#09- SEPT PERSONNAGES
Scénariste(s) : Fred DUVAL
Dessinateur(s) : Florent CALVEZ
Éditions : Delcourt
Collection : 7
Série : 7
Année : 2011 Nb. pages : 57
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Aventure de pirates / de cape et d'épée, Historique ésotérique, Hommage
Appréciation : 5.5 / 6
|
Après le Code Da Vinci, voici le Code Molière!!?
Écrit le samedi 19 octobre 2013 par PG Luneau
Le rideau descend sur les 57 pages de cette ingénieuse histoire, et je ne peux me retenir de dire : Chapeaux bas, messieurs Duval et Calvez! Quel délice que cette fantaisie moliéresque!!
Je vous ai déjà parlé, à quelques reprises, de la collection 7, dirigée par David Chauvel. Elle consiste à regrouper 7 dessinateurs et 7 scénaristes, à les apparier et à leur demander un one shot mettant en vedette 7 personnages principaux! C’est tout simple! Comme la première mouture (composée de 7 psychopathes, 7 voleurs, 7 pirates, 7 missionnaires, 7 guerrières, 7 yakuzas et 7 prisonniers) a bien fonctionné, voilà qu’une «saison 2» est venue la rejoindre! Ce 7 personnages en constitue le second opus. Et si certains titres sont un peu moins réussis que d’autres, sachez que celui-ci est parmi les meilleurs qu’il m’eut été donné de lire!!
Commençons par préciser que Fred Duval, le scénariste, a déjà adapté le Tartuffe de Molière en BD … Est-ce à dire qu’il en a développé un intérêt particulier pour cet illustre dramaturge?? Une connaissance plus pointue de sa vie et de son époque?? Ou peut-être possédait-il déjà ces atouts avant même de s’attaquer à sa première adaptation?? Une chose est sûre, toutefois, c’est que cet homme (reconnu aussi pour son travail sur des séries comme Carmen Mc Callum, Travis ou Hauteville House) maîtrise à la perfection l’esprit, la langue, l’œuvre et la personnalité du grand auteur du XVIIe siècle! Que d’érudition!!? Que d’ingéniosité dans l’élaboration du scénario!! Il aurait été facile de se casser les dents sur les petits détails, de s’emberlificoter à force d’entourloupes… ou de finir par tourner les coins ronds… Mais ici, non : rien ne cloche! Tout est savamment orchestré, chaque élément est mis en place de manière à ce que les engrenages du récit s’emboîte à la perfection et que tout baigne dans l’huile! C’est vraiment impressionnant, surtout pour un tel récit historique, largement saupoudré de fantastique!
Dès le début du récit, on assiste aux funérailles de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière… de nuit, sous une implacable et tenace averse! Nous sommes le 21 février 1673. Mais quelques mystérieux personnages assistent à cette cérémonie informelle, en retrait, d’un coin du cimetière ; il s’agit d’Agnès (et de son petit chat, qui n’est pas mort, finalement!! ;^), de Scapin, d’Argan et d’Alceste, tous personnages bien connus des classiques du grand homme! Ils se retrouvent tous, dès le lendemain, chez l’avare Harpagon pour y prendre d’importantes dispositions : contrairement à ce qu’il y paraît (et à la version que l’Histoire a préféré en garder!), Molière ne serait pas mort des causes d’une rechute de sa tuberculose, mais bien… d’un empoisonnement!!? Mais comme il se savait menacé, ce célèbre protégé de Louis XIV avait prévu le coup!! C’est pourquoi il avait rencontré, quelque temps avant sa mort, chacun des personnages ci-haut mentionnés pour leur laisser, à chacun, une information contribuant à un puzzle complexe mais passionnant, digne de la fameuse série de romans de Dan Brown!!
Ainsi, si l’un connaissait la liste des membres à contacter; un autre savait la nature du secret de l’artiste, un autre, sa cachette et un quatrième le nom de la personne à qui il leur faudrait délivrer ledit secret… Dans le cas d’Agnès, Molière est allé jusqu’à lui demander de se documenter en sciences occultes afin de pouvoir faire revenir d’entre les morts un 6e personnage – Dom Juan, en personne!! – lui-même possesseur du nom du 7e larron du groupe!!?
Ce jeu de pistes des plus intrigants est bien sûr rendu plus trépidant encore par la présence d’ennemis en noir qui semblent bien déterminés à éliminer tous ces personnages un peu trop curieux. Et si c’était toute l’œuvre du dramaturge qui était en danger?? Et quel peut donc être ce mystérieux secret que Molière avait percé et qu’il s’apprêtait à faire éclater au grand jour dans sa prochaine pièce???
Je vous le dis, si vous êtes amateurs de l’œuvre du grand Poquelin, comme moi, vous allez vous délecter!! Par contre, les lecteurs qui ne se seraient jamais intéressés aux comédies classiques, qui n’auraient jamais vu ou lu de ces pièces, ceux-là se retrouveront devant un thriller historico-fantastique de qualité… Ils ne s’amuseront pas des tonnes de clins d’œil et d’allusions brillamment intégrés à l’ensemble… mais ça ne devrait pas les empêcher d’aimer ça pour autant! Bref, tous y trouveront leurs comptes! ;^)
Avant de conclure, juste un mot sur l’aspect graphique. Calvez y a fait un travail honnête. Son trait, des plus classiques, nous offre des architectures magnifiques, des intérieurs très intéressants et des vues d’ensemble aux perspectives d’une précision chirurgicale! Toutefois, comme c’est le cas chez plusieurs dessinateurs plus techniques, les poses de ses personnages font un peu figées, et ses gros plans manquent parfois de naturel. On ne peut pas toujours tout avoir, quoi! C’est d’ailleurs ce seul bémol graphique qui me retient de donner la note parfaite à cet emballant récit.
Mystère, intrigues, ennemis inconnus, combats à l’épée, puzzles d’une belle complexité, clins d’œil culturels, reconstitution d’époque… tous les ingrédients étaient réunis pour me faire passer du bon temps!... Si vos intérêts rejoignent minimalement les miens, je prends pour acquis que vous apprécierez aussi! Bonne découverte, donc, et que l’esprit de Molière éclaire votre lecture!
Plus grandes forces de cette BD :
- l’idée de base! Je ne veux pas répéter ici à quel point je trouve ingénieuse, fine, raffinée et cohérente la trame imaginée par monsieur Duval (trop tard, je viens de le répéter!! ;^), mais je n’en pense pas moins! J’ai toujours trouvé amusante l’idée de voir des personnages fictifs prendre vie et discuter avec leur créateur, ou jaser de lui dans son dos! C’est prendre au pied de la lettre la croyance qu’une œuvre «survit» à son auteur! Quand ces personnages-ci, tous des archétypes de notre culture occidentale, se mettent à enquêter sur le décès de leur auteur, et qu’on tente de les éliminer pour faire disparaître toutes traces du génie, ça devient carrément jouissif! J’adore!
- les décors, l’architecture et tous les éléments techniques (véhicules, accessoires, machineries, etc.). C’est véritablement là la grande force de Florent Calvez. La finesse et la précision de son trait somme toute très réaliste nous donnent l’impression de nous retrouver devant des devis d’experts ou des photogravures d’époque. C’est vraiment très réussi!!
- le contexte historique. Malgré certaines fantaisies scénaristiques, Duval et Calvez nous plongent dans une époque fascinante, et nous la rendent d’autant plus cohérente qu’ils s’amusent à y intégrer toute une série d’anecdotes historiques et de détails techniques! Je ne sais pas si tout est parfaitement véridique, historiquement parlant (la machine à calculer de Leibniz, la pompe à eau du pont Notre-Dame, les premières dégustations de cacao, les déboires de la Compagnie du Saint-Sacrement…)… mais, si tel n’est pas le cas, les deux auteurs ont réussi à en donner l’illusion! Ils sont même parvenus à me donner le goût d’aller parfaire mes connaissances et de me documenter sur certains de ces sujets! N’est-ce pas là, ma foi, une belle preuve de la qualité de la reconstitution??! ;^)
- plusieurs jeux de mots et clins d’œil. J’ai particulièrement apprécié, à la p.8, quand on nous parle du médecin qui «malgré lui» est dépêché au chevet de Molière! Aussi facile qu’elle puisse être, celle-là, encore fallait-il savoir la glisser subrepticement et à bon escient!! Il me semble en avoir croisé quelques-unes, mais j’ai certainement dû passer à côté d’une tonne d’autres, faute de mieux connaître tout le répertoire moliéresque! J’ai aussi aimé la vision toute boshienne de l’enfer, qu’on nous dresse, à la p.12!
- le lexique de la dernière page. Il replace chacun des sept héros dans son contexte personnel, et nous permet d’avoir une petite idée des sept grandes pièces classiques dont ils sont issus : le Misanthrope, l’École des femmes, le Malade imaginaire, Dom Juan, l’Avare, les Fourberies de Scapin et le Tartuffe. Mon seul regret, c’est de n’avoir découvert cet aide-mémoire qu’à la toute fin de ma lecture! La dite page aurait pu être placée en début d’album, ou une note aurait pu nous être inscrite, dans les premières pages, pour nous indiquer son existence (et son emplacement!)! ;^)
Ce qui m’a le plus agacé :
- l’attitude un peu figées des postures et des mimiques des personnages. Mais comme j’en ai parlé plus haut, je n’étirerai pas la sauce ici! ;^)
|