#01- COEUR D'ACIER
Scénariste(s) : Jean-François Bergeron dit DJIEF, MIKAËL
Dessinateur(s) : Jean-François Bergeron dit DJIEF
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : White Crows
Année : 2011 Nb. pages : 56
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : S.F.
Appréciation : 5.5 / 6
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Wow! Un sublime space opera «made in Québec»?!!
Écrit le mercredi 19 octobre 2011 par PG Luneau
Wow!!! Voici le premier mot qui me vient à l’esprit en refermant ce premier tome de la nouvelle série de chez Soleil : White Crows. Djief, notre Jean-François Bergeron national, qui s’est principalement fait connaître en dessinant Tokyo Ghost et le Crépuscule des dieux, pour Nicolas Jarry, chez Soleil, puis Saint-Germain, pour Gloris, chez Glénat, vient ici de lancer son premier vrai projet en solo (avec quand même l'oeil scrutateur de son ami Mikaël, pour le scénario). Et je le redis tout haut : Wow!!
Lors de ma récente rencontre avec lui, au ComicCon de Montréal, il me disait qu’il désirait, via cette série, rendre hommage aux films et aux séries de science-fiction qui ont marqué notre jeunesse : Star Wars, Star Trek, le Cinquième élément, Blade Runner… Eh bien ces inspirations se retrouvent à peu près toutes dans ce premier opus, avec en prime une originalité toute personnelle.
Ce qui frappe, de prime abord, en lisant ce grand album, c’est la sublime utilisation des formes et, surtout, des couleurs et des effets spéciaux de coloration! Djief a vraiment su tirer profit de la grande expérience qu’il a acquise en travaillant dans le domaine des jeux vidéo : ça transparaît principalement quand on regarde sa planète Primor et son «Secteur 4», qui sont d’un réalisme époustouflant!! Les bâtiments ont des lignes si harmonieuses qu’on rêverait presque d’y habiter! Et ce, malgré le fait que ce quartier soit plutôt miteux et malfamé! C’est dire le talent du gars!! Toutes ces superbes planches sont éclairées (le terme n’est pas trop fort!) par une luminosité presque surnaturelle, dans des palettes de couleurs flashantes (explosions et rayons de toutes sortes obligent!), toujours magnifiquement contrastantes! L’illustration de la couverture est, en ce sens, des plus éloquentes!!
Mais toute cette perfection visuelle dessert-elle un scénario à la hauteur?? Voyons de plus près ce que nous réserve celui-ci : le sergent Frank Willis (qui, étrangement, a exactement la même tronche que le Bruce du même nom… vedette principale du Cinquième élément!!) est paumé! Seul humain au sein de la police d’une planète-cité où notre race est assez mal perçue, cette tête brûlée n’a pu grimper les échelons de sa profession qu’à force de prises de risques inconsidérés… Heureusement qu’il a l’instinct!! C’est qu’il en faut, pour sortir de la fange, quand on est humain sur Primor, là où plusieurs établissements sont encore interdits à notre «sous-race»! Alors qu’une de ses enquêtes devient un peu trop délicate, car elle impliquerait quelques haut gradés de l’armée, notre sombre brute à la mâchoire carrée voit son appartement envahi par un fardeau totalement inattendu : sa fille de quinze ans, qu’il n’avait jamais vue mais dont il doit maintenant avoir la charge puisque sa mère vient de se faire tuer lors d’un raid contre la colonie où elles vivaient toutes les deux!! Le vieux garçon devra rapidement faire une place à sa belle adolescente et, surtout, apprendre son rôle de père sur le tas… Et ce ne sera pas une sinécure avec une candidate au caractère déjà si déterminé… qui garde un si lourd secret (que je ne vous révélerai pas, bien sûr!!)!
Bien sûr, la présence de la jeune adolescente fait beaucoup penser au Cinquième élément, alors que les premières représentations de Primor rappellent la Cité des Nuages de Star Wars… Avec des qualités graphiques et scénaristiques aussi raffinées, on ne peut pas ne pas faire le parallèle avec l’autre exceptionnelle série de S.F. de moment : Orbital. Mais si Orbital offre toujours des diptyques, monsieur Bergeron m’a promis que White Crows ne sera constitué que de récits complets. Wow!! Vivement le prochain!! (Pour les treize ans et plus)
Plus grandes forces de cette BD :
- les effets spéciaux avec la couleur. Tout au long de l’album, j’ai été subjugué par les belles couleurs franches : des bleu nuit d’une richesse inouïe, des turquoises envoûtants, des rouges et des jaune orangé chauds chauds chauds… La page couverture en est le parfait exemple. Les effets de transparence sont aussi magnifiques, comme chaque fois qu’un écran tactile luminescent apparaît, ou qu’un message de vidéophone 3-D se met en marche!
- ma dédicace, tout simplement magnifique. J’ai été béat d’admiration tout du long que Djief l’exécutait, devant moi, durant le ComicCon. Cet artiste a des doigts de fée! Elle est d’autant plus jolie qu’il l’a non seulement tracée avec un crayon terracotta, mais qu’il l’a ensuite ombragée fort habilement à l’aide de petites touches d’aquarelle de la même couleur. C’était magique!
- le fait d’utiliser le terme de commandantE, au féminin. On voit bien que Djief a été élevé au Québec, où l’Office de la Langue française est bien plus avant-gardiste en matière de féminisation des titres! Ce n’est pas en France, avec leurs «madame LE ministre» ou «l’auteur_ Bertha Machin-chose», qu’on aurait vu ça!!
- la richesse des décors et la superbe originalité des architectures. Encore wow! Observez bien la vignette du bas de la page 8. A-t-on jamais vu astroport aussi invitant, aussi finement exécuté? En fait, chaque vignette mérite d’être observée avec minutie.
- l’originalité et la grande variété des races extraterrestres qui se côtoient sur cette planète-ville qu’est Primor. Leurs formes, leurs couleurs et leurs textures sont très diversifiées, tout en restant dans un registre d’humanoïdes réalistes.
- l’ostracisme que vivent les humains de ce monde, en représailles à la destruction d’un éden local dont ils sont les responsables. Autant la mise à l’écart qu’ils subissent est une belle transposition de la ghettoïsation que les Juïfs ont vécue, quelques années avant la Deuxième Guerre mondiale, autant l’explication de Frank, à la page 10, est un frappant parallèle au cruel et douloureux constat planétaire post-onze septembre face aux politiques américaines : «On récolte ce que l’on sème!».
- le personnage de Vecteur, un véritable C3-P0 relooké! Tout aussi serviable, tout aussi protocolaire et tout aussi… robotisé (!) que son illustre confrère, il joue, lui aussi, le rôle de faire-valoir humoristique.
- la typographie de certains langages extraterrestres. J’ai bien aimé les phylactères illisibles des voyous de la page 25, où l’on ne parvient à lire que le «Ha! ha! ha!» final. C’est un détail, mais il est assez cocasse!
- le secret de Shelly, surprenant et vraiment bien amené. Il en va de même pour le punch final, concernant Frank, à la page 43. Ils sont tous les deux finement révélés et mettent joliment la table pour la suite.
- la construction scénaristique de ce premier tome. C’est avec brio que Djief a réussi à mener deux intrigues en parallèle (l’enquête de Willis et la fugue de sa fille), en plus de bien présenter ce qu’un premier tome se doit de présenter, soit un nouvel univers et les principaux personnages. Et le pire (ou plutôt le mieux!!), c’est qu’il a su éviter le piège de rabouter les deux intrigues en une seule finale : j’ai eu très peur que la jeune fille ne se retrouve dans le même vaisseau que celui vers lequel l’enquête pointait!! Ça aurait été un hasard trop bien «arrangé avec le gars des vues», et j’apprécie énormément que l’auteur ait évité cet écueil sur lequel d’autres se seraient jeté avec enthousiasme! Je ne connais pas la part exacte du coaching de Mikaël, mais il a fait, incontestablement, un bon boulot puisque le résultat est impeccable!
- le dossier final : huit planches explicatives, superbement illustrées. On en apprend plus sur la planète-cité, ses quartiers, les organismes qui y pullulent et les personnages principaux. Djief nous y montre, parallèlement, certains croquis préliminaires, ce qui nous permet de voir l’évolution graphique de chaque personnage! Comme le document s’intitule «Dossier du tome 1», peut-on espérer qu’il y en aura d’autres dans les prochains albums??
- l’illustration pleine page de la planche finale, qui fait un clin d’œil à la promesse que Frank fait à sa fille, à la page 24. Sympathique.
Ce qui m’a le plus agacé :
- le nom de la série. Jusqu’à maintenant, on n’a aucune espèce d’idée de ce à quoi fait référence l’appellation White Crows… À moins que je ne sois passé à côté de quelque chose?? Je présume que la raison de ce choix nous viendra dans un prochain album!?
- une maladresse dans le dialogue. À la page 22, j’ai un peu de difficulté à concevoir qu’une ado de quinze ans, même très délurée et articulée, puisse parler de la «complaisante solitude» de son père en ces termes, qui font beaucoup trop littéraires et ne cadreraient d’ailleurs même pas dans la bouche d’un intellectuel universitaire de trente ans!!
- certains passages moins fluides lors du combat final, aux pages 39 à 41. L’enchaînement des vignettes ou le choix de l’angle sous lequel elles nous sont présentées ne favorisent pas une parfaite compréhension de ce qui se passe. Les explosions, notamment, surviennent sans qu’on comprenne clairement qui (ou ce qui) en est la cause.
- la petitesse de la typographie, sur la quatrième de couverture et dans le dossier. Si la police de caractères choisie est intéressante et fait très futuriste, elle aurait gagné à être de quelques points supérieurs, question que je n’aie pas à sortir ma loupe pour parvenir à la lire!!
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