#02- SALADIN
Scénariste(s) : Frédéric BRRÉMAUD
Dessinateur(s) : Federico BERTOLUCCI
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : Richard Coeur de Lion
Année : 2007 Nb. pages : 47
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Héros animalier, Fantastique médiéval, Humour
Appréciation : 3 / 6
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Quand Jésus Christ se mêle de réincarnation
Écrit le samedi 24 juillet 2010 par PG Luneau
Voici la suite de l’album intitulé Saint-Jean-d’Acre, que j’ai critiqué il y a quelques jours. Est-ce sa conclusion? Difficile à dire, tant la fin est ouverte… mais je crois sincèrement que ce devrait l’être!!
En fait, ce tome reprend là où le premier nous avait laissé : Richard Cœur de Lion est entre la vie et la mort car Paranoïa, sa belle aide de camp musulmane, vient de lui trancher la gorge! Parce que Richard repousse ses avances? Parce qu’il vient de reprendre la ville des mains des Musulmans après une sanglante bataille? Parce qu’il a fait en sorte, bien involontairement par contre, que tous les Musulmans prisonniers soient brûlés vifs plutôt que gardés en otages? Les motivations de la belle sont assez obscures, mais les faits sont là : la dangereuse «pitoune» est pourchassée par les soldats chrétiens et un groupe de carabins plus bavards qu’efficaces tente de garder le roi anglais du côté des vivants, hésitant entre lui faire une saignée ou un cataplasme.
Mais un nouveau petit personnage entre en scène, Barbone, un ancien croisé qui erre depuis trente ans à la recherche d’un roi maudit. Roi qu’il reconnaît d’ailleurs en la personne de Richard lorsque la civière de ce dernier passe près de lui. Le pauvre gueux fera des pieds et des mains pour parvenir à approcher le roi et pour lui faire part de la malédiction qui plane sur eux deux. Car, à en croire le vieillard, ils se seraient connus, trente ans plus tôt, et Richard serait la réincarnation d’un indigne chevalier à qui le Seigneur accorderait une chance de se repentir, en autant qu’il mette fin aux guerres incessantes qui rongent ce coin du monde. Cela expliquerait pourquoi Richard fait ces affreux rêves de pillages et pourquoi il a tant d’impressions de déjà-vu!
Évidemment, l’avide Conrad de Montferrat a pleinement profité du coma de son chef pour débuter l’invasion en règle de toute la Palestine, ce que Richard n’aurait probablement pas permis. De son côté, Saladin, le grand dignitaire en chef des Musulmans, mijote sa vengeance et se prépare à frapper un grand coup, là où ça ferait mal, c’est-à-dire dans le poitrail du Cœur de Lion!!
Si on comprend enfin mieux les mystères qui avaient été laissés en suspend dans le tome #1, il n’en demeure pas moins que ce deuxième tome souffre encore d’une foule de défauts qui, à la longue, rend sa lecture pénible. Le graphisme à la Walt Disney est encore omniprésent, nous laissant croire que le récit est pour les tout petits, mais les combats sont d’une violence complaisante. Les dialogues, souvent mal assurés, sont bourrés d’erreurs, d’oublis ou d’incohérences… Qu’est-ce que ça sent le «vite, vite, la date de tombée est passée depuis deux jours, on n’a pas le temps de peaufiner!»!
Non, vraiment, il serait souhaitable que cette série s’arrête là, même si toute l’histoire de la malédiction reste en plan. Après tout, voulons-nous vraiment nous taper un troisième tome de maladresses?
Plus grandes forces de cette BD :
- certains épisodes efficaces. Notamment le passage où Paranoïa réussit enfin à rejoindre son contact (p.8), ou celui où Richard et Barbonne parviennent à s’enfuir en dévalant un escalier sur un bouclier, tels deux surfeurs californiens (p.43)!
- les chevaux. Leur tête est toujours très expressive et leur attitude générale reflète bien l’intensité de leur galop.
- certaines physionomies très caricaturales. C’est surtout le cas lorsque les différents personnages reçoivent des coups, ce qui est très fréquents, finalement! Mentions spéciales pour le garde de Paranoïa (p.12) et pour Montferrat (p.37).
- le personnage de Barbone, vieil illuminé qui en sait plus qu’il n’y paraît. Il est dynamique et rigolo de par ses contradictions. C’est grâce à lui qu’on obtient enfin la clé du mystère et son entrée en scène relance le récit. Il prend une grande place dans ce tome.
- l’éclatement contrôlé de certaines mises en page. Encore dans ce tome, Bertolucci excelle dans l’agencement harmonieux des éléments qui dépassent des cadres pour empiéter sur les cases environnantes sans nuire à la lecture d’ensemble de la planche.
- le personnage de Philippe-Auguste, qui prend goût au pouvoir. Ce petit porcelet rondouillet et maladroit refait un retour en force en fin de tome, mais rempli de fierté et d’orgueil, cette fois, depuis qu’il a saccagé la région de Cana! Il apprécie tellement sa nouvelle toute puissance qu’il ne voudra plus en démordre ni rendre les rennes du pouvoir à Richard!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le visage du médecin chauve-souris. C’est évident qu’en le dessinant, monsieur Bertolucci a voulu caricaturer un de ses proches… mais qui ? Ça donne un animal trop humanisé, qui détonne d’avec les autres. De plus, il est trop chauve-souris pour faire un bel humain et trop humain pour faire une belle chauve-souris! Résultat : un dessin complètement raté!
- les anachronismes, surtout ceux du dépotoir de la page treize! Mais qu’est-ce que c’est que ces niaiseries!?! Dans le tas, on retrouve un téléviseur, une carcasse de voiture, un silencieux, un Winnie l’ourson en peluche (toujours Disney!!), un exemplaire du Da Vinci Code, une vidéocassette, une montre et des lunettes de soleil! C’est supposé être drôle? Tout le récit a déjà bien assez de mal à développer une certaine cohérence et une crédibilité certaine, il aurait peut-être fallu l’aider un peu en allégeant ce genre de détails. Et pourquoi le cheval de la p.40 fume-t-il une cigarette? C’est ridicule et ça n’ajoute rien : le tabac a été amené d’Amérique des centaines d’années plus tard!
- Donald Duck en médecin arabe qui invente la perfusion! Alors là, c’est le top! Donald en personne, affublé d’une barbiche et d’un immense turban, qui apparaît à la page vingt pour soigner le personnage principal! Mais Bertolucci veut la mort de sa série ou quoi!?! Comment ne pas décrocher complètement face à une telle apparition : c’est complètement grotesque et risible!! D’autant plus qu’il accroche une panse de brebis pleine de sang pour en redonner à son patient, sous les yeux catastrophés des médecins européens déjà présents. On se croirait presque dans un vaudeville!
- la formidable vigueur au combat de Richard, qui sort du coma!! À peine une minute après avoir ouvert les yeux, la gorge encore toute ensanglantée, il évite habilement deux nouvelles agressions de Paranoïa, puis il s’en prend à Saladin dans un farouche corps à corps de deux planches, pour ensuite fuir en sautant d’un étage (non sans fracasser une fenêtre au passage!) et encore se battre furieusement avec Conrad de Montferrat! Pfiou!! Tout ça en moins de quinze minutes, environ. Pas mal, non, pour un convalescent qui, une heure plus tôt, était condamné par ses médecins??!!
- la violence des combats. Encore cette fois, quand ce ne sont pas les têtes qui roulent, ce sont les trachées qui s’entrouvrent et le sang qui gicle. Le coup du poignard dans l’œil, notamment, est assez vicelard (p.26)!
- les dialogues, avec leurs répliques qui s’enchaînent mal ou pas du tout. Relisez l’enchaînement entre le bas de la page 31 et le haut de 32 : c’est pitoyable! Ou encore à la page 36, lorsque Montferrat se met à faire l’enfant en hurlant «J’entends pas! J’entends pas !...» : il faudrait bien que Richard tente de lui dire quelque chose pour motiver une telle réaction. Eh bien non! La seule autre bulle de la case nous laisse entendre le rire idiot d’un des soldats! Et que dire des phylactères qui sont mal attribués! Par exemple, dans la 3e case de la page 32, la deuxième bulle devrait être la suite de la première, et dite par Saladin. Pourquoi l’appendice pointe-t-il vers Paranoïa?
- les très nombreux mots manquants. «Quittez la ville, je vous dis, avant mes hommes ne m’aient pris pour un fou et décident de vous occire quand même. » (p.38). «Mais j’en ai rien à foutre!» (p.38). «Comme si je ne valais même la peine qu’on érige un poteau pour m’empaler!... » (p.38). Si un correcteur quelconque (très très quelconque!!) a relu cette foutue page 38, qu’on lui fasse subir le même sort que Saladin dans la dernière case de la page!
- la fin. Est-ce que la série se termine sur cette fin ouverte ou si un autre tome viendra poursuivre le récit? Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux seraient possibles. Bien que la malédiction reste en suspend et qu’on sait, historiquement parlant, que Richard Cœur de Lion n’a pas finit sa vie en errant dans le désert, ce qui appelle une suite, le mot FIN inscrit sous la dernière vignette et la détermination de Richard nous porte à croire que la fin restera en blanc, nous forçant à faire nos propres conclusions. Personnellement, je trouve que ce serait une très bonne chose! De fait, c’est peut-être le cas, vu que ce tome date de 2007 et que rien n’est paru depuis!?
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