#02- FAHRENHEIT 14 OU QUELQUES ARPENTS DE SLOCHE
Scénariste(s) : Albert-André GOULET, Michel VAILLANCOURT
Dessinateur(s) : Ghyslain DUGUAY
Éditions : les 400 coups
Collection : Rotor
Série : Lionel et Nooga
Année : 2011 Nb. pages : 70
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Aventure policière, Historique, Humour
Appréciation : 4.5 / 6
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Plus grand, plus clair et tout aussi beau!
Écrit le samedi 19 novembre 2011 par PG Luneau
Le nouveau tome de la série Lionel et Nooga, paru aux éditions des 400 coups il y a quelques jours, est surprenant à bien des égards. D’abord, son titre. Cette suite nous était annoncée depuis des lustres sous le titre de Quelques arpents de sloche… Et voilà qu’il se retrouve sur nos rayons sous le titre : Fahrenheit 14!! Quid?… Il paraîtrait que c’est parce que nos cousins français seraient un peu trop frileux face aux québécismes!? Je ne comprends pas trop, surtout quand je songe à tous les Français que j’ai côtoyés durant mon tour de la Gaspésie, l’été dernier : tous étaient très friands de notre accent (mais quand donc comprendront-ils que ce sont eux qui en ont un?! ;-) ) et, surtout, de nos belles expressions québécoises «si pittoresques»!! En plus, ne sont-ce pas eux qui n’arrêtent pas de donner des titres en anglais à leurs œuvres, par les temps qui courent? Ils me semblent bien mal placés pour exiger des titres plus français, non?! Mais bon, comme la série veut tenter sa chance en Europe (au point où même le prix en euros est imprimé directement sur le quatrième de couverture, sous le prix en dollars canadiens : 19,95$/13,90€), les auteurs ont accepté de modifier leur titre initial pour ne pas effaroucher ces Français qui ne connaissent pas la sloche et qui auraient, paraît-il, boudé un tel titre!!
Autre surprise : ce deuxième opus des entraînantes aventures de Lionel et Nooga se retrouve dans un album de plus grand format!! En effet, la collection Rotor nous avait habitués, depuis sa création, en 2009, à un format assez petit (18 cm par 26)… Mais voilà qu’on a maintenant entre les mains un album de 22 cm par 28, presqu’un format normal!! Cette décision éditoriale est d’autant plus salutaire que j’avais souvent soulevé le fait que les vignettes étaient trop petites. Ça rendait souvent les textes illisibles et ne donnait pas leur juste valeur aux illustrations des dessinateurs spécialisés dans un style plus semi-réaliste, aux décors détaillés, comme Benoît Godbout (l’Académie des Chasseurs de Primes) ou Ghyslain Duguay, justement (Lionel et Nooga). Qu’adviendra-t-il des séries plus caricaturales (comme Horus, de Johane Matte), ou celles au style beaucoup plus épuré (comme les Théo d’Ola Skogäng)?? Bénéficieront-ils aussi du grand format?? Celui-ci ne risque-t-il pas de désavantager ces styles, en nous imposant des vignettes trop massives? J’imagine qu’on sera fixé bien assez vite!
Dans Bandes et contrebande, le premier tome de Lionel et Nooga, nos deux lascars ont été impliqués dans un étrange trafic de margarine (!?). Ce faisant, ils ont eu maille à partir avec une bande de terroristes portoricains qui avait kidnappé une belle basanée et son bébé. De justesse, ceux-ci avaient été tirés des griffes de leurs ravisseurs grâce à l’impétuosité et à l’audace de Lionel et de Nooga.
Dans cet opus-ci, on retrouve les quatre kidnappeurs qui se terrent chez le couple de fermiers de Saint-Euclide, rencontré dans la première partie. Ces bandits n’ont pas dit leur dernier mot, loin de là. D’ailleurs, quand Zoila, la leader du groupe, a une autre de ses visions extatiques, elle n’hésite pas à foncer vers Montréal dans le but de retrouver le beau Lionel et, par le fait même, de remettre la main sur le bébé si convoité.
Pendant ce temps, le mystérieux «homme au rasoir» s’attaque encore aux mollets des jeunes Montréalaises, Nooga s’amourache de plus en plus de la belle Tina, la fille au bébé, et Lionel s’entiche… du téléviseur dernier cri!! Deux mystérieux étrangers apparaissent dans le portrait : un impressionnant tueur à gages macédonien, aux méthodes radicales, et un «inventeur» flamand particulièrement articulé. Le lieutenant Cavanagh, de l’Escouade contre le Crime International (E.C.I.), tente quant à lui de faire la lumière sur tous ces mystères en s’alliant les services de trois nouveaux enquêteurs (mais n’ayez crainte : le sympathique sergent Groleau, neveu de l’enquêteur, est toujours de la partie, lui aussi!!). De plus, en Italie, les «pétroleurs» anglo-saxons commencent à mettre de la pression sur le pauvre père du poupon disparu.
Comme vous pouvez le constater, les diverses situations, qui déjà n’étaient pas évidentes à suivre, se complexifient encore plus! Mais, paradoxalement, on commence à y voir un peu plus clair grâce aux habiles informations distillées tout au long de ce tome-ci : les liens entre ces très nombreux personnages et leurs intentions se précisent, et c’est là la meilleure nouvelle qui soit! En effet, le dessin, pour sa part, demeure toujours aussi intéressant (le nouveau format des pages nous permet même de mieux en apprécier le professionnalisme!) et le scénario devient de plus en plus enlevant. Les péripéties et les embrouilles déboulent à un rythme de plus en plus effréné et nous entraînent vers un climax final bourré d’action, de poursuites et de coups de feu… dont certains fatals!!
Après un premier tome qui m’avait laissé un tout petit doute, j’avais hâte d’être plus fixé à propos de cette série. Voilà qui est fait, et l’on est très agréablement servi! Bravo, messieurs, et longue vie à Lionel et Nooga, qui possèdent vraiment tous les atouts pour rivaliser très avantageusement avec les BD européennes… Et vivement qu’on retrouve vos deux larrons dans la Grosse Pomme, tel qu’annoncé à la dernière vignette!
Plus grandes forces de cette BD :
- le nouveau format!! Youpi, on voit plus clair!! Les superbes traits de Duguay méritaient tout à fait ce traitement!!
- la qualité générale des dessins et la grande variété des angles de vue proposés. Il y a vraiment beaucoup de vues en plongée, plusieurs contre-plongées… Ça rend l’ensemble très vivant et c’est de toute beauté! Duguay est aussi talentueux pour dessiner les décors, les accessoires, les postures et les attitudes que pour les expressions faciales! Par ailleurs, la dernière représentation du visage de Tina, à la page 62, fait beaucoup penser aux visages féminins de chez Disney des dernières années (genre la Planète aux trésors ou Lilo et Stitch), ou même aux pulpeuses héroïnes du bédéiste Crisse (Ishanti ou Atalante, par exemple). C’est particulier!
- une belle réutilisation des personnages, qui sont tous d’une richesse vraiment intéressante. Ainsi, on retrouve très souvent des personnages qu’on avait déjà rencontrés précédemment, mais dans des contextes différents… Et quels personnages!! Bien sûr, il y a les héros : Lionel, avec sa passion immodérée pour les téléviseurs… et sa possible incrimination dans l’Affaire du coupe-jarret (mais est-ce bien lui??), et Nooga, le mulâtre coureur de jupon. Mais même Zoila, avec ses visions et son caractère bien trempé, a de la substance. Et que dire des personnages plus clownesques, comme la logeuse Boucher, insupportable bigote, ou le sergent Groleau, second (mais, surtout, neveu!) du chef de l’E.C.I.…
- le subtil clin d’œil aux Dalton! À quelques reprises, les terroristes portoricains doivent contenir les ardeurs de l’impétueux Jorge… Pour ce faire, ils y vont d’un : «Con calma, Jorge!», immédiatement suivi d’un : «Jorge, con calma!». C’est on ne peut plus clair!
- l’époque représentée. D’abord, précisons qu’il s’agit d’une époque à laquelle je ne me suis jamais beaucoup attardée. J’ai donc beaucoup à apprendre sur ce qui s’y passait et sur le mode de vie des gens qui l’ont vécue. Puis, la reconstitution qu’en font les créateurs est particulièrement réussie : j’aime beaucoup, par exemple, prendre conscience de l’impact de l’arrivée de la télévision sur les mentalités de tous et chacun… Et les sermons radiophoniques qui en découlent, après «le Chapelet en famille» : quelle étrangeté que ces harangues de la part des ecclésiastiques, qui considèrent cet apport technologique comme démoniaque!?! Ainsi, on nous parle du cardinal Paul-Émile… Pesant!! Oui, oui, vous avez bien lu : Pesant!! Mais monseigneur Léger n’est pas le seul à voir son patronyme maltraité, puisqu’on retrouve aussi un policier nommé Émile Jeunet (en référence au comédien Émile Genest) et un animateur télé dénommé Fred Sleeman (allusion évidente à Ed Sollivan, l’animateur de show de variété américain). D’autres sont plus chanceux : leur nom demeure intact, comme la cantatrice Maria Callas ou, plus près de nous, l’inventeur Joseph-Armand Bombardier et son épouse, Yvonne!
- l’explication de l’expression argotique Wops, pour désigner les Italiens! Je connaissais cette appellation (peu élogieuse, il faut bien le dire!) depuis longtemps, mais je ne savais pas qu’elle provenait de l’expression Without Official Paper (Sans Papier Offiiciel), soulignant à l’origine le caractère illégal de l’immigrant italien en question.
- le punch entourant l’emplacement précis de la chambre de la belle Mandine, qui a été chassée de la maison close de madame Kolinski. Une amusante petite surprise que je n’avais pas vu venir!
- les fréquents parallèles entre l’action du récit et les émissions diffusées simultanément à la télé ou à la radio. C’est comme si les personnages répondaient à ce qui se disait à l’écran (ou via les ondes) en faisant la même chose… ou le contraire! Ces similarités (ou ces contrastes!) ajoutent une touche humoristique. Le premier album présentait aussi ce genre d’amusants contrepoints. Les auteurs souhaitent-ils en faire un gag récurrent, à l’image des pirates dans Astérix? Ce serait une fameuse idée, surtout que ça met la télé à l’honneur, elle qui n’en était qu’à ses tout premiers balbutiements en 1953.
- Ti-Georges LUNEAU!!!! HIIIIIIIIIIIIIII!!!!!!!!!!!!!!! Mon patronyme dans une BD!! Il est écrit en toutes lettres, à la page 54!! J’en suis tout chamboulé… même s’il a été attribué à un personnage assez agaçant merci!! C’est un nom de famille est si peu fréquent, je n’avais jamais eu la chance de le retrouver dans une œuvre de fiction, ni BD ni autre. Juste pour ça, je crois que je vais ajouter un demi-point de plus à ma cote! ;-)
- l’humour, discrètement omniprésent, même dans les situations critiques. Il est surtout dû à la personnalité faussement débonnaire des deux «héros», et à la présence plus burlesque de certains personnages secondaires, comme le sergent Groleau ou Ti-Georges Luneau, le fermier mal engueulé…
- le déplacement annoncé pour la suite. La dernière vignette de l’album nous laisse en effet entendre que nos deux sympathiques escrocs se rendront à New York, à la poursuite du petit Samir. Ce sera super chouette de découvrir à quoi ressemblait cette ville à l’époque!! Gageons que les auteurs en profiteront pour nous y faire croiser d’autres personnalités historiques de là-bas! Cool!!
- la «pub» pour le site web, site qui est d’ailleurs très intéressant! Dommage qu’il soit encore si incomplet et que les mises à jour se fassent de façon si erratique! Il a pourtant bien du potentiel! En voici l’adresse :
http://www.lioneletnooga.com/
Ce qui m’a le plus agacé :
- le titre, devenu sous-titre! Quelques arpents de sloche, c’était bien plus représentatif de chez-nous! La décision mercantile de modifier tout cela est bien décevante…
- le nouveau format! C’est chouette que ce soit plus grand, mais c’est moche quand une collection change si radicalement! Ça brise la continuité!! Je suis maintenant curieux de voir si toutes les séries de la collection Rotor suivront ce modèle, où seulement celles dont le dessin est dévalorisé par le petit format, comme l’Académie des Chasseurs de Primes.
- un bogue scénaristique. Pourquoi la belle Tina (arabe ou italienne? J’aurais aimé le savoir!), une fois en sécurité chez Nooga, ne cherche-t-elle pas à contacter les parents de Samir, ne serait-ce que pour les rassurer ou leur faire savoir qu’ils sont en vie?? Je veux bien croire que Lionel et Nooga doivent préférer qu’elle ne fasse pas intervenir la police, compte-tenu de leurs activités illicites, et je sais bien qu’en 1953, les communications n’étaient pas ce qu’elles sont devenues de nos jours, mais jamais je ne croirais que les appels téléphoniques Montréal-Italie étaient impossibles, à l’époque!?? C’est un détail difficilement excusable, à mon sens.
- une coquille, dans le dernier phylactère de la page 24. Il y manque carrément un mot : «... et que vous négociez déjà une place pour l’Italie au sein votre ONEP?»
- le grand nombre de personnages, dont plusieurs se ressemblent assez pour qu’il soit facile de les confondre. Ainsi, j’ai l’impression que Zoila, la fermière Henriette, la belle Tina, Mandine (la fille de joie) et même Nooga lui-même ont les mêmes traits!! Seuls leur teint et la longueur de leurs cheveux les distinguent… et à peine! Ainsi, j’ai lu toute la page 61 en croyant que la personne qui intervenait était Zoila, la terroriste… ce que je trouvais incongru! Ce n’est qu’à ma troisième relecture que j’ai réalisé qu’il s’agissait de Nooga!! De même, j’ai trouvé que les voitures se ressemblaient un peu trop, comme la voiture bleue de Zoila et le taxi que prend Lionel, notamment. Surtout que les deux étaient recouvertes de neige! Par contre, à la défense du dessinateur, je dois avouer que je suis une parfaite cruche en matière de voitures! Je suis donc assez facile à berner!
- l’importante inégalité des chapitres! Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel?? D’abord, aurait-on dû rappeler aux auteurs que le tome #1, Bandes et contrebande, était déjà composé des quatre premiers chapitres?! Il aurait donc été plus logique, à mon sens, que ce tome-ci, qui en est la suite directe, commence par le chapitre #5. Puis, quand on regarde le nombre de pages dans chacun des chapitres de ce deuxième tome, on constate que le chapitre #1 fait 46 planches (!!?), le #2 en fait 15 et le dernier… 4!!?? N’y aurait-il pas eu moyen de rétablir un peu d’équilibre dans tout ça?
- une petite séquence plus ou moins claire, au troisième strip de la page 61. Ce qui s’y passe est nébuleux. Pourquoi Nooga (que j’ai pris pour Zoila pendant une bonne partie de la scène, je vous le rappelle!) n’achève-t-il pas son assaillant immédiatement? Pourquoi s’exclame-t-il : «Oh! Salaud!» en se plaçant la main comme il le fait, près de sa joue, dans une pose tout ce qu’il y a de plus artificielle?? Simplement parce que le malabar s’est emparé du pistolet qui se trouvait sur le siège de la voiture? Si c’est supposé être ça, je trouve que l’enchaînement des gestes et des prises de vue n’est vraiment pas adéquat et qu’il n’aide vraiment pas à la bonne compréhension de la scène! J’ai littéralement bucké sur cette page pendant cinq minutes!!
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