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Urielle
URIELLE
Scénariste(s) : Denis LAPIÈRE, Frédéric Séron dit CLARKE
Dessinateur(s) : Frédéric Séron dit CLARKE
Éditions : Quadrants
Collection : Quadrants Boussole
Série : Urielle
Année : 2009     Nb. pages : 72
Style(s) narratif(s) : Roman graphique
Genre(s) : Historique ésotérique
Appréciation : 5 / 6
Begin the Béguines!
Écrit le lundi 22 août 2011 par PG Luneau

Vous connaissez les Béguines? Il s’agit de communautés de femmes, laïques et non reconnues par l’Église, qui, au Moyen Âge, ont décidé de vivre leur foi intensément, un peu isolées, à la manière des moniales officielles. Dans l’album Urielle, on nous présente Erika et ses quatre filles, qui ont décidé de vivre ainsi, dans un boisé en bordure du Rhin, un peu à l’écart des villes. Pour gagner leur vie et se rendre utiles au clergé, elles travaillent comme copistes, traductrices et enlumineuses de textes sacrés. Malheureusement pour elles, non seulement les hauts dirigeants de l’Église hésitent à les reconnaître, mais ils auraient même plutôt tendance à vouloir les interdire! Après tout, qu’est-ce que des femmes peuvent bien comprendre du message de Dieu et de Sa volonté?!!

 

En ce début de l’hiver 1238, Hermance, l’aînée des filles d’Erika, découvre dans les premières neiges une jeune femme nue, hébétée et amnésique! Comment peut-elle bien avoir abouti là, au milieu de la forêt?! Sans autre forme d’enquête, la pieuse famille recueille cette sixième femme, la soigne et la baptise Urielle! La mystérieuse arrivée de cette jeune fille et certains phénomènes étranges dont elle sera la cause commenceront à attiser la foi des paysans locaux, au grand dam de Conrad de Marbourg, représentant envoyé par la Très Sainte Inquisition, venu faire la lumière sur tous ces événements… Mais les voies du Seigneur sont si souvent impénétrables!

 

Denis Lapière, que je connaissais surtout pour ses excellentes séries jeunesse comme Alice et Léopold, la Clé du mystère et Ludo, a coécrit ici un excellent scénario, d’une maturité indéniable. Il s’agit d’un one shot très peu verbeux, où foi, recueillement et non-dits laissent autant de place à l’ésotérisme et au mysticisme… qu’à la duplicité! Le dicton dit bien : «Là où il y a de l’Homme, il y a de l’Hommerie!»… Apparemment, les Femmes ne sont pas bien différentes sur ce point! Il fallait s’attendre à quelques surprises!

 

Pour ce qui est du dessin, j’ai été très surpris du travail de Clarke. Ce dessinateur, dont j’aime bien le trait assez caricatural sur des séries comme Mélusine, Cosa Nostra ou Durant les travaux, l’exposition continue...,  y va cette fois d’un style beaucoup plus réaliste… et, ma foi, il s’en tire très bien! Ses cases sont d’une composition infiniment plus recherchée que dans ses petites séries humoristiques, avec une grande variété d’angles de vue et de plans qui enrichissent le tout, et un travail d’encrage très appliqué. Ce sombre récit commandant de grandes zones d’ombrages opaques, Clarke s’est mis à la tâche, et il a relevé le défi avec brio!

 

On pourrait croire que ce récit ne s’adresse qu’aux passionnés d’histoire qui s’intéressent aux chicanes religieuses du XIIIe siècle… mais ce serait très réducteur (effectivement : on pourrait difficilement réduire un lectorat encore plus que ça!!)! L’histoire d’Erika et de ses filles reste suffisamment intrigante pour satisfaire Monsieur et Madame Tout-le-Monde, dès quinze ou seize ans. Elle s’avère une belle illustration du dur labeur pour la reconnaissance des femmes par l’Église, mais aussi par la société en général.

 

Moi, en tout cas, il m’a donné le goût d’en savoir plus sur le Concile de Mayence et sur les décisions d’ordre religieux qui y ont été prises. Aurez-vous cette curiosité?

 

 

Plus grandes forces de cette BD :

 

  • la très belle couverture épurée. Elle nous montre la pauvre Urielle, farouche et vulnérable, et instaure déjà une ambiance mystérieuse : À quoi (et à qui!) aurons-nous affaire?

 

  • les jolies enluminures qui décorent l’entête de chacun des chapitres. Elles sont tout à fait de circonstance, et donnent le ton du chapitre.

 

  • la variété et la beauté des agencements de plans et d’angles de vue. J’ai particulièrement apprécié ce plan en plongée de la fermette, toujours cadrée de la même façon, qu’on retrouve à quatre ou cinq reprises, et qui nous permet de constater du temps qui passe, au fil des heures du jour et des saisons.

 

  • une belle uniformité de couleurs. Les teintes d’ocre, de brun et d’orange brûlé s’harmonisent très bien aux nombreuses cases très noires. De plus, la resplendissante arrivée de la verdure, au dernier chapitre, avec le retour du printemps, nous redonne une lueur d’espoir.

 

  • l’ambiance mystique, renforcie par le caractère naturellement sombre des lieux et le peu de texte. Beaucoup de non-dits, dans la pénombre… On recherche l’intensité du recueillement, et les auteurs arrivent à l’imposer! Les passages en latin, parfois assez long, y contribuent aussi.

 

  • un thème méconnu et fascinant : le début des Béguines. J’ai été frappé par les ressources ingénieuses que ces femmes, pourtant souvent mal vues par les autorités religieuses et civiles, devaient mettre en place pour faire leurs marques! Et je trouve admirable que des femmes, ici une mère et ses quatre filles, soient si investies par leur foi qu’elles en viennent à vivre ainsi! Il en fallait, du courage et de l’abnégation, pour accepter de se compliquer la vie de cette façon! J’ai bien aimé, aussi, découvrir (sur le Net!) que le personnage de Conrad de Marbourg a réellement existé, et qu’il a effectivement été un inquisiteur fort craint, à l’époque, dans cette région reculée de l’Allemagne!

 

  • de beaux personnages de femmes fortes, déterminées contre vents et marées. Hermance, Ida, Clothilde et Adalind, les quatre filles d’Erika, ont vraiment reçu de leur mère une éducation stricte et directive qu’elles ont toutes intégrée, chacune à leur façon, selon leur personnalité. La dynamique familiale est intéressante à observer.

 

 

Ce qui m’a le plus agacé :

 

  • l’absence de traduction des passages en latin ou, surtout, de ceux en allemand. On peut évidemment comprendre que les bouts de latin sont des prières classiques. Par contre, les bouts en allemand, plus nombreux vers la fin, semblent jouer un rôle important. J’aurais aimé être à même de les comprendre avec plus de précision.

 

  • le fait qu’on ne fasse jamais allusion au père! J’imagine qu’Erika n’a pas engendré ses quatre filles par l’intervention de l’Esprit Saint! J’aurais aimé apprendre ce qui lui est arrivé, question de mieux comprendre l’impact qu’il a pu avoir sur ses filles, sur sa femme. Était-il pieux lui-même? Est-il décédé ou s’il a fui sa famille?... Ça aurait été intéressant à savoir!

 


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@ Jérôme : C'est d'ailleurs ce qui m'impressionne le plus des bons dessinateurs! Souvent, ils ont leur style à eux, mais peuvent aussi, quand ils le veulent, devenir caméléon et se mettre à dessiner «à la manière» d'un autre! C'est fascinant! Dans ce cas-ci, on peut quand même reconnaître, à certains détails (les yeux, notamment), la main de Clarke.
Rédigé par PG Luneau le samedi 27 août 2011 à 8:57


Vraiment surprenant de voir Clark dans un style beaucoup plus réaliste. J'associe toujours son nom à Mélusine mais c'est intéressant de voir un dessinateur capable de modifier son trait avec tant de facilité.

De mon coté je termine (pour cette année) ma série estivale sur mes grands classiques de la BD avec Valérian et Laureline : http://litterature-a-blog.blogspot.com/2011/08/mes-grands-classiques-de-la-bd-6.html
Rédigé par Jerome le vendredi 26 août 2011 à 3:41




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