#01- L'ÉVEIL DU FAUVE
Scénariste(s) : Jocelyn BONNIER
Dessinateur(s) : Jocelyn BONNIER
Éditions : les 400 coups
Collection : Rotor
Série : Ocelot
Année : 2010 Nb. pages : 70
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (inspiration comics)
Genre(s) : Superhéros / Justicier masqué
Appréciation : 4 / 6
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Quand vient le temps de sortir ses griffes...
Écrit le lundi 23 mai 2011 par PG Luneau
À l’instar de plusieurs autres pays d’Amérique latine, la République d’Amarante est soumise à une administration assez contestable… mais fort peu contestée ! En effet, les journalistes locaux et internationaux ont beau essayer d’informer la population de toutes les exactions commises par son gouvernement, ils n’ont pas la tâche facile : manipulation de l’information, loi du silence, vetos gouvernementaux, censure… L’Américain Yannick Gilbert subit directement les affres de ces jeux de coulisses : alors qu’il met la main sur un super scoop qui placerait le fils du président local dans de gros emmerdements, ses papiers sont jugés non conformes et son caméraman reçoit une balle dans la tête, rien de moins!!
Et des «coïncidences» aussi flagrantes, c’est à la tonne qu’on en découvre… Corruption omniprésente, incontournables pots-de-vin, collusions et trafics à la pelle… Bref, ce gouvernement n’a pas le choix de frapper fort, à grands coups d’emprisonnements abusifs, s’il veut garder un contrôle minimal sur sa population… Mais une populace gérée par la force brutale, ça reste une populace fébrile, enragée, bouillonnante et dangereuse.
Cristobal Christian est un photographe indépendant qui tente de gagner sa croûte dans ce foutoir. Quand il n’a pas de contrat avec les agences de mode, il suit son copain Antonio, journaliste assez militant. Mais Cristobal subit un choc terrible le jour où Ana, une toute jeune fille dont il avait la garde, meurt dans l’explosion d’un autocar! Et bien que l’attentat soit attribué à un groupe terroriste, il y a fort à parier qu’il soit l’œuvre du gouvernement, qui se cherche toujours des raisons pour emprisonner et condamner les agitateurs publics.
C’est dans ce contexte explosif, où la violence transpire de partout, que Cristobal décidera de prendre les choses en main pour tenter de rétablir, un tant soit peu, un semblant de justice dans son pays où tout fout le camp. Hanté par la vieille légende ancestrale de l’homme-jaguar, il s’inspirera du jeune félin que la petite Ana chérissait avant sa mort atroce et deviendra… l’Ocelot, justicier masqué!
Jocelyn Bonnier nous offre ici un début de série qui n’est pas sans rappeler le classique Watchmen ou encore, plus récemment, le très violent Kick-Ass. Il modernise le mythe de Zorro en le ramenant à notre époque, mais en gardant le même contexte sud-américain (qui, d’ailleurs, m’a beaucoup fait penser à l’excellent diptyque Muchacho, de Lesage).
Ce premier tome nous présente ceux qui deviendront les principaux protagonistes. Il installe le contexte politique tout en mettant les pions en place. La jeune Mylène Van Loon, fille à papa néerlandaise en mal d’autonomie, lance son web-journal et ce dernier sera le point de ralliement d’Antonio, de Cristobal et, fort probablement, du pauvre Yannick. Melissa, l’ex-petite copine de Crist, débute comme journaliste à la télé nationale…
Cette mise en place peut sembler un peu lente, mais c’est O.K. car elle vise d’abord et surtout à expliquer l’état d’âme qui justifie, chez le héros, son passage à l’acte : ce n’est pas si évident de rendre crédible la création d’un justicier masqué!! Si votre voisin commençait à courir partout en collant, avec une cape et un masque, vous appelleriez probablement les soins psychiatriques! Pour qu’un homme en vienne à choisir cette solution, de deux choses l’une : ça va mal dans sa tête ou ça va mal autour de lui… Ici, c’est un peu les deux, et il faut le temps qu’il faut pour nous le faire ressentir!
Moi qui ne suis pas particulièrement fanatique de super-héros (ça finit presque toujours par des combats ridicules pour des enjeux absurdement irréalistes!), je trouve ici un entre-deux intéressant, faisant le compromis, tant dans le fond que dans la forme, entre la BD européenne traditionnelle et le comic book. Un très bon premier tome, donc, que je recommande à partir de treize ans. Vivement le tome #2, question de voir ce que cet Ocelot a dans le ventre et comment il composera avec ses collègues!!
Plus grandes forces de cette BD :
- la page de garde, qui nous montre les passeports des principaux personnages, comme s’ils venaient de se faire embarquer dans une rafle policière. Ça nous permet de faire leur connaissance et d’en apprendre un peu sur chacun d’eux, (âge, ville et pays d’origine…), avant même notre lecture!
- les traits vifs, anguleux, un peu nerveux. Même si les dessins ont souvent un petit côté malhabile, il s’en dégage néanmoins un style longiligne intéressant. De plus, les visages sont particulièrement bien réussis. Ils détonnent du reste par la précision et la finesse de leurs traits.
- certaines couleurs qui éclairent les lieux et les personnages : on se croirait vraiment sous le soleil sud-américain! Dommage que tout ce beau travail de coloration soit presque totalement occulté par la surenchère d’ombrages (voir plus bas).
- la thématique, classique mais peu traitée dernièrement… Il y a bien plusieurs bédéistes québécois spécialisés en super-héros qui travaillent pour nos voisins du Sud, chez Marvel ou DC comics, mais, si j’exclus les charmants élèves de l’Académie des chasseurs de primes, la BD québécoise francophone n’avait pas vu de super-héros aussi classique depuis… Capitaine Kébek, dans les années 70?? La collection Rotor est vraiment un bon vivier pour les «BD de genre», comme on dit!
- le dynamisme des plans et des cadrages lors de la scène de combat, dans le poste de police. Cette première apparition de l’Ocelot à de quoi marquer l’imaginaire. J’adore particulièrement le coup de la grosse cruche d’eau distillée, avec laquelle notre héros bloque une balle de révolver qui lui était destinée, à la page 51!
- le costume et la dégaine du justicier. Le masque et le costume donne à Cristobal une silhouette sculpturale et un look des plus impressionnants. Le voir en action est très enlevant et les gros plans sur son regard de feu sont hypnotisant. C’est à croire que sa symbiose avec l’ocelot est si parfaite qu’il en obtient la souplesse, l’agilité, la force… et même la grâce, ce qu’on ne soupçonnait pas nécessairement chez le photographe!
Ce qui m’a le plus agacé :
- les nombreuses erreurs de proportions. Le bras droit replié de Mylène, à la troisième case de la page 23, en est l’exemple le plus probant! En fait, si les visages sont bien rendus, les corps le sont beaucoup moins : tout le monde semble squelettique tellement les corps sont trop petits par rapport aux têtes ! Manifestement, monsieur Bonnier est meilleur portraitiste que dessinateur généraliste.
- les effets d’ombrages! Ils sont si sombres et si nombreux qu’on perd la moitié des belles couleurs appliquées!! Par exemple, aux planches des pages 8 et 9, tous les traits des visages sont rendus totalement invisibles à cause de l’ombre des feuillages! L’idée était bonne, mais techniquement, c’est assez raté! Et c’est tout du long de l’album qu’il y a de l’abus : tout y est beaucoup trop sombre!! Il y aurait eu là matière à une intervention éditoriale, à mon avis.
- les fautes de français!! Sans en chercher spécifiquement, il y en a deux qui m’ont sauté aux yeux, sur la même planche (page 29) : «…qu’on invite plus que dans les cérémonies…» et «…mais en fait c’est lui qu’il dirige les opérations militaires.» Et comment ne pas être gêné par cette «embassade» de la page 65??!! Des bavures aussi grossières sont impardonnables! En effet, si elles peuvent l’être pour un créateur qui ne porte pas la grammaire et l’orthographe dans son cœur, il en va autrement pour le correcteur mandaté par l’éditeur, non? Où était-il, ce correcteur?? En vacances à Amarante?? C’est, à mon sens, inadmissible et fort peu professionnel. Très décevant de la part de la collection Rotor!
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