PARTIE DE PÊCHE
Scénariste(s) : André-Philippe CÔTÉ, Jonathan CÔTÉ, Philippe GIRARD, Myriam ROY, Sylvie-Anne Ménard dite ZVIANE, Marc Simard dit MARSI, Venise LANDRY
Dessinateur(s) : André-Philippe CÔTÉ, Marie-Êve Tessier-Collin dite ORBIE, Philippe GIRARD, Myriam ROY, Sylvie-Anne Ménard dite ZVIANE, Marc Simard dit MARSI
Éditions : Glénat
Collection : Glénat Québec
Série : Partie de pêche
Année : 2010 Nb. pages : 49
Style(s) narratif(s) : Courts récits indépendants
Genre(s) : Quotidien, Humour, Récit psychologique, Fantastique
Appréciation : 3.5 / 6
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Partie de pêche et queues de poissons!
Écrit le dimanche 31 juillet 2011 par PG Luneau
Lorsqu’elle a lancé sa filière québécoise, la maison d’éditions Glénat a mis sur pied un concours afin de stimuler les bédéistes de la province et de, peut-être, dégoter certains talents cachés. Pour ce faire, tous étaient invités à présenter un récit de six planches sur le thème des Contes et légendes du Québec. C’était en 2008 et l’album dans lequel sont parus les récits gagnants a permis à certains artistes (dont Jean-Sébastien Bérubé, qui a lancé depuis sa superbe série Radisson) d’avoir un peu de visibilité.
L’année suivante, Glénat Québec a relancé ça sur le thème des Hivers québécois! Le tome publiant les œuvres des six vainqueurs m’attend dans ma pile à lire. J’y viendrai sûrement d’ici peu et vous en donnerai des nouvelles dans une future critique.
Si j’ai plutôt décidé de vous parler aujourd’hui de Partie de pêche, qui est, en fait, l’album présentant les lauréats de la troisième édition de ce même concours (sur le thème de la Pêche, cette fois-là), c’est parce que j’avais hâte de lire les cinq récits qui ont réussi à surclasser celui de mon ami Marsi, qui est arrivé sixième cette année-là (en 2010) et qui se retrouve donc dans les dernières pages de l’album. J’ai même préféré commencer par d’abord lire son récit, puis de lire les autres, à rebours, question de constater jusqu’à quel point les prix avaient été attribués dans le bon ordre!! Quel petit malicieux je suis!!
Et bien, ce fut une judicieuse idée de procéder ainsi (commencer par le 6e, puis le 5e, et le 4e et ainsi de suite…), car ce sont les trois premiers que j’ai lus (donc les trois derniers de l’album!) que j’ai préférés!! Je sais bien que l’art est difficile à évaluer, et qu’il n’est pas évident, pour un jury, de «classer» des œuvres aussi disparates… La subjectivité de chacun des membres reste un impondérable qu’on ne peut contourner qu’en augmentant le nombre de membres dans le jury!! (Ça, ce serait un rôle que j’aimerais jouer!!) Mais disons que, personnellement, mon classement aurait été totalement à l’inverse de celui du présent comité!
En effet, mes deux récits favoris sont Esquive, de Zviane, et le Brâne, de Marsi… en toute objectivité!! Je sais que ça va sonner cliché, mais je tiens tout de même à dire que j’ai fait l’exercice en faisant le plus abstraction possible du fait que Marsi est un des fondateurs du présent site (il est en quelque sorte le propriétaire de ma Lucarne!), en plus d’être un de mes meilleurs amis et l’auteur de Miam miam fléau!! Mais dans l’analyse des six récits constituant ce recueil, j’ai débranché, autant que faire se peut, la zone «amitié» de mon cerveau. Il en résulte que j’aurais attribué le premier prix à Zviane et le second à Marsi. Myriam Roy aurait reçu la troisième place, puis j’aurais eu de la difficulté à départager le Lac caché (de Philippe Girard, dont j’ai déjà commenté la Visite des morts) et Franz & Sigmund (d’André-Philippe Côté, dont j’ai déjà critiqué un tome de sa série Baptiste). Finalement, le texte de Jonathan Côté, illustré par Orbie, n’aurait obtenu avec moi que la 6e place, au lieu de la seconde qu’elle a obtenue ici.
Enfin j’ai lu du Zviane, dont on parle tant! J’avais franchement hâte d’être confronté à l’univers tout intimiste de cette bédéiste québécoise. Elle a fait ici un bon boulot, très efficace. Dans le genre «tranche de vie», j’avoue qu’elle parvient avec beaucoup d’aisance à susciter toutes sortes d’émotions courantes (sympathie, nostalgie, amusement, malaise…), ce qui n’est vraiment pas donné à tout le monde. Évidemment, on peut difficilement ne pas faire le rapprochement avec Rabagliati, qui est devenu une référence en la matière. Avec un trait un peu plus simple, elle parvient, tout comme lui, à nous montrer notre vie, notre quotidien… On se reconnaît parfaitement dans ses planches, c’est nous tout craché. J’ai eu plein de souvenirs d’expéditions en motoneige et de journées familiales à la cabane à sucre! Elle sait parler à notre âme de Québécois de souche, et ça sonne si vrai que ça ne peut faire autrement que de toucher tout le monde, peu importe son origine!
Pour ce qui est du Brâne, je l’avais déjà lu bien avant sa parution, l’auteur m’ayant demandé mes commentaires avant de l’expédier… et j’avais hâte de le relire, question de voir si ma perception avait changé!
Je suis toujours aussi ébahi par la somptuosité du graphisme de Marsi. Ses traits, toujours d’une rondeur parfaite, m’envoûtent à chaque fois. J’ai aimé pouvoir me concentrer sur l’anecdote et l’ambiance mystique qui se dégage de son récit, plutôt que sur les centaines de petits détails qui avaient attiré mon attention à ma première lecture… Il est vrai que je n’ai plus à me concentrer sur ces détails, puisque j’ai pu passer des heures et des heures à les admirer… Marsi m’ayant comblé en me donnant ses originaux, lors de mon dernier anniversaire!!! Saviez-vous qu’il a inventé ce nom de Brâne en s’inspirant de la couleur du poisson : il a imaginé la prononciation québécoise du terme anglais «brown», tout simplement!
Sur le plan du texte, je dois avouer qu’aucun des six récits ne m’a transporté. Si Zviane se démarque un peu par les émotions qu’elle a exploités bellement et Marsi par l’ambiance mystérieuse qu’il a pu insuffler à son petit univers, les quatre autres textes ne m’ont pas particulièrement parlé. Je ne soulignerai que l’originalité de mademoiselle Roy, qui a eu la bonne idée de prendre le thème de la pêche sous l’angle de la drague… mais sans vraiment en tirer grand-chose. En fait, si les gagnants des quatre premières positions ont fourni des œuvres correctes, tout au plus, qui avec une ambiance intéressante (A.-P. Côté), qui un bon rythme (J. Côté & Orbie), qui un ton assez juste (Girard), tous m’ont stupéfié par leur chute affligeante!!
Voilà, je l’ai dit : les quatre premiers récits finissent en queue de poisson (si vous voulez bien me pardonner ce jeu de mots facile dans un tel contexte)! Leurs chutes sont si ennuyeuses, prévisibles ou abstraites que je ne comprends pas l’engouement des jurés!!? J’en suis même à me demander si j’ai raté quelque chose, ou si je n’ai pas l’intelligence nécessaire pour comprendre certaines subtilités qui m’auraient échappé… Il est vrai que j’ai toujours détesté les nouvelles littéraires. Un court récit de six planches, dans un contexte de concours comme celui-ci, s’apparente assez, bien évidemment, à ce genre littéraire. Et comme, dans une nouvelle, les deux éléments primordiaux sont généralement l’ambiance et la chute, on se trouve un peu mal barré quand un des deux fait défaut!!! C’est malheureusement trop souvent le cas dans ce recueil.
Reste le plaisir de découvrir de nouveaux talents, de nouvelles approches, de nouvelles techniques, de nouvelles visions… et celui de comparer comment un même thème peut engendrer des résultats différents (ou parfois étonnamment proches : avez-vous remarqué la grande similitude entre l’illustration d’introduction de Philippe Girard et celle de Marsi!!?). Je conseillerais donc cet album aux amateurs de curiosités… et aux passionnés de pêche, pourquoi pas!?
P.S. : À noter que le thème de la version 2011 du concours, qui paraîtra cet automne, est le Hockey!
Plus grandes forces de cette BD :
- chez Côté avec son Franz & Sigmund : a) l’intéressant contraste entre l’incessant verbiage de son Freud et le caractère taciturne de son Kafka, ainsi que la brisure de ton, après la chute de ce dernier. b) la fine construction du scénario (la ceinture non mise, instaurée dès le début; l’allusion au fait qu’un artiste connaisse bien son inconscient…)
- chez Côté & Orbie avec leur Pas de pêche : a) les gros plans des personnages, qui ont des bouilles bien sympathiques. b) la localisation exotique (savez-vous où se trouve Imsouane?). c) le ton complice, entre le lecteur et le héros, qui n’hésite pas de se foutre de sa propre gueule.
- chez Girard avec son Lac Caché : a) la belle lisibilité des vignettes, très grandes, ainsi que leur coloration très vive. b) la belle montée du simili-suspense…
- chez Roy avec sa Marine en ligne : a) l’originalité dans l’angle d’approche du thème, qu’elle a eu l’audace de prendre à contrepied. b) le dessin, plus commercial mais qui détonne de tous les autres.
- chez Zviane avec son Esquive : a) les émotions qui transcendent le récit. La joyeuse naïveté de la jeunesse et l’empreinte de nostalgie sont bien démontrées dans les premières planches (j’adore le schéma qui explique comment faire des lapins avec des petits gants de laine et la vision très suggestive du quatre-roues, gigantesque et merveilleux à travers les yeux d’enfant!). Quant à lui, le malaise final, tout en non-dit, est bien accentué par le changement radical de palette de couleurs. b) l’utilisation des petits yeux ovales, sans pupille, à la «manga» : j’aime bien quand un dessinateur (ou une dessinatrice!!), pour démontrer l’extrême surprise d’un de ses personnages, lui fait ces petits ovales tout blanc, surmontés de deux sourcils haussés. C’est très cocasse tout en étant très expressif! c) le choix du titre, très judicieux.
- chez Marsi avec son Brâne : a) la force qui se dégage de la perfection de ses traits. Ce n’est pas pour rien que deux journalistes mal informés ont osé prétendre que tous ses dessins étaient faits à l’ordinateur!! b) les verts et les turquoises qui abondent dans ses planches. c) l’originalité de sa couverture qui, en plus de reprendre la même image en deux tailles différentes, sert de point de départ au récit, puisque la photo en question est celle aperçue par le narrateur au début du récit!
Ce qui m’a le plus agacé :
- de manière assez généralisée, un manque de rigueur dans la ponctuation. J’ai dénoté plusieurs virgules oubliées. Le correcteur aurait dû être plus vigilant!
- chez Côté avec son Franz & Sigmund ET chez Côté & Orbie avec leur Pas de pêche : a) les dessins, trop brouillonnés pour les médaillés d’argent et un peu trop jetés, ou trop secs, pour le grand gagnant, Franz & Sigmund (bien que la nervosité graphique de ce dernier récit soit adoucie par son intéressante coloration). b) dans les deux cas, des décors trop vides et… c) une finale ratée!
- chez Girard avec son Lac Caché : a) les barbes de trois jours, dessinées de façon à ce que les personnages aient l’air d’avoir été scarifiés!! b) la très grande place occupée par les phylactères. c) le ridicule de la chute finale : qu’un gars se trompe, je ne dis pas, c’est possible (bien qu’éculé!)… mais que trois gars se trompent!?? Là, on est dans un délire un peu trop ridicule pour moi! Le récit est trop réaliste pour finir sur un punch aussi absurde.
- chez Roy avec sa Marine en ligne : a) le texte de son blogue, dans la première case. Il est écrit bien trop petit! Il est repris en plus gros dans le bas de la deuxième planche, mais c’est un peu trop tard! b) les dialogues, qui ne sonnent pas très naturels, peut-être à cause du manque de fluidité dans les structures de phrases et dans la ponctuation. L’utilisation de la langue est ici assez ordinaire… c) la scène d’habillage et de préparation, un peu trop étirée… Quand on ressent des longueurs dans un texte de six pages, ce n’est pas bon signe! d) la fin, en queue de poisson!!
- chez Zviane avec son Esquive : a) l’illustration de la page d’introduction, assez fade et vide. Elle ne me semble pas représentative de toute l’énergie et la vitalité qui se dégagent de sa narratrice. b) les couleurs, peut-être un peu trop sombres, trop terreuses à mon goût.
- chez Marsi avec son Brâne : a) la présence d’un idéogramme (l’hameçon) difficile à interpréter. Malgré les explications qu’il m’en a données à l’époque (ça fait quand même plus d’un an!), je ne parviens pas à me souvenir du sens qu’il voulait y donner, ni à lui en donner un moi-même qui me soit satisfaisant!!
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