#01- LA MINE D'OR DE DICK DIGGER
Scénariste(s) : Maurice de Bévère dit MORRIS
Dessinateur(s) : Maurice de Bévère dit MORRIS
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Lucky Luke
Année : 1947 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Courts récits
Genre(s) : Western / Amérindiens / Nlle-France, Aventure humoristique
Appréciation : 3 / 6
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Même les héros du Far West peuvent connaître des débuts difficiles!
Écrit le vendredi 27 janvier 2012 par PG Luneau
Pour souligner la mise en ligne de ma 250e critique, j’ai décidé de me pencher sur une des figures marquantes du monde du neuvième art et du western jeunesse, et j’ai nommé : Lucky Luke, le célèbre cowboy qui tire plus vite que son ombre!
Ma relation avec cet habile justicier a toujours été un peu particulière. D’abord, l’album Ma Dalton a été une des premières BD que j’ai reçues. J’ai dû le lire une vingtaine de fois car j’adorais cette histoire où l’on fait connaissance avec la mère des Dalton. Mais malgré mon intérêt pour cette histoire, je n’ai jamais été porté à prendre d’autres titres de cette série!!? C’est comme si les autres séries «m’interpelaient» encore plus fort que les Lucky Luke quand j’étais à la bibliothèque!! Et c’était pareil à chaque fois que je me voyais forcé de lire un Lucky Luke, c’est-à-dire quand c’était la seule série que j’avais sous la main : j’adorais l’histoire, je me demandais pourquoi je n’en lisais pas plus souvent… mais pouf! ça en restait là!! Je n’en reprenais pas d’autre, et il pouvait se passer encore quelques mois, voire quelques années, avant que je me décide à m’y risquer à nouveau. C’était très différent des rages Tintin ou Astérix qui me prenaient assez régulièrement, ou même de la rage Spirou que j’ai eue au début de mon adolescence, quand je me suis tapé la moitié de la série en quelques semaines! Pourquoi est-ce que Lucky Luke n’avait pas le même effet sur moi?? Je ne l’ai jamais compris, et c’est d’autant plus mystérieux que j’ai toujours été très conscient des grandes qualités intrinsèques de chacun des albums de Morris, et que je prenais toujours grand plaisir à découvrir cet univers… quand j’y étais contraint!
Mais cette fois-ci, j’étais décidé : je tenais à indexer un Lucky Luke… Mon hésitation a plutôt été de savoir sur quel tome arrêter mon choix : j’avais, dans ma pile à lire, le tout dernier, Lucky Luke contre Pinkerton, sorti l’an passé, une création d’Achdé et de deux grands auteurs, Pennac et Benacquista. Mais j’avais aussi le tout premier album de la série, la Mine d’or de Dick Digger, paru initialement dans le magazine Spirou en… 1947!! Comme cette critique #250, comme toutes celles qui sont multiples de 50, se veut un genre d’hommage à un grand du neuvième art, j’ai préféré lire le tome #1, vraiment issu de la main de Morris, plutôt que l’œuvre d’auteurs subalternes qui ont repris la série… Ai-je fait le bon choix??
Franchement, pour la réputation de l’auteur et du personnage, peut-être pas!!! En effet, cet album montre vraiment les tout débuts de l’œuvre, et comme c’est souvent le cas, on est loin du travail abouti et maitrisé auquel on aura droit par la suite!! Tous ceux qui ont lu Tintin au pays des Soviets savent ce que je veux dire : il n’y a pas pire album pour s’initier à Tintin!! Les dessins d’Hergé y sont affreusement pauvres, et le scénario en est d’une banalité enfantine désarmante, à se demander comment les éditeurs ont pu lui donner la chance de poursuivre son travail!! Mais il faut remettre les choses en contextes, bien sûr… Autre temps, autres mœurs… et surtout autre humour!! Ici, c’est la même chose.
J’ai lu, il y a près de trente-cinq ans (ça ne me rajeunit pas!), un grand album anthologique : la Fabuleuse histoire de Mickey, qui regroupe les premières aventures de la jeune créature de Disney. Les rares d’entre vous qui se sont tapés ce bouquin (où le pauvre Mickey ressemble à peine à une souris!) reconnaîtront dans ce premier album de Lucky Luke le même type de dessins rondouillets, de scénarii simplistes et de rebondissements effrénés, où le dynamisme et le burlesque priment sur le réalisme… On voit que Morris était, à l’époque, très inspiré par le grand Walt : d’ailleurs, le gros «méchant» qui attaque le vieux Dick Digger ressemble comme deux gouttes d’eau au Pat Hibulaire des premières années Disney! Malheureusement, ces récits ancestraux où les ennemis caricaturaux tombent dans des pièges grossiers et où les héros ont une chance inouïe ont affreusement mal vieillis!! Ils ne s’adressaient qu’aux très jeunes enfants de l’époque, c’est flagrant! Le grand Goscinny n’avait pas encore pris les rennes de la série pour lui insuffler le vent de fraîcheur et d’amusante maturité dont lui seul était capable (il ne le fera que huit années plus tard, en 1955)…
Ainsi, les récits que renferme la Mine d’or de Dick Digger sont de cet ordre! Car malgré les apparences, ce volume nous met effectivement en présence de deux récits distincts! Non seulement le mot FIN, écrit dans le bas de la p.26, nous le confirme, mais les pages suivantes entraînent le jeune héros dans une toute autre aventure… déjà un peu plus originale que la première! Curieux qu’on ne fasse nulle part mention, ni sur la couverture, ni sur la page titre, de ce deuxième récit, qui n’est pas titré!! Pourtant, Lucky Luke y tombe face à face avec son sosie, un hors-la-loi féroce et dangereux, et leur ressemblance entraînera d’intéressants quiproquos… Bien plus intéressant que la poursuite des méchantes crapules qui avaient volé les plans de l’emplacement du filon d’or du vieux Digger, un ami de Luke! Si les deux récits restent bon enfant et assez convenus, le premier est encore plus banal que le second!
Visuellement, un simple coup d’œil à la couverture nous confirme que le dessin de Morris était encore à cent lieues de son zénith, lui aussi! Remarquez à quel point les traits de Jolly Jumper sont beaucoup plus réalistes que ceux qu’on lui connaît maintenant!!? Et même la bouille du héros n’a aucun rapport avec notre Lucky Luke d’aujourd’hui! Si ce n’était des vêtements, on peinerait à le reconnaître!
Si je voulais rester honnête avec moi-même, je devrais donner une note de 2,5 sur 6 à cet album. Toutefois, je décide d’ajouter un demi-point pour sa dimension anthologique, pour le caractère historique de cet «artefact du patrimoine bédéesque», qui nous montre comment l’humour américain, simple et rythmé, a commencé sa migration vers l’Est, via Morris, ce grand amateur du pays de l’Oncle Sam.
P.S. : À ce sujet, je vous ai déjà parlé du voyage que Morris et Franquin ont effectué aux États-Unis, en 1948, en compagnie de Jijé, leur gourou, et sa famille (voir ma chronique sur le livre Franquin, chronologie d’une oeuvre). Je vous ai aussi déjà parlé du bijou que l’impressionnant duo composé de Yann et d’Olivier Schwartz nous a offert en reprenant les aventures de Spirou à leur façon, avec l’album le Groom vert-de-gris. Hé bien je suis très heureux de maintenant pouvoir vous annoncer la parution toute prochaine d’un nouvel album de ce duo de créateurs de génie, racontant… le périple de Jijé, Franquin et Morris en Amérique!!! Gringos Locos, c’est comme ça que ça s’appelle, sortira ces jours-ci en Europe, puis suivra sûrement chez nous dans quelques semaines. Je ne sais pas vous, mais moi, je saute dessus, c’est assuré!!
Plus grandes forces de cette BD :
- les débuts d’un grand héros. Vous dire à quel point on assiste ici à ses débuts : non seulement les Dalton et Rantanplan sont encore très loin d’être créés, mais on n’a même pas droit au «poor lonesome cowboy…» qui s’éloigne vers le sempiternel coucher de soleil!! Graphiquement, Morris nous le montre sous des airs caricaturaux burlesques qui surprendront tous ceux qui ne connaissent du héros que son attitude débonnaire classique. Ici, son menton fait le tiers de sa hauteur, rien de moins!! Mais c’est justement ces différences qui nous permettent de constater de l’infini progrès de Morris!
- l’absence de rectitude politique! Si les codes régissant les publications pour la jeunesse étaient très stricts, à l’époque, il n’en reste pas moins qu’ils laissaient une certaine marge de manœuvre sur certains aspects. Ainsi, ça fume souvent, et quand les personnages tirent des balles de pistolet, ça touche et, parfois même, ça meurt (comme nous le laisse supposer la planche finale)!! Luke est déjà un héros, mais il n’est pas encore parfait. Il n’a pas le fini poli et un peu froid qui fait maintenant sa marque de commerce… À bien y penser, c’est peut-être ça qui a toujours fait en sorte que je garde une petite distance avec cette série!! Et je ne dois pas être le seul : Lucky n’a jamais réellement soulevé l’engouement de ses fans, qui lui ont toujours préféré les personnages secondaires plus loufoques, comme Jolly Jumper, Rantanplan et les Dalton!! Ici, le jeune héros est allumé, expressif et enjoué. Il démontre un certain enthousiasme dans tout ce qu’il fait, et dégage une certaine fraîcheur qu’il perdra avec le temps… (mais il gagnera tant d’autres choses!!)
- la belle variation de faciès. Déjà, dans le second récit, Morris semble faire un effort particulier afin d’offrir des physionomies différentes et variées. Je ne serais d’ailleurs pas étonné d’apprendre que certaines de ces tronches soient des caricatures de personnalités connues ou de gens de son entourage! Je pense entre autres au visage de Charley Chick, le malfrat à la jambe de bois (p.28, 4e vignette), à celui du shérif (p.30, 2e vignette) ou de l’entrepreneur de pompe funèbre (p.35, 3e vignette) – ce dernier n’ayant encore rien à voir avec le croque-mort qu’on retrouvera éternellement par la suite dans une grande majorité d’albums, en figuration!!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les dessins et la grande pauvreté des décors. Ma comparaison avec les toutes premières aventures de Mickey Mouse est, encore ici, justifiée! Tout comme dans les cartoons dessinés par Disney ou ses assistants, les décors sont vides et monochromes, et pour les personnages, on est dans le burlesque élastique! Les bras s’étirent au mépris du réalisme et Jolly Jumper ressemble à la vache Clarabelle (p.17, 8e vignette). C’est assez minimal!
- les noms anglais, mêlés aux noms français! Dans l’Ouest Lointain que Morris nous propose, le français prend pas mal de place! En effet, bien que Morris tente manifestement de respecter la langue de l’époque et du lieu (il fait même dire «Come on» à l’une de ses crapules!), au moins la moitié des affiches et des noms de commerce est écrite en français… Pourquoi?? Ou, plutôt, pourquoi seulement la moitié?? Faites-vous une idée, messieurs les scénaristes : choisissez de tout traduire, ou de tout laisser dans la langue «originale» (avec sous-titres, si nécessaire!)… mais cessez d’être à cheval sur deux systèmes (je le disais déjà dans ma critique du tome #3 de la série Ben, il y a quelques jours à peine!)!!
- le mystère des planches manquantes (??!!). Petit détail s’il en est un, j’ai remarqué que Morris avait numéroté toutes ses planches. Grand bien lui fasse… mais les numéros sautent!! Les planches #7 et 49 sont inexistantes, de même que les planches 26 et 27!! Comme ces deux dernières se retrouvent «entre» les deux récits, on peut supposer qu’un court récit de deux pages aurait été dessiné mais non publié. Beau défi que celui de les retrouver!! Pour ce qui est de la #7 et de la #49, l’histoire se poursuit pourtant de manière naturelle! Serait-ce que les planches manquantes aient été des planches ratées que le dessinateur aurait refaites, mais sans modifier la numérotation?? Ou des planches, avec des péripéties supplémentaires, qui auraient été refusées par les éditions Dupuis? Qui sait?? Aux archivistes de résoudre ces énigmes!
- le découpage en damier, très classique. C’est assez lassant. Morris en est même venu à placer cinq rangées par planche, ce qui donne de minuscules cases! Quand, en plus, il doit numéroter certaines cases pour nous guider dans notre lecture, dans le haut de la p.33, c’est dire combien leur disposition ne suit pas le sens naturel de la lecture!!
- le côté bon enfant des récits, très basique et, heureusement, aujourd’hui dépassé! C’est important d’être prévenus et de savoir à quoi s’attendre : il ne faut les prendre que pour ce qu’ils sont, c'est-à-dire de simples divertissements des années quarante. Sinon… allô la déception!!
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