#01- YVES, LE ROI DE LA CRUISE
Scénariste(s) : Alexandre SIMARD
Dessinateur(s) : Luc BOSSÉ
Éditions : Pow Pow
Collection : X
Série : Yves, le roi de la cruise
Année : 2010 Nb. pages : 158
Style(s) narratif(s) : Roman graphique
Genre(s) : Quotidien, Humour tendre
Appréciation : 4.5 / 6
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«Ah, fuck... : yé cool!!»
Écrit le lundi 05 septembre 2011 par PG Luneau
La toute nouvelle maison d’éditions québécoise Pow Pow a beaucoup fait parler d’elle grâce aux nombreux prix que Zviane a remportés récemment avec son Apnée, publié chez eux. Mais ces éloges, sans doute mérités (je n’ai pas encore lu cet album), n’ont pas été sans faire de l’ombre à un autre titre de chez Pow Pow, et j’ai nommé l’amusant Yves, le roi de la cruise! Sagement illustrée par Luc Bossé (l’éditeur-fondateur de la boîte), sur un texte d’Alexandre Simard, cette œuvre est pourtant des plus sympathiques!
Qui n’a pas déjà hésité, assis devant le téléphone, avant de composer pour la première fois le numéro d’une personne avec qui il commence à avoir des atomes crochus, avec qui l’amitié qui se développe commence à devenir «particulière»… et tend à devenir plus intime?? Qui n’a pas connu ces papillons qui voltigent dans notre bas ventre, cette crainte paralysante de ne plus savoir quoi dire et de figer? Cette peur d’avoir l’air d’un parfait idiot, ce qui risquerait d’anéantir tous les beaux rêves qu’on commençait déjà à envisager?!?
Si, comme moi, vous avez déjà connu ces malaises (qui, à mon avis, sont assez universels!), j’ai l’impression que vous serez pris, vous aussi, d’une sympathie naturelle pour ce pauvre Yves, un bougre gentil tout plein, mais qui a plutôt le chic pour rater ses «accostages»! Contrairement à Michel, le Don Juan de service dans les bras de qui tombent toutes les filles, Yves est d’un abord timide et fade, et ne sait jamais comment surmonter les longs moments de silence «malaisants» qui ne ratent jamais de s’immiscer dans ses conversations avec les filles, qu’elles l’intéressent ou non! D’ailleurs, elles l’intéressent pas mal toutes!! Est-ce parce que le pauvre est tellement en manque? Chose certaine, à chaque fois qu’il croisera une représentante de la gent féminine, il sera confronté à une dure constatation, qu’il exprimera en lançant (dans un français un peu douteux, convenons-en) ce qui deviendra presque son patois désabusé : «Ah fuck : Est cute!!»
Parlant de français, précisons qu’Yves, le roi de la cruise se tient dans la lignée de «l’oralité québécoise», avec toute la paresse langagière et l’amour pour l’anglais qu’on peut reconnaître à celle-ci!! Moi qui croyais viscéralement que la qualité de notre langue s’améliorait de manière générale, je me dois de constater que cet album me ramène durement les pieds sur terre!! Va pour l’escamotage de mots (ex. : «Est cute!», au lieu d’ «Elle est cute!»)… Ce choix syntaxique se rapproche vraiment plus de ce qu’on entend à l’oral, et c’est une décision compréhensible. C’est très assumé et ça donne de la crédibilité au dialogue. Pour ce qui est des sacres et des anglicismes, j’avoue avoir été un peu déboulonné : non seulement il y en a beaucoup, mais j’ai en plus eu l’impression d’être devenu un vieux croûton complètement dépassé (pour ne pas dire out! ;-) tellement les expressions servies ici ne me disent absolument rien!! J’ai l’impression que le monde des bars est très très très loin derrière moi, et que le fait d’être «plus closer de la chick artsy fartsy sur le dance floor», ce n’est plus de mon époque!! Moi, c’est sur une piste de danse que je me trémoussais (assez bien, d’ailleurs!!), pas sur un dance floor!! Quel coup de vieux, mes amis!
Pour ce qui est du traitement graphique, monsieur Bossé y va d’un trait tout ce qu’il y a de plus simple, pour ne pas dire simpliste! Tout y est totalement épuré, la ligne pourrait difficilement y être plus claire!! De plus, il utilise souvent le gaufrier classique, de six ou neuf cases (parfois avec de beaux agencements en damier, comme aux pages 18 et 19), et excelle dans l’exploitation de «la case identique répétée», question de mettre les innombrables malaises du beau Yves bien en évidence! L’utilisation presque exclusive de plans rapprochés, qui coupent tous les personnages à la taille, finit par rendre cet album tout aussi «simple et ordinaire» que son personnage principal… ce qui ne veut pas dire inintéressant, au contraire! C’est simplement que le lien entre la thématique abordée et la forme visuelle choisie est judicieusement adéquate!
Donc, si vous voulez connaître les techniques de cruise (ou de drague, pour nos amis européens) à éviter, si vous voulez constater à quel point on peut rencontrer des «candidates potentielles» à peu près à tous les coins de rues (c’est d’ailleurs un des grands malheurs d’Yves : elles semblent toutes mignonnes et disponibles!!) ou si vous voulez simplement tomber sous le charme benoit du candide Yves, des dessins de Luc et de l’humour tendre d’Alexandre (et vous dire, comme moi : «Ah, fuck… : y sont cools!»), lisez Yves, le roi de la cruise!
Pour les cruiseurs de seize ans ou plus!!
Plus grandes forces de cette BD :
- la simplicité de la couverture. Toute en carton kraft, presque banale, elle cadre bien avec le personnage, roi des banals (Mais, pour avoir vu les trois seuls albums édités jusqu’à maintenant par Pow Pow, je crois qu’ils ont l’intension de faire de ces couvertures en simple carton beige leur marque de commerce)! De plus, j’ai pris bien du plaisir à tenter de retrouver les personnages du livre, tous illustrés de chaque côté du héros (ou plutôt du anti-héros!!).
- le caractère très montréalais du récit. Indéniablement, les références culturelles et spatiales sont typiques du Québec et de sa métropole : le Latulipe et ses soirées dansantes, les chansons de Jean Leloup… On magazine chez Simons et on achète ses billets chez Admission… C’est chez-nous, quoi!
- un graphisme vraiment très simple, mais éminemment sympathique. Bossé aime utiliser la répétition de la même case, immobile, comme figée, pour bien mettre en scène les moments de malaise, fréquents dans le quotidien du pauvre Yves!! De plus, j’ai été très étonné de la très grande variété de physionomies des personnages. Le dessin de la couverture, qui se continue sur le quatrième et les rabats, nous le prouve bien : ce n’est pas parce que les physionomies sont simplistes qu’elles doivent manquer de diversité!
- la personnalité toute candide et simple du personnage central, tellement humain avec sa nervosité naturelle, sa maladresse et sa malchance! Les auteurs en ont fait un beau portrait réaliste, mais jamais pathétique… alors qu’ils auraient pu sombrer dans la caricature ou la parodie, comme c’est le cas pour Victor Lalouz!
- les «extras». Deux pages amusantes complètent le bouquin : une avec la liste de la «musicographie» de tous les extraits de chansons qui figurent dans l’album. Puis une autre qui nous montre un genre de casting, c'est-à-dire une série de portraits de gens (que je soupçonne être des amis réels des auteurs!) qui «figurent» dans les arrière-plans, tout au long de l’album. Encore ici, un jeu de cherche-et-trouve peut venir compléter notre lecture! ;-)
- les biographies des auteurs, sur le rabat du quatrième de couverture. Qu’est-ce qu’elles sont amusantes à lire! Bourrées d’humour, elles nous mettent immédiatement dans le ton du récit, qui se veut tout léger, lui aussi!
- l’ex-libris que j’ai eu la chance de me procurer chez Planète BD! Il est très original, car il sert d’ex-libris autant pour Yves, le roi de la cruise que pour Apnée, de Zviane!! En effet, Pow Pow a fait faire une seule illustration : la moitié du haut représente le buste d’Yves, avec son sourire un peu idiot, alors que celle du bas, tête-bêche, représente l’héroïne de Zviane, tout à fait à la manière d’une figure de carte à jouer! Très original!
Ce qui m’a le plus agacé :
- le caractère exagérément anglicisé des expressions utilisées. C’est peut-être que je me fais vieux (ou vieux jeu!), mais je n’ai jamais entendu personne parler d’un dance floor pour parler d’une piste de danse, ni aucun francophone appeler des cache-oreilles des earmuffs! Et si j’ai déjà entendu quelques fois le mot chick, l’expression artsy fartsy m’était totalement inconnue. Je remercie d’ailleurs Google pour sa précieuse aide dans mon apprentissage de «ma» (?!?) langue!!
- l’absence de décors, qui entraîne une certaine fadeur qui peut lasser, sur plus de 150 pages… D’ailleurs, je ne comprends pas trop la raison d’être du gros décor (avec perspective, en plus!) qui nous arrive, paf!, en pleine page 88!! Ce changement de style n’a aucune raison d’être, tout comme les quelques vignettes ultra réalistes qui se pointent sans qu’on s’y attende, à trois ou quatre reprises dans tout l’album (la devanture de deux ou trois bars ou restos, la pharmacie, le match de hockey à la télé…). Ça donne l’impression que monsieur Bossé a simplement voulu parsemer quelques cases au style carrément dépareillé, sans trop de raison, de manière à nous montrer qu’il était capable de faire autre chose que du simple minimaliste! Je suis bien heureux de le constater… mais je trouve que ces dichotomies dénaturent un peu l’œuvre!
- quelques petites longueurs, Certains passages auraient gagné à être plus resserrés, comme les douze planches au petit resto (les pages 106-107 et 108 auraient pu être coupées ou condensées en une seule) ou la page 79, qui étire l’épisode à l’épicerie.
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