#01- MA TÊTE DANS LES NUAGES
Scénariste(s) : Teresa RADICE
Dessinateur(s) : Stefano TURCONI
Éditions : Dargaud
Collection : Dargaud jeunesse
Série : Violette autour du monde
Année : 2013 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récits complets
Genre(s) : Récit psychologique, Quotidien, Historique, Humour tendre, Drame familial
Appréciation : 4.5 / 6
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Quand les sagesses de la vie se font beautés...
Écrit le dimanche 15 septembre 2019 par PG Luneau
Tomes lus : #01- Ma tête dans les nuages (Récit psychologique, Quotidien, Historique, Humour tendre)
#02- la Symphonie du Nouveau Monde (Récit psychologique, Quotidien, Historique, Humour tendre)
#03- En route pour l'Himalaya (5,5 /6)
Wow! Je viens de vivre une expérience littéraire qui m'a totalement remué!! Moi qui n'ai jamais trop apprécié la poésie ou les philosophies bienpensantes (de type : Souris à la vie, elle te le rendra bien!) , je viens d'avoir la preuve qu'il est possible d'amalgamer le tout dans une série de petits albums plein de tendresse, de sensibilité, d'ouverture et de belles réflexions! Cette série, c'est Violette autour du monde, des bédéistes italiens Teresa Radice et Stefano Turconi!
Jamais je n'aurais cru être interpelé un jour par des récits où il se passe si peu de chose... en fait, où les rares péripéties ne sont que prétextes à démontrer des valeurs de fraternité et d'humanité ou à exposer bellement combien la vie serait tellement plus simple si on pouvait voir tous les petits bonheurs qui nous entourent.
Oh je sais! Dis comme ça, ça paraît d'un cucul... mais Violette et ses amis nous l'exposent tellement joliment que ça coule de source.
Dans le premier tome, qui vise surtout à présenter les personnages, on retrouve Violette à Paris, en juin 1893. Le cirque où elle vit s'y est campé assez longtemps pour qu'elle puisse aller quelques temps au collège... Mais les pupitres alignés et les leçons bien mémorisées ne sont tellement pas la tasse de thé de cette jeune artiste rêveuse, fille d'artistes rêveurs!! ;^) Lors d'une balade en ville, la fillette croise un petit bonhomme particulier en quête d'inspiration, avec qui elle s'accoquinera très rapidement : un certain Henri de Toulouse-Lautrec! :^0 Ensemble, ils découvriront les bienfaits de la différence.
Ensuite, dans le tome #2, le Cirque de la Lune se retrouve à New York. Alors qu'il s'apprête à lever le campement pour se diriger vers Halifax, Violette et son partenaire de trapèze Samir se lieront d'amitié avec un étrange moustachu venu offrir ses services, un homme qui semble fuir quelque chose et qui se nomme... Anton Dvorak! Ce dernier démontrera de solides talents de dompteur en apprivoisant le nouveau cheval, très fougueux, de Violette. Il découvrira aussi un autre passager clandestin qui se tenait tapi dans la réserve de foin de la caravane... En explorant les beautés de ce Nouveau Monde, le célèbre chef d'orchestre en profitera pour développer la Symphonie qui lui trotte dans la tête depuis si longtemps!
Finalement, dans le 3e tome, on a droit à un album très spécial, tout en retours en arrière. Alors que la troupe se met En route pour l'Himalaya, afin d'y laisser l'un d'entre eux à son dernier repos, divers membres du groupe de saltimbanques y vont de leur histoire, racontant comment ils en sont venus à faire partie du Cirque de la Lune. Cette succession de récits en flashbacks nous permet d'en apprendre beaucoup plus sur le passé de la troupe : comment les parents de Violette se sont rencontrés, comment s'est passé la naissance de Violette ou l'arrivée de Samir et de sa sœur au sein de la communauté circassienne... La finale, hyper touchante, m'est tellement rentrée directement au fond du cœur que j'en ai encore les larmes aux yeux, trois semaines après ma lecture! Un pur moment d'émotion, un coup de cœur immense...
Évidemment, on est dans une série d'ambiance : il ne faut pas croire que ces albums emballeront les jeunes au point qu'ils se les arracheront, à la bibliothèque (comme c'est le cas pour les Légendaires ou l'Agent Jean!)... Au contraire, c'est le parfait exemple d'une lecture intelligente qui demandera un accompagnement de la part d'un adulte, ne serait-ce que pour valider la compréhension du jeune lecteur ou son interprétation des thèmes abordés. Mais que de richesses pour nos belles têtes blondes!
Attention toutefois de ne pas tomber dans le même piège que moi! En effet, compte tenu du type de dessin, rempli de tendresse mais très caricatural, et de la superbe coloration pastel (et aussi un peu à cause de la thématique du cirque, que je chéris entre toutes!), j'ai d'abord cru que ces albums s'adressaient à un lectorat de 7 ou 8 ans... Le petit logo imprimé sur la 4e de couverture des tomes #2 et 3 indique quant à lui de 6 à 10 ans. Que nenni! Le sérieux des propos et, surtout, la poésie avec laquelle ils sont tenus s'adressent plutôt aux plus matures, disons de 10 ou 11 ans, finalement!
P.S. : Bravo au traducteur, Frédéric Brémaud, que j'ai plutôt connu comme scénariste sur des séries comme Alika, Richard Cœur de Lion ou Love, cette somptueuse série animalière totalement muette : le texte est ici tellement bien écrit que je n'aurais jamais deviné qu'il était originalement en italien si je ne l'avais pas lu sur la page de titre! ;^)
Ce qui m'a le plus agacé :
- la dichotomie entre l'intensité des propos et la légèreté du dessin. Je viens d'en parler: au bout du compte, malgré les petites péripéties anecdotiques, les textes se veulent réflexifs, et tant leur contenu que leur forme sont bien étoffés. Quand Toulouse-Lautrec ou Dvorak nous expliquent leur vision de leur art, ou qu'on cite des textes de Thoreau et de Gibran, on est pas mal dans l'abstraction! Mais le dessin qui emballe le tout est tellement mignon qu'il pourrait facilement laisser croire que le tout s'adresse aux 6 ou 7 ans... C'est oublier que même les plus grands peuvent apprécier les trucs mignons!! ;^) En fait, sachez simplement que, si vous offrez un de ces albums à un tout jeune enfant, il risque de ne pouvoir en apprécier réellement toute la substantifique moelle avant quelques années... Ce qui n'est pas plus mal, bien sûr: il pourra entretemps se laisser subjuguer par les dessins!! ;^)
- des incongruités américaines!? Malgré l'excellent travail de reconstitution historique qui a été fait par les auteurs (voir plus bas), leur connaissance de l'Amérique souffre manifestement un peu trop de l'imagerie populaire que s'en font les Européens! Ainsi, deux agents des douanes canado-américaines ne peuvent pas discuter de leur travail... à Providence, Rhodes Island! En effet, cette ville est à 7 heures d'autoroute de la frontière la plus proche, et les autoroutes n'étaient vraiment pas très fonctionnelles, en 1893!!? D'appeler une hutte de castors une tanière, ou des samares des graines d'érable, c'est un peu le même genre de bourdes... Finalement, j'allais me plaindre du choix des auteurs de nommer le jeune Amérindien qui se joint à la caravane: Hiawatha. Je trouvais que ça démontrait un manque total d'imagination... Mais mon instinct m'a incité à pousser mes recherches un peu plus loin... J'imagine que c'est ce qu'avait déjà fait madame Radice car si elle lui a attribué ce nom tout ce qu'il y a de plus cliché, c'est en somme pour faire un clin d'œil au poème du célèbre Longfellow: the Song of Hiawatha, dont ce serait inspiré Dvorak, pour sa Symphonie du Nouveau Monde! Alors, si le nom est cliché, il a au moins sa raison d'être!
- deux coquilles subtiles... L'une dans un texte norvégien, l'autre qui passe presque inaperçue dans la narration des Mille et une nuits! Je m'explique. Les divers membres du Cirque de la Lune proviennent de tous les coins du monde: Irlande, Chine, Russie, Perse, Inde... Afin d'insister sur cette diversité et cette multiplicité, les auteurs se sont fait un point d'honneur, pour chacun de ces personnages, de placer quelques phylactères dans leur langue maternelle. Je n'ai pas pu vérifier les bulles écrites en arabes, ou celles écrites à l'aide des alphabets cyrillique, grec ou indien, mais je me suis amusé à décoder, via les traducteurs Internet, le sens de ce que disaient les saltimbanques qui parlaient les langues utilisant notre alphabet. Mais alors que l'Irlandaise et l'Écossais disent Comment allez-vous? (tome #1, p.24), le Norvégien dit pour sa part Hvordan har du net?, littéralement: Comment avez-vous de filet?:^S J'ai toutefois constaté que Comment allez-vous? se disait, en norvégien: Hvordan har du det? J'en conclus que le glissement du D au N est bien involontaire... mais je n'en tiens pas trop rigueur aux vérificateurs! ;^) Même chose pour le texte de la p.8 du 2e tome. Samir s'y extase sur les merveilleuses aventures de Sinbad et liste ce que ce fameux marin de légendes a exploré: «Des navires, des caravanes, des portes et des marchés!» En soit, ça se dit... mais ne trouvez-vous pas que l'exploration de ports serait plus appropriée pour un marin, et que ce mot cadrerait plus avec le reste de la phrase?! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- la thématique du cirque. La vie de ces fabuleux saltimbanques m'a toujours fasciné! Tant de talent, tant de mystères... Je trouve que c'est un environnement très riche, qui intrigue tout en faisant appel à l'imaginaire. Curieusement, ces histoires-ci se déroulent autour du cirque, mais la thématique circassienne n'est pas particulièrement exploitée. Seul le caractère cosmopolite des origines de ses membres est mis de l'avant: les habiletés et talents de chacun restent très anecdotiques, souvent pour ajouter une touche d'humour.
- un dessin éminemment sympathique, d'une fraîcheur et d'une candeur très plaisante. Turconi, comme presque tous les bédéistes italiens qui font dans le jeunesse, a travaillé pour les studios Disney, mais il a su garder un style bien à lui, une certaine personnalité. Ses lignes sont d'une impressionnante souplesse, et ses couleurs, d'une finesse qui invite à la tendresse. Je vous souhaite de pouvoir admirer les p.24 et 25 du tome #2!
- la page de présentation de Violette et de ses proches. Un peu comme dans les albums d'Astérix, on a droit à une page où les principaux protagonistes nous sont présentés. Cette page est bien utile, au départ, pour comprendre les liens familiaux entre les différents personnages! Parmi ceux-ci, mon préféré demeure Sinbad, le drolatique gibbon de Samir, bien sûr! ;^)
- la reconstitution d'époque. C'est, à mon avis, le point le plus fort de la série! Je ne sais pas combien de temps madame Radice (qui est, potin potin, la conjointe du dessinateur Turconi! ;^) a passé à étudier le Paris et le New York de la fin du XIXe, mais je me suis amusé à vérifierune grande partie de ses références historiques, et toutes se sont avérées exactes: Gabriel Tapié de Céleyran était le véritable cousin de Toulouse-Lautrec et Jane Avril, sa muse; Charles Zidler dirigeait réellement le Moulin Rouge, et Jeannette Thurber a vraiment fondé le Conservatoire de musique de New York... Et je pourrais vous en lister une bonne dizaine d'autres! On voit que la scénariste a pris son travail au sérieux: elle a bien fait ses devoirs, bravo!
- l'audace d'aborder des thèmes qui pourraient sembler prêchi-prêcha. Parfois, on y fait l'éloge de la différence (avec la mixité des cultures, des langues, des genres et des groupes sociaux, et la subtile allégorie du Vilain petit canard, à la p.19 du tome #1), de la marginalité, de l'entraide, du voyage... D'autres fois, on nous conscientise sur l'important apport de la musique, de la poésie, de la littérature dans notre quotidien. Via le personnage de Papi Tenzin, le vieux sage, on y parle du sens de la vie, de l'importance de vivre le moment présent ou de celle d'avoir l'humilité d'attendre les surprises que la vie nous réserve et de bien les accueillir. Tous ces messages, qui pourraient faire cucul, m'ont réellement fait réfléchir, et bellement, à part ça! Il faut croire que j'ai été charmé, littéralement!:^0
- la richesse des paysages, tant urbains que naturels. En effet, M.Turconi a garni ses décors de tonnes d'éléments d'époque. C'est particulièrement flagrant dans les passages qui se déroulent sur la Butte Montmartre, à New York ou à Providence: on y retrouve toute une kyrielle d'affiches, de panneaux publicitaires, d'enseignes ou d'autres éléments visuels qui nous transportent directement dans les années 1890. Les bouquins qui traînent sont les hits de l'époque: le Portrait de Dorian Gray, Bel-Ami de Maupassant... Mais les paysages sauvages ne sont pas en reste! L'artiste a pris la peine d'y greffer de superbes spécimens animaliers: raton laveur, orignal, hibou, guépard des neiges...
- la richesse du vocabulaire employé. En partant, des mots comme ineptie ou circassien ne font pas partie du vocabulaire d'un enfant, surtout pas à 6 ou 7 ans!! ;^D Mais si je vous annonce qu'il y a un anatomopathologiste, dans le premier tome, seriez-vous tentés d'en apprendre plus sur le sujet? ;^)
- le supplément des 4 ou 5 dernières pages. Décidément, le style petit journal de scrapbooking est véritablement à la mode! Il y en a dans les Carnets de Cerise, dans les Enquêtes d'Enola Holmes (critiquées tout récemment)... et c'est le cas encore ici! Chaque album se termine donc par quelques pages sur lesquelles on retrouve croquis gribouillés, bouts de texte, timbres, feuilles, plumes, photographies et dessins, collés pêle-mêle et commentés par Violette. Ces pages nous permettent de clore en beauté en faisant un survol de certains des éléments-clés de l'histoire: c'est une sympathique façon de boucler la boucle!
- la charmante poésie qui transcende des textes et des images. Pour que je m'attarde à la poésie, moi le pragmatique qui a toujours détesté ça, c'est que cette série est véritablement étonnante... ou que je me fais vieux. Comme cette deuxième option est ridicule, c'est que c'est la première qui est valide!! ;^) C'est d'ailleurs la première fois, en 10 ans de Lucarne, que j'ai envie de noter des passages, juste pour leur beauté! En voici deux, tirés du tome #2. Vous constaterez qu'ils concernent tous deux la magnificence des saisons. Je vous rappelle que ce tome porte sur Dvorak et sa Symphonie fantastique, ode à la nature. Voici donc les passages en question: «L'automne qui étend ses doigts sur les arbres, le vent qui joue de la harpe dans les branches...» (p.9) ; «...les griffes de l'hiver ont dénudé les bois de leur manteau de feu et d'or...» (p.41) ; De plus, j'ai accroché à certaines citations de H. D. Thoreau, comme celui de la toute dernière case, toujours dans le tome #2: «Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n'est pas vain: c'est là qu'ils doivent être. À présent, donnez-leur des fondations.» C'est beau, non? ;^) Et il y en a plein d'autres, dans les trois tomes!
- l'émotion suscitée par le 3e tome. Non seulement il est intéressant pour l'esprit d'apprendre comment le cirque s'est peu à peu constitué, mais il est aussi touchant pour l'âme de constater combien ses membres sont soudés entre eux, pour le meilleur et pour le pire. Leur communauté, dans le sens de groupe mais aussi dans le sens de façon de vivre ensemble, fait chaud au cœur. Plusieurs passages m'ont ému aux larmes, tant celui de la naissance de Violette (quelle fierté dans le visage du père!) que celui du départ de l'un d'entre eux (but ultime de leur voyage au Tibet)... et de sa conclusion positive. Vraiment, un album coup de poing / coup de cœur! Je vous le recommande chaudement! ;^)
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