#01- ENID
Scénariste(s) : Malika FERDJOUKH, Cati BAUER
Dessinateur(s) : Cati BAUER
Éditions : Delcourt
Collection : X
Série : 4 Soeurs
Année : 2011 Nb. pages : 160
Style(s) narratif(s) : Roman graphique, à suivre
Genre(s) : Quotidien, Récit psychologique, Aventure, Fantastique, Drame familial, Adaptation littéraire
Appréciation : 4 / 6
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Quatre filles, plus une!... Non : plus deux!!
Écrit le jeudi 24 novembre 2011 par PG Luneau
D’abord, situons bien les choses : Quatre Sœurs, c’est d’abord et avant tout une série de quatre romans jeunesse écrits par Malika Ferdjoukh, une Parisienne d’origine algérienne. Ces quatre romans nous présentent le quotidien des… cinq (!!??) sœurs Verdelaine, orphelines depuis peu, qui logent toutes ensemble dans un manoir un peu décrépit, la Vill’Hervé. Depuis le décès de leurs parents, morts incendiés dans un accident de voiture, c’est l’aînée, Charlie, 23 ans, qui agit comme soutien de famille. En plus de s’occuper de ses cadettes et des inévitables réparations que le manoir nécessite, elle travaille dans un labo et sort avec un jeune médecin des plus timides, Basile.
Le rôle plus maternel, c’est Geneviève, 16 ans, qui se l’est octroyé. Elle n’a pas son pareil pour agir à titre d’infirmière ou pour gérer les tâches domestiques, du lavage au ménage en passant pas la cuisine. Viennent ensuite Bettina, la véritable ado de quatorze ans (avec tout ce que cette appellation renferme de superficialité et de suffisance), Hortense, onze ans, l’intello timorée, et, finalement, Enid, la benjamine de neuf ans et demi. C’est cette dernière qui donne son nom au premier roman… puis au premier album!
Car, en effet, cette série de romans a connu tellement de succès que la bédéiste Cati Bauer a ressenti le besoin de l’adapter en BD, question de mettre un visage à ces superbes personnages de papier. Désireuse de vouloir faire les choses dans les règles de l’art, elle a contacté l’auteure des romans, madame Ferdjoukh, et lui a proposé tout de go son idée de projet. L’auteure n’a pas hésité longtemps avant d’accepter… et s’est même impliquée grandement puisqu’elle a décidé de contribuer à l’adaptation du texte en scénario de BD!!
Ainsi est né ce premier album aux couleurs pastel. Puisqu’il porte le nom d’Enid, on serait portés à croire que c’est à travers les yeux de cette dernière qu’on fait la connaissance de toute la maisonnée… Et pourtant, non, pas vraiment! Si Enid y vit une aventure assez particulière, en tentant de retrouver sa chauve-souris apprivoisée tout en cherchant à percer le mystère des sons fantomatiques qui bercent le manoir, depuis qu’une violente tempête a déraciné le vieux sycomore de la cour, plusieurs autres trames s’emmêlent à celle-ci. La plus intéressante demeure sans conteste l’arrivée de Colombe, la fille d’une amie, qui aménage temporairement chez les sœurs Verdelaine et qui rendra Bettina maladivement jalouse!!
Avec l’arrivée de ce sixième personnage féminin, ça fait beaucoup de filles!!… Ça tombe bien puisque c’est justement d’un album pour filles dont il s’agit!! Mais, étrangement, pas d’un de ces albums girly, plein de rose bonbon, de magasinage et de discussions sur le sexe, les hommes ou la mode (comme la série les Filles, justement!) ! Non. Il s’agit plutôt d’un album tout en ambiance, tout doux, empli de nostalgie. On se croirait même transportés à une autre époque, tant le rythme de vie est lent et les couleurs dominantes sont estompées par l’aquarelle.
Certains se demanderont peut-être pourquoi j’ai accolé l’étiquette de «Fantastique» au genre de la série. C’est que je ne vous ai pas encore précisé que deux personnages importants viennent parfois visiter les cinq jeunes femmes : il s’agit des fantômes de leurs parents!!? Le père ou la mère vient dialoguer, régulièrement, avec l’une ou l’autre d’entre elles, mais aucune n’a le courage de l’avouer aux autres, de peur de les attrister ou de les apeurer en ayant l’air d’avoir un bardeau décollé! Chacune vit donc son deuil à sa façon, mais sous l’œil bienveillant et nullement moralisateur de leurs géniteurs ectoplasmiques!! Mais que les lectrices peu chaudes à la présence de surnaturel dans une œuvre se rassurent tout de suite! Ces apparitions sont somme toute assez peu fréquentes, et elles sont assez courtes, plus de l’ordre du dialogue intérieur, finalement, que de la véritable «apparition fantomatique»! Personnellement, je trouve que cette petite touche de fantastique est juste ce qu’il fallait pour donner un petit plus à une série qui, sans cela, resterait peut-être un peu fade.
Alors, si, comme moi, vous aimiez bien la série américaine la Vie à 5, ou cette autre, les Enfants du 47-A, série jeunesse britannique qui passait les samedis matins, dans les années 70 et qui racontait les déboires de quatre frères et sœurs dont le père était mort et la mère, hospitalisée pour une longue durée, mais qui faisaient croire à tout le monde qu’ils étaient encore présents, pour éviter de se retrouver dispersés dans diverses familles d’accueil, vous aimerez probablement cette délicieuse incartade dans le petit monde des sœurs Verdelaine. J’imagine qu’au moins trois autres tomes sont prévus… pour les jeunes filles de douze ans et plus qui préfèrent le style «tranches de vie» au style «explosions aux trois cases»!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’ambiance. Le manoir Vill’Hervé offre peut-être un cadre qui n’a rien d’enchanteur (de fait, il ressemble plus à une maison hantée qu’à un havre de bonheur!), mais les couleurs pastel, le ton léger et enjoué de l’auteur ainsi que la tendresse qui transcende de l’ensemble et la grande humanité des personnages font en sorte que l’on sort de notre lecture aussi réconforté que si l’on venait de manger une bonne soupe chaude!
- les personnalités bien distinctes des cinq sœurs. Chacune possède vraiment son champ d’expertise, ses forces et ses faiblesses. La complémentarité de leur tempérament et leur belle aptitude à se liguer dans l’adversité les rendent attachantes au plus haut point! On sent bien qu’elles peuvent parfois se tomber sur les nerfs, mais on réalise surtout qu’elles forment un bloc solide, et qu’elles s’aiment inconditionnellement… Ont-elles le choix, maintenant qu’elles ne peuvent plus compter que les unes sur les autres??!
- la revue Okipa que lit la douce Hortense! Je trouve que c’est un drôle de clin d’œil à la revue Okapi!
- la préface de l’auteure (en fin d’album!) et les grands dessins de l’illustratrice qui l’accompagnent. Malika Ferdjoukh y raconte, en quelques pages, comment Cati Bauer l’a contactée, puis nous explique ses raisons pour avoir accepté ce défi (notamment à cause des trop nombreux adons qui unissaient ces deux femmes)! Pour sa part, madame Bauer agrémente le texte de quelques illustrations pleine page, en noir et blanc, représentant les personnages et leur milieu de vie.
Ce qui m’a le plus agacé :
- la petitesse de la typographie des phylactères!! En plus, c’est en lettres attachées, avec des fioritures qui s’emmêlent sous mes pauvres vieux yeux… et il n’y a aucune majuscule au début des phrases!!? Est-ce censé ajouter quelque chose??! Heureusement, les encadrés narratifs sont un peu plus gros, mais, surtout, en caractères normaux, ce qui les rend plus lisibles.
- le dessin, souvent un peu trop hachuré ou gribouillé à mon goût. D’ailleurs, il est assez inconstant, comme s’il se voulait un ramassis de plein de styles différents, allant du caricatural naïf (comme pour le visage d’Enid, à la page 112) au réalisme pur (pour le visage de la belle Colombe). Autre exemple : l’alternance entre scènes de jour, délicatement colorées à l’aquarelle, et scènes nocturnes, comme barbouillées au fusain, forme des contrastes assez surprenants!
- le manque de précision sur la localisation exacte du récit. Comme je ne connaissais rien à l’œuvre, j’ai pensé pendant un bon moment que l’action se déroulait en Angleterre. Le nom de l’auteure, celui de la dessinatrice, et les prénoms des sœurs (surtout Enid, qui fait automatiquement penser à la populaire auteure britannique Enid Blyton!) m’ont confirmé dans mon erreur. De plus, la côte, le style de manoir et la météo souvent morose corroboraient assez bien mon hypothèse. Je me suis même dit que madame Bauer s’était trompé en plaçant le volant de la voiture de Basile à gauche!! Avouez que les côtes bretonnes peuvent facilement faire penser à l’Angleterre, sur le plan du relief et de la météo!? Ce n’est que lorsque j’ai été confronté aux ridicules noms de famille que j’ai (enfin!) su que le récit se passait en France!
- les noms de famille impossibles!! Verdelaine, Boulesteix, Heurtebise, Belmonbiche…!!! Ce sont des noms aux sonorités tellement incongrues qu’ils semblent presque trop burlesques pour être vrais!!
- la trop grande ressemblance physique entre Enid et Hortense. À quelques reprises, j’ai été confondu, sans trop savoir laquelle des deux parlait. C’est un peu agaçant de devoir revenir d’une ou deux pages pour aller vérifier laquelle des deux portait tel ou tel vêtement dans la scène précédente!
- une jeune de neuf ans qui utilise le mot Tuméfiant (à la page 103)!!! C’est un mot que je dois avoir vu une seule fois dans toute ma vie… même en étant un grand lecteur de 44 ans!! Alors, lâchez-moi les baskets avec une telle expression!! Si ça avait été Hortense, l’intello qui a toujours le nez dans les livres, qui l’avait sortie, ça aurait été beaucoup plus crédible!
- la personnalité de Bettina, la garce de service. Oui, d’accord : s’il m’agace à ce point, ce personnage, c’est qu’il est foutument bien campé! Très réussi, donc, mais je m’en fous : elle m’agace au plus haut point! À quand une bonne correction pour cette prétentieuse malsaine et déplaisante?
- le fait qu’Enid n’est pas exclusivement le moteur de ce tome. La présence de Colombe et la rivalité qui en découle, avec Bettina, ont un impact bien plus marquant (et, avouons-le, plus intéressant) que la chasse aux fantômes et à la chauve-souris qu’Enid met en place, avec la complicité de son ami Gulliver. Pourquoi donc avoir donné à ce tome le nom d’Enid si c’est pour faire une si belle part aux autres?? Et d’ailleurs, si chacune a droit à son volume, pourquoi Charlie n’a-t-elle pas le sien? Mais peut-être que la suite du récit nous l’apprendra…
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