nombriliste… purement américain, quoi!? Un petit God bless you, avec ça??!... ;^(
- un bogue scénaristique mineur. À la p.145, John explique que les «spéciaux» ne pouvaient pas avoir d’enfants, aucun d’entre eux. Pourtant, dans l’Acte I, quand Chandra regroupe dans un ranch tous les spéciaux ayant des pouvoirs «mineurs» afin de les cacher de la chasse aux sorcières qui les menace, plusieurs y vont avec «femmes, époux et enfants». La tuerie de tous ces civils, incluant les enfants, est même le punch final du premier album, et sert de levier, au début du tome #2, pour expliquer la polarisation de l’opinion publique à l’égard des spéciaux!! Donc, ce beau moment de discussion intime entre John et Chandra, à la p.145 du tome #3, aussi romantique qu’il soit, semble venir en contradiction avec ce que Straczynski a mis lui-même en place, quelques 300 pages auparavant! Dommage : c’était presque le scénario parfait!! ;^(
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