CRISE D'IDENTITÉ
Scénariste(s) : Brad MELTZER, Geoff JOHNS, Gerry CONWAY
Dessinateur(s) : Rags MORALES, Dave GIBBONS, Dick DILLIN
Éditions : DC Comics / Urban Comics
Collection : DC Classiques
Série : Justice league
Année : 2004 Nb. pages : 344
Style(s) narratif(s) : Récits complets (Comics)
Genre(s) : Superhéros / Justicier masqué, Drame familial
Appréciation : 5 / 6
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Dure, dure, la vie de superhéros!!
Écrit le mardi 15 juillet 2014 par PG Luneau
Incluant aussi, en annexe, le récit Mascarade, de Gerry Conway et Dick Dillin (1974, 49 p., 2 / 6).
Eh oui!! Après une année à me familiariser avec les superhéros de DC, grâce, notamment, à l’acquisition de deux superbes jeux d’échecs aux pièces à l’effigie de ces spécialistes du spendex et de leurs super-ennemis (pièces qui venaient avec l’historique de chacun de ces héros, comme je vous le racontais dans une chronique antérieure), je me suis enfin décidé à plonger dans un récit se déroulant dans cet univers, et pas des moindres : leur fameuse Crise d’Identité!
Qu’est-ce que j’ai adoré mon expérience!! Comme je vous l’ai déjà expliqué (dans cette même chronique), ce que je préfère dans les histoires de superhéros, ce ne sont pas leurs combats hyperpuissants (généralement si improbables qu’ils me laissent de glace!), ce sont leurs combats intérieurs, et les chicanes de clocher que génèrent leur coexistence. Ici, j’ai été choyé : il y avait des deux en abondance!!
D’abord, un petit topo pour ceux qui ne connaîtraient rien de cet univers. La Ligue de Justice est une association de superhéros qui se regroupent lorsque la planète fait face à un danger si grand que même un être aux pouvoirs surhumains ne saurait en venir à bout tout seul. Certains des membres officiels de ce groupe sont ultraconnus, même des plus ignares d’entre vous (;^). C’est le cas de Superman, de Batman ou de Wonder Woman. D’autres le sont un peu moins, comme Aquaman, Green Lantern, Green Arrow ou Flash… et certains sont tout à fait inconnus du commun des mortels (j’en suis la preuve vivante : je n’en avais jamais entendu parler avant de faire l’acquisition de mes jeux d’échecs et de lire leur bio!!)! Je pense notamment à Atom, Zatanna, Black Canary, Hawkman ou Extensibleman (à ne pas confondre avec Richard Reed, le monsieur Fantastic des 4 Fantastiques, qui a les mêmes pouvoirs… mais qui fait partie de l’écurie Marvel!)…
Dans Crise d’identité, un mystérieux supervilain a réussi, on ne sait trop comment, à déjouer tous les systèmes de protection mis en place autour de la maison d’Extensibleman… et l’épouse de ce dernier, la douce et aucunement superhéroïque Sue Dearbon Dibny, meurt atrocement, avant que son corps ne se fasse calciner! Toute la communauté de porteurs de collants est en émoi!! Qui peut bien être cet horrible tortionnaire? Après les obsèques, alors que tous partent en quête des suspects potentiels, une micro-équipe s’attarde pour faire un examen de conscience… Elle en vient à l’évidence : le coupable ne peut être que celui à qui ils ont, autrefois, fait subir un mauvais sort… et ce, à l’insu de Batman, Superman, Wonder Woman et Aquaman!!
Évidemment, l’événement sème la panique chez tous ces êtres, très humains derrière leur cape et leur lycra! Il leur fait réaliser que, malgré leurs costumes et leurs masques qui visent à protéger leur identité, leurs proches restent très vulnérables : quiconque voulant vraiment s’y mettre n’aurait pas trop de difficulté à les retracer! :^O
Mais, vous l’aurez compris, cette tragédie sera en plus le catalyseur de toute une remise en question pour la plupart de tous ces personnages, pas toujours aussi superhéroïques qu’ils le devraient!! C’est qu’elle est dure, la vie de ces humains au destin si particulier! Maintes fois éprouvés, toujours sur la défensive, avec la pression de sauver la planète et tous ses habitants, ils doivent être faits aussi fort moralement qu’ils le sont physiquement pour ne pas traverser la fine ligne qui sépare le légitime de l’immoral ou, pire, ne pas sombrer dans la folie.
Et si l’ennemi ne venait pas de l’extérieur, cette fois?!?
En fait, Crise d’identité soulève de superbes réflexions sur la loyauté et l’intégrité, et celles-ci mettront la cohésion de l’équipe à rude épreuve! On en apprendra des belles! L’auteur, Brad Meltzer, n’a pas eu peur de montrer une facette moins reluisante de ces héros. Pour notre plus grand bonheur!
Détail curieux : pour moi qui ai très peu lu de comics, si ce n’est Watchmen et Rising stars, je retrouve ici encore le même élément-pivot que dans ces deux excellents récits : celui d’une enquête visant à débusquer un décimeur de superhéros!?! Ça pourrait paraître redondant ou déjà-vu… mais puisque j’apprécie particulièrement ce style et que je n’en suis qu’à mon troisième, je n’en suis pas encore blasé!! ;^)
D’autant plus que, dans le cas qui nous préoccupe ici, l’aspect graphique est de toute beauté, tant pour ce qui est des dessins et des mises en page de Brad Morales que des couleurs d’Alex Sinclair et John Kalisz.
Si une immersion totale au sein de ce monde fascinant (et foisonnant !!) vous tente, et que vous êtes prêt à aller fouiller dans le Net à chaque page, pour en savoir plus sur un nouveau personnage aperçu ou mentionné, Crise d’identité est pour vous! Et si vous êtes un mordu de l’univers de DC… Eh ben??!! Qu’attendez-vous pour aller le (re-) lire?!?! ;^)
Dès 15 ans.
Plus grandes forces de cette BD :
- découvrir ces personnages, leurs interactions, leurs spécificités… C’est vraiment chouette de pouvoir mettre de la chair autour de connaissances plutôt théoriques! Les blagues à propos de la calvitie de Green Arrow, les anciens rapports amoureux entre Nightwing et Starfire, même les petits détails insignifiants comme la conversation téléphonique entre Sue et Alfred, le célèbre majordome du manoir Wayne, tout ça contribue à rendre ces personnages plus vivants, à étoffer leur univers, à nous les rendre plus réels. D’ailleurs, monsieur Meltzer l’explique bien mieux que moi au bas de la p.328 : «L’un de mes défis était de faire ressentir au lecteur que toutes ces histoires se déroulaient dans cet univers. Les héros se connaissent. Les vilains également. Ces aventures ne sont pas isolées, ce sont des légendes d’un monde fait d’interconnexions complexes. C’est pour cette raison qu’Ollie utilise les prénoms des autres héros. Ce détail fait partie de la grand tapisserie de la continuité.» Une continuité qui a merveilleusement bien fonctionnée pour moi… même si elle m’a imposé d’aller surfer sur Internet à de très nombreuses reprises pour en savoir un peu plus sur des héros mineurs comme Blue Bettle, le Maître des miroirs ou Hourman!! ;^)
- les couleurs, vraiment splendides. Vives et franches, elles sont d’autant plus mises de l’avant par le choix que les créateurs ont fait de nous présenter le tout sur des pages aux bordures d’un noir profond. Wow!
- la construction du récit, réalisée de manière très cinématographique. Les accroches de fin de chapitre, par exemple, sont tout simplement magnifiques, et nous obligent à tout de suite plonger dans le chapitre suivant!! Et que dire de la très grande variété de plans et de la perfection de leurs enchaînements : c’est vivant, inventif, original! J’adore! ;^)
- la splendide scène des funérailles!! D’abord, moi qui voulais en voir le plus possible, j’ai été servi : ils sont tous là, réunis à l’église en une gigantesque vignette qui fait une double page!! Les connus, mais aussi les moins connus… et même des tonnes d’inconnus, qu’il me tarde de rencontrer!! Et puis l’émotion!!! Déjà, des obsèques, ça se veut éprouvant. Ici, c’est le summum! Tous sont éplorés. La victime était un personnage très secondaire (pour ne pas dire tertiaire!!), mais elle était adorable, et appréciée de tous! C’est, de tout l’album, ma scène favorite!
- les thèmes abordés. La loyauté, la trahison, l’amitié, le mensonge… des thèmes universels, mais qui m’ont toujours particulièrement touchés. Ici, je suis servi à souhait. La disparition d’une des proches de tous ces superhéros entraîne à la fois un renforcement peu commun de la cohésion du groupe (que je trouve particulièrement émouvant), mais aussi une imprévisible vague de suspicion, riche en répercussions. Oui, vraiment, Brad Meltzer a merveilleusement bien réussi à mettre, au cœur de ce récit, des réflexions intelligentes et importantes (sur la peine de mort et le droit à la rédemption, par exemple), de celles qu’on devrait tous se poser…
- des moments-clés importants et déterminants pour cet univers. (Attention : SPOILERS) La mort de Firestorm, par exemple, m’a beaucoup surpris, ou celle du père de Tim Drake : parlez-moi d’un scénariste qui n’a pas peur de changer les choses!! ;^)
- le récit-bonus d’une cinquantaine de pages, Mascarade. La simple présence de cette petite aventure de la Ligue des Justiciers, datant de 1974, nous jette en pleine face tout le décalage qui nous sépare de cette époque, et nous permet de constater de l’évolution des comics de superhéros, tant sur le plan graphique (le style graphique, la coloration, la mise en page… et la mode, tant vestimentaire qu’au niveau des coiffures!! ;^) que scénaristique… Même la longueur de chacun des «chapitres/fascicules» a changé (une trentaine de pages maintenant vs 16 ou 17 à l’époque!?)!
- le personnage mi-homme, mi-robot de Red Tornado. C’est le seul élément du récit de 74 qui a trouvé grâce, à mes yeux!! ;^) Bien que son mode de déplacement soit bien ridiculement dessiné, je l’ai tout de même trouvé attendrissant, avec sa malchance et ses airs de Caliméro, déçu de toujours resté sur le banc, dans la station spatiale qui sert de Q.G. à la Ligue. ;^)
- les bonus. Merci à Urban Comics, d’ailleurs, pour la qualité de la présentation de leurs volumes! La traduction est de bonne qualité (si je fais abstraction de l’omniprésente brèle… qui revient à deux ou trois reprises et pour lequel même Larousse n’a pas pu me pister!!? Heureusement que le Web a pu me renseigner sur le sens de cette ridicule expression!) Mais pour en revenir aux bonus, j’ai bien aimé qu’on nous présente les commentaires des deux principaux créateurs (Meltzer et Morales) à propos des différents moments-clés de leur histoire. C’était très éclairant d’en apprendre un peu plus sur ce qui a motivé telle ou telle décision artistique. J’ai particulièrement apprécié quand le dessinateur nous fait la liste des comédiens ou des personnalités publiques dont il s’est inspirés pour dessiner chacun de ses personnages.
Ce qui m’a le plus agacé :
- des coquilles. Dans la préface, d’abord : «le portrait» qu’on répète deux fois, et la faute d’accord : «Dans les actes terribles de grand__ héros.». Puis dans les bonus finaux (p.330, les Vilains jouent à Risk : «Il a construit la vitrine murale dans Merlyn expose ses petites figurines.», puis p.331, où l’extrait attribué à la p.133, case #4, correspond en fait à la p.137, case #1).
- mes lacunes référentielles. Autant j’ai apprécié faire la connaissance de tous ces personnages, autant il me manquait une foule de référents, c’est indéniable… C’était inévitable, bien sûr, mais j’aurais aimé pouvoir savourer encore plus toutes ces petites subtilités à côté desquelles j’ai passées! Bien évidemment, il n’en tient qu’à moi à relire cette Crise d’identité, une fois que je serai plus familier à l’univers DC!! Mais n’empêche, il y a des fois où je me demande si je ne suis pas passé à côté de trucs essentiels?!… Par exemple, cette allusion, à la p.324, dans les bonus de la fin : le dessinateur fait référence à une scène où Superman admet sa culpabilité à Wonder Woman à l’égard d’un important manquement à l’éthique (que je tairai ici!! ;^)… Mais je ne me rappelle pas avoir vu cette scène?!?! Elle m’apparaît même en contradiction avec ce que l’on nous a montré de ce fameux manquement!!?!? Est-ce que le dessinateur parle ici d’une scène qu’il a dessinée pour un album ultérieur que je ne connais pas?? J’espère, car sinon, le néophyte que je suis n’a rien compris du récit! ;^P
- un bogue scénaristique majeur. C’est d’ailleurs principalement à cause de lui que je ne donne pas 5,5 à ce volume! Attention à ceux qui ne veulent pas se faire vendre de punchs, je vous conseille de sauter au boulet suivant!! SPOILER : Un des pivots centraux de ce récit, c’est la présence de Batman dans l’image-souvenir du Dr Light (image à laquelle Flash a accès… sans qu’on sache trop comment, d’ailleurs!?!?)… Mais le bon Bruce N’A PAS participé à cette bataille!! Il n’est arrivé qu’après! Donc, comment peut-il apparaître dans cette image résurgente?? Et sans elle, tout l’élément de traîtrise interne ne tient plus debout!!?! Ça me semble assez majeur comme incohérence… à moins que j’en aie manqué un bout?!? Auquel cas, j’apprécierais bien qu’on m’explique : n’hésitez pas à m’écrire un commentaire pour m’ouvrir les yeux : je ne demande pas mieux que de comprendre!!
- l’affligeante maladresse de tout le récit de 1974, cette fameuse Mascarade!! Qu’est-ce que c’était ringard, à l’époque!! C’est flagrant d’abord dans les «méthodes», très peu subtiles, employées par le scénariste pour faire ses récapitulatifs : c’est verbeux et complètement plaqué! Des étudiants de 12 ou 13 ans pourraient difficilement faire pires! Pourquoi un personnage comme le Sorcier choisit-il une interlocutrice comme Star Sapphire pour lui raconter, en détails, les déboires qu’il vient de vivre… alors qu’elle l’accompagnait tout au long de ceux-ci!!?? C’est pourtant ce qui arrive aux p.273-274!!? De même, les explications données par Batman, dans le haut de la p.280, ne veulent absolument rien dire, et ne nous font pas plus comprendre comment il a pu démasquer le Sorcier! La facilité avec laquelle les «méchants» viennent à bout des «gentils» est pathétique! D’ailleurs, on ne nous montre que le combat de Batman! Pendant ce temps-là, ses quatre autres superamis, surentraînés, sont capturés sans qu’on ne sache trop comment!! ;^O Et comment se fait-il qu’aucun des cinq «méchants» transmutés ne réalise que Star Saphirre est absente, lors de la tentative d’attaque des Justiciers?? Je pourrais aussi critiquer la finale : pourquoi on ne voit pas la retransmutation des héros, à la fin? Cette façon expéditive de nous garocher l’épilogue en une planche est déplorable!! Non, franchement, ce récit est une véritable aberration! Je n’ai pas de félicitation à faire à Gerry Conway, le scénariste! Il m’apparaît clair, maintenant, que ces récits étaient destinés aux jeunes, et j’oserais même dire aux jeunes pas trop futés qui étaient prêts à gober n’importe quoi!! Navrant… quoique très intéressant, sociologiquement parlant, pour nous permettre de tâter la mesure de tout le chemin parcouru!! La seule réflexion que j’en retient, c’est : Comment une telle nullité a-t-elle pu, avec le temps, donner des fruits aussi géniaux que Crise d’identité??!! ;^)
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