Capsule-Pif #020- l'Aventurier avec un grand A... Mais que faisait-il là?!
Écrit le dimanche 06 août 2017 par PG Luneau
Corto Maltese
Corto Maltese est apparu en tout premier lieu en 1967, en tant que personnage secondaire dans la première grande saga (163 p.!!) d'Hugo Pratt : la Ballade de la mer Salée, parue en feuilleton dans un petit magazine de BD italien au tirage assez modeste, Sgt Kirk. Cette saga raconte principalement les aventures de deux jeunes ados, Pandora et Caïn, qui, suite à un naufrage, sont confrontés à la dure réalité du monde des adultes. Pris en otages, ils finissent par croiser des tonnes de personnages à la personnalité complexe : l'immoral Raspoutine, un Maori nommé Tarao, un mystérieux moine à l'identité secrète (appelé tout simplement le Moine!?)... et un marin flegmatique et anarchiste, grand aventurier devant l'éternel : Corto Maltese!
Si cette saga est remarquée des critiques et des connaisseurs, elle laisse un peu le grand public indifférent et le magazine Sgt Kirk cesse sa parution au bout de deux ans, en 1969... Étonnante année où Pratt reçoit à la fois le prix de la meilleure BD (lors du 5e Salon international de la BD de Lucca)... et son congédiement forcé!!
C'est là que les gens de chez Vaillant sauteront sur l'occasion et demanderont à Pratt de travailler pour eux, dans Pif! Ils seront les seuls à oser lui faire une offre, offre que Pratt acceptera d'emblée, quittant même l'Italie pour s'installer à Paris! Ce faisant, il passe d'un magazine qui ne tirait qu'à 3000 copies à un autre qui en faisait 400 000 par semaine!!
Pratt choisit donc de reprendre le laconique corsaire des temps modernes qu'il avait créé pour sa Ballade... et d'en faire le personnage central de sa nouvelle production. Il lui fait vivre toute une série de récits de 20 pages, ce qui lui permet d'étoffer peu à peu le personnage et son entourage hétéroclite!
Car homme du monde il est, ce Corto, dans le sens littéral du terme!! Issu de l'union d'un marin et d'une gitane, à Malte, il est devenu un anticolonialiste sans patrie ni frontière, n'ayant aucune attache mais connaissant des gens (alliés comme ennemis!) dans tous les coins du globe, du Sahara à la brousse éthiopienne en passant par Stonehenge, Venise ou la jungle amazonienne!...
Il se retrouve toujours dans des situations difficiles, parfois à cause de son grand esprit chevaleresque, mais souvent aussi en devenant l'instrument de forces plus grandes que lui qui l'utilisent sous de faux prétextes... En effet, la ligne entre ses alliés et ses ennemis est souvent très mince! Nombre de ceux qui lui viennent en aide dans un épisode lui causent problème quelques épisodes plus tard... et vice-versa!?! C'est le cas de l'intrigante Bouche-dorée, cette prêtresse vaudou qui aurait plus de 200 ans, ou du machiavélique Raspoutine, ennemi viscéral de longue date... qui veut pourtant s'allier plus d'une fois avec lui, afin de bénéficier des talents du valeureux marin!?
C'est ainsi qu'on retrouve Corto, souvent accompagné de son ami, l'éminent professeur Jeremiah Steiner, en train de chercher l'El Dorado ou la mythique cité perdue de Mu, de supporter les militants radicaux de l'I.R.A., de descendre des avions de chasse allemands ou de débusquer des espions et des contre-espions de toutes sortes,en Amérique latine...
Malgré de très bons épisodes (dans les Pif #58, 89 et 124, par exemple), plusieurs sont bigrement plus complexes ou politisés que ce à quoi les autres séries de Pif nous ont habitués, et certaines quêtes tardent tant à progresser qu'on a l'impression qu'elles ont été mises de côté (comme la toute première, celle du jeune Tristan qui est à la recherche de Mu!?). D'autres épisodes jonglent avec l'ésotérique ou l'onirisme (le #117, où un soldat délire pendant 20 planches, ou le #161, qui se veut une allégorie du Songe d'une nuit d'été, de Shakespeare!), ce qui était tout à fait déstabilisant pour les jeunes lecteurs d'alors... dont je faisais partie!! C'est à croire que Pratt en fumait parfois du très bon!! ;^)
Bref, Corto Maltese, œuvre déroutante et très avant-gardiste, la plus aboutie d'Hugo Pratt, est devenu une série-culte, mythique. Elle a su, au fil du temps, acquérir la reconnaissance internationale des critiques et du grand public... mais d'un public adulte!! La présence de cette série dans Pif demeure à mon sens une incohérence totale! Une BD aux ambiances si denses et dérangeantes ne cadrait pas avec le reste du magazine, où les séries réalistes misaient plus sur l'action que sur l'atmosphère. Pour ma part, j'ai toujours, même adulte, fui cette série à cause de la mauvaise impression que ces images sombres et austères m'avaient laissée, enfant!! C'est tout dire!
Titre : Corto Maltese
Auteur : Hugo Pratt
Descriptif : Corto Maltese est un aventurier solitaire qui se retrouve régulièrement mêlé aux grands événements qui ont marqué le début du XXe siècle, notamment les deux grandes Guerres mondiales... Il croisera et recroisera la route de plusieurs personnalités marquantes de cette période : Raspoutine, le Baron rouge, Jack London... mais aussi d'autres personnages plus mystérieux (archéologues et antiquaires, sorcières vaudous, espionnes de toutes allégeances...) avec qui il expérimentera l'amitié, l'héroïsme, la traîtrise, l'amour...
Dessin : Réaliste mais très jeté, d'un graphisme expressionniste, jouant sur le contraste entre les masses de noir et de blanc. Très surprenant pour l'époque... beaucoup trop avant-gardiste et, surtout, pas adapté pour la jeune clientèle du journal! Toujours en N/B.
Genre : Aventure touffue et parfois alambiquée, incluant des excursions dans la jungle ou le désert, et des chasses à l'homme pour déjouer les Allemands (Guerres mondiales obligent!). Parfois, le tout est teinté d'onirisme, de mysticisme ou de symbolisme... Très déroutant pour un jeune de 8 ou 9 ans!
# d'apparitions : 21 récits d'une 20aine de pages.
Époque des apparitions : Dans Pif, d'avril 1970 (#58) à avril 73 (#217), plus un petit passage dans le Pif anniversaire #500.
Des albums? : Tous les courts récits parus dans Pif ont été regroupés en 4 albums : #1- Sous le signe du Capricorne (ép. 1 à 6), #2- Corto toujours un peu plus loin (ép. 7 à 11), #3- les Celtiques (ép. 12 à 17) et #4- les Éthiopiques (ép. 18 à 21)... mais une dizaine d'autres albums ont vu le jour depuis, dont les deux derniers, écrits par Juan Diaz Canales et dessinés par Ruben Pellejero, qui ont repris la série!
Note personnelle : Scénario : 3/5 Dessin : 1/5 Total : 4/10
Importance relative de parution : 441
En couverture? : Jamais
Clins d'œil et trucs divers :
*Le jeune lectorat de Pif n'a pas été tendre, vis-à-vis Corto : le courrier n'était pas très positif! C'était plus les adultes (et certains ados) qui y percevaient le génie de l'auteur! Mais la direction a persisté, espérant ainsi faire découvrir de nouvelles formes graphiques à ses lecteurs... De fait, malgré tout, Pif reçoit, en 1970, le prix Yellow Kids, récompensant le meilleur magazine BD-jeunesse du monde, et Pratt reçoit, en 1971, le premier prix Phénix, pour la meilleure BD d'aventure!!... Mais, le service comptable de la maison d'éditions n'ayant rien à cirer de tous ces prix s'ils ne se traduisent pas en espèces sonnantes et trébuchantes, il a fait pression et a eu gain de cause : Corto Maltese perd sa place dans Pif dès 1973!
*Visuellement, les combats n'étaient pas très bien réussis : les personnages semblaient alors figés, comme des pantins. Expressionnisme, quand tu nous tiens! ;^)
*De même, les phylactères minimalistes (leur contour se limitait à leur seule ligne inférieure, avec l'appendice) se trouvaient souvent si près les uns des autres que la lecture des textes en devenait hasardeuse!
*Dans le 6e épisode, À cause d'une mouette (in Pif #089), on assiste à un délire de Corto dans lequel on aperçoit tous les principaux personnages de la Ballade de la mer salée... saga dont les lecteurs de Pif n'ont jamais entendu parler!! :^S
*Dans son surprenant épisode le Songe d'un matin d'hiver, inspiré de Shakespeare, Pratt a accepté de baser l'intrigue sur un sous-marin... à la demande de la rédaction de Pif, car l'épisode allait se retrouver dans le Pif #161, ayant le célèbre sous-marin à levure comme gadget!! ;^)
*Les aventures de Corto se sont par la suite poursuivies dans divers magazines : Linus, (À suivre), le Matin de Paris, puis dans diverses publications des éditions Casterman... et même dans le magazine Tintin!
*Il y a eu, en Italie, un mensuel de BD d'auteurs, très léché, au nom de Corto (de 83 à 93). Puis, Casterman a aussi lancé le pendant français éponyme, bimensuel, tout aussi raffiné (c'est là que furent popularisés les Carnets d'Orient, de Fernandez)... mais il ne dura que 22 numéros, de 1985 à 88.
* Depuis, plusieurs auteurs se sont penchés tant sur l'œuvre que sur l'auteur, et un bon nombre d'essais sur eux ont été publiés.
*Même dans sa vie de tous les jours, Hugo Pratt parlait toujours de ses nouveaux personnages comme s'ils étaient réels, expliquant qu'ils les avaient rencontrés à tel ou tel moment de sa vie (qui fut, à l'image de celle de son héros, très aventureuse!)!
* Hugo Pratt lui-même a adapté deux des albums de Corto en romans, édités chez Denoël : Corto Maltese, en 1996 (qui reprend la Ballade de la mer salée), et la Cour des mystères, en 1997 (qui reprend l'album Corto Maltese en Sibérie).
*En 1999, une série de dessins animés de 22 épisodes destinés à la télé a été réalisée, ainsi qu'un long métrage d'animation : Corto Maltrese - la Cour secrète des arcanes.
*De même, un jeu vidéo, une pièce de théâtre et une statue de bronze ont été créés autour de notre héros!!
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