#01- AUTOMNE 1152
Scénariste(s) : David PETERSEN
Dessinateur(s) : David PETERSEN
Éditions : Gallimard
Collection : X
Série : Légendes de la Garde
Année : 2005 Nb. pages : 168
Style(s) narratif(s) : Récit complet (Inspiration Comics)
Genre(s) : Héros animalier, Aventure, Historique
Appréciation : 5.5 / 6
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Conflits et traîtrises chez les rongeurs médiévaux!!
Écrit le jeudi 28 mars 2013 par PG Luneau
Tomes lus : #01 – Automne 1152 (2005, 168 p.)
#02 – Hiver 1152 (2009, 176 p.)
Aviez-vous été frappés par la vague Redwall, il y a une douzaine d’années? Aviez-vous au moins entendu parler de cette série d’une vingtaine de romans écrits par Brian Jacques, parue en français sous le titre Rougemuraille (avec de splendides couvertures!!) et dupliquée sous forme de dessins animés (que j’écoutais assez régulièrement, sur Télétoon!!)? Cette série animalière racontait les conflits, souvent militaires, entre les différents habitants de la forêt : les gentilles souris du monastère de Rougemuraille, aidées des écureuils, des hérissons, des taupes et compagnie affrontaient les vilaines belettes, les renards sournois, les perfides furets et les serpents persifleurs, le tout dans une ambiance moyenâgeuse tout à fait magistrale, avec épées, armures, masses d’arme et catapultes à tout venant. J’aimais beaucoup cette série… et mes élèves aussi!
Avec les Légendes de la Garde, David Petersen poursuit exactement dans la même veine!! On se retrouve donc encore une fois au Moyen-âge, dans un monde exclusivement animalier, à l’échelle des souris. Alors que toutes ces mignonnes petites rongeuses vivent réparties dans une vingtaine de villes fortifiées, exploitant leurs artisanats et faisant du commerce avec leurs voisines, une institution de fières et fidèles combattantes assure la défense de leur territoire et les protège des attaques ennemies lors de leurs déplacements. Ce glorieux regroupement porte le simple nom de la Garde. Seules les souris les plus braves et les plus combattives sont admises dans cette association vénérée, après une formation complète et intensive.
Mais voilà qu’en cet automne de 1152, un grain semble s’être immiscé dans les rouages de la vénérable institution!? La découverte de certains documents laisse présager qu’un traître se serait introduit au sein même de Lockhaven, ville centrale du royaume, siège du QG de ces fameux Gardiens!! Peut-on imaginer que des insatisfaits trouvent quelque chose à redire sur le travail de ces valeureuses protectrices, qui se dévouent poils et griffes à la défense de leurs semblables?? Se pourrait-il qu’un mouvement de contestation latent soit en train de gangrener l’apparente satisfaction de la populace?!? Comment éviter les dégâts? Comment gérer cette crise? Voilà quelques-unes des questions auxquelles Kenzie, Saxon, Lieam, Sadie et leurs confrères et consœurs devront répondre… et vite!
Si le thème du Moyen-âge animalier a déjà été traité (et certainement plus d’une fois – l’excellente Épée d’Ardenois me revient à l’instant en tête!!), l’idée d’y mêler un complot interne, avec traîtres et traîtrises, ajoute une dimension intéressante : le suspense est bien présent, et la suspicion ainsi engendrée ne tarde pas à nous rendre accro…
Mais ce qui fait de cette série un chef d’œuvre, rien de moins, ce sont les fabuleuses illustrations de monsieur Petersen!! Wow!! Quelle splendeur! À n’en point douter, et j’en mettrais presque ma main au feu, la plupart d’entre vous jonglera, comme moi, avec l’idée de monter certaines de ces illustrations sur un cadre et d’en décorer une chambre d’enfants ou un boudoir et ce, malgré le fait que l’encrage soit un tantinet trop prononcé! Habituellement, cet aspect d’un dessin me rebute un peu… mais ici, je suis bluffé! Est-ce dû à la délicatesse des couleurs? au charme enlevant des protagonistes? aux textures presque palpables que Petersen parvient à incorporer à ses rochers, à ses carapaces de crabes ou à ses aiguilles de pins? En effet, j’ai presque l’impression que le dessinateur utilise un genre de lithogravure pour parvenir à insuffler un tel réalisme à ses illustrations! Celles-ci sont si belles, si douces, si expressives (et ce, malgré la petitesse des yeux et des «visages» souriciers!!), qu’une personne normalement constituée ne peut faire autrement que d’y succomber!!
Avec de tels personnages animaliers, plusieurs croiront que cette série ne s’adresse exclusivement qu’aux jeunes enfants… Mais ce serait là très réducteur!! En fait, cette superbe série s’adresse vraiment à tout le monde et, personnellement, je ne serais pas gêné par le regard d’autrui si je la lisais dans le métro… En fait, je suis assuré que tous les adultes qui m’entoureraient en viendraient à la lire par-dessus mon épaule tant les images sont attractives et le récit enlevant!! Alors, pourquoi se priver??
À lire aussi : ce que pensent Yaneck, Arsenul et l’un des Blog Brothers à propos du tome #1… et tout le bien que Jérôme dit du tome #2 (il l’a placé dans son top 5 de 2011, c’est tout dire!!).
Plus grandes forces de cette BD :
- l’objet-livre. Il est vraiment étonnant sur plusieurs points : d’abord, un tel format carré avec une couverture rigide, c’est très rare! Puis, une telle épaisseur : plus de 160 pages! C’est véritablement atypique! Et certains réserveraient ça pour la jeunesse, vraiment?!? ;^)
- le dessin, à commencer par les splendides couvertures. J’en ai beaucoup parlé plus haut, mais je peux me permettre d’en rajouter une couche : l’art de Petersen le mérite amplement!! Le rendu du plumage du hibou qui assaille Lieam et Celanawe, dans le tome #2, est d’un réalisme à couper le souffle, et j’aime beaucoup la froidure qui se dégage du givre cristallisé sur ces deux mêmes personnages, lorsqu’ils se font surprendre par un verglas intense et persistant (#2, p.60-67).
- les couleurs, très chaudes dans le tome sur l’automne, très froides dans celui sur l’hiver. Les dominances d’orangés vivifient le manque de lumière automnal du tome #1, puis les différents tons de tendres lilas qui illuminent le deuxième tome ajoutent un côté feutré à la couche de neige qui étouffe la forêt, tout en laissant bien voir les gros flocons qui tombent sans cesse. Une réussite à tous points de vue!!
- la carte des pages de garde. Grâce à cette représentation de la région, sur papier parcheminé, et malgré sa calligraphie parfois difficile à lire, on peut mieux suivre les itinéraires de nos amis voyageurs et mieux saisir les distances entre les différentes cités.
- la narration, répartie en chapitres. Cette formule, très romanesque, permet de créer des suspenses et nous laisse à nous, lecteurs, des moments de répit pour faire le point. Bien que le tout soit surtout dû au fait que, dans la version originale anglaise, chaque chapitre correspondait à un petit album distinct, c’est une très bonne chose, compte-tenu du grand nombre de personnages et de leur répartition en plusieurs sous-groupes aux aventures distinctes mais parallèles,
- l’adorable charme qui transcende toute l’œuvre!! Dès le chapitre 2 du premier opus, j’étais épris de ce récit, je voulais le lire à toute petite dose pour le faire durer longtemps tellement c’est un bonheur suave de suivre les péripéties de ces valeureux petits Gardiens!!
- les nombreux poèmes et chansons qui parsèment le récit, principalement au début de chaque chapitre. Généralement, je ne suis pas très friand de ces ajouts, et je les lis presque toujours en diagonal… Ici, étonnamment, plusieurs m’ont particulièrement plu! Est-ce parce qu’ils avaient un caractère bucolique qui me rappelait mes belles années de scoutisme et mes étés passés en forêt?? ;^)
- le découpage en grandes cases bien lisibles, avec peu de texte. L’auteur n’hésite absolument pas à faire respirer ses scènes, à y insérer, pour ses personnages, de beaux moments de silence, d’introspection, d’émerveillement ou d’exaltation… et on ressent ces émotions au moins tout autant qu’eux, bien évidemment!! Parlez-moi d’un artiste qui ne se laisse pas contraindre par le diktat des formats prédéterminés («Si tu dépasses les 46 planches, tu t’organises pour couper, pour que ça rentre!!!») C’est d’autant plus agréable que plusieurs cases «pleine planche» feraient de superbes tableaux décoratifs (les p.32 et 36 du tome #1, par exemple…)!
- la rudesse du monde médiéval, merveilleusement bien rendue. Oui, les ennemis sont nombreux et on cherche plus à survivre qu’à vivre. Mais Petersen nous dépeint aussi, avec beaucoup d’à propos, combien la vie était difficile, à cette époque, de par la rigueur des climats, la dureté des disettes, la longueur des journées de travail et le dépassement perpétuel que tous devaient s’imposer. Tout semble difficile, humide, froid, rude, jusqu’à la texture des vêtements qui semble rêche à en écorcher la peau!! Chose certaine, ce bédéiste n’a vraiment pas cherché à épargner ses protagonistes!!
- les quatre pages parcheminées du tome #1 (p.111 à 114) qui racontent, avec lettrines géantes et enluminures, la Légende de la Hache noire. Ces pages, qui ne sont plus des pages de BD proprement dites, jettent un éclairage nouveau sur le personnage de Celanawe et surprennent de par leur allure de vieux parchemins dorés.
- les épilogues. Présentées sous l’angle du journal personnel de Gwendolyn, la cheftaine des Gardiens, ces quelques pages, en fin de récit, nous exposent les conséquences des événements auxquels on vient d’assister mais, surtout, nous présentent ce qu’il advient de chacun des principaux personnages, de leurs nouvelles affectations ou de leur état d’esprit tel que perçu par leur supérieure. C’est très judicieux… et tout aussi merveilleusement illustré, par des illustrations tout en contrepoint qui viennent étoffer ou, parfois, complètement contredire le texte. Brillant!
- les annexes. Chacun des tomes nous présentent une dizaine de pages sur lesquelles on nous présente plus en détails certaines des villes aperçues lors du récit (un peu sous la forme d’un guide de voyage!!), puis quelques métiers courants chez les souris de l’époque! À ce propos, je suis tombé en amour avec la mode souricienne, telle qu’on nous la montre dans une rubrique de l’annexe du tome #2… surtout les costumes traditionnels des gens des villages d’Ivydale et Copperwood! Gorgious, my dear!!!
- les couvertures des versions originales, reproduites en tout petit sur la dernière page. Placées à la toute fin du volume, comme ça, elles nous permettent de revoir un moment-clé pour chacun des chapitres, ce qui nous fait un mignon petit résumé en images avant de clore le livre! ;^)
- l’avant-propos du tome #2, par James Gurney, l’auteur de Dinotopia!! Cet autre créateur de monde fantastique (lui, il faisait plus dans les dinosaures intelligents qui côtoyaient les humains!) a bien su saisir les grandes forces de l’écriture de David Petersen et nous les servir dans un court texte bien rendu.
- certaines trouvailles très sympathiques, démontrant l’ingéniosité des souris pour s’outiller en dépit de leur petite taille. Par exemple, dans le tome #1, Conrad, le garde de la côte, est armé d’un hameçon (!!), et dans le tome #2, tous les voyageurs portent des raquettes pour ne pas s’enfoncer dans la neige… mais il s’agit en fait de chapeaux de glands!! J’ai trouvé ça tordant et ingénieux, ces récupérations d’objets ou d’éléments naturels de la forêt!
- la découverte de chaque nouvelle cité. Chaque fois que les personnages cognent à la porte d’une ville que nous n’avons pas encore eu la chance de connaître, nos yeux ne peuvent que s’ouvrir tout grand : il est si fascinant de voir à quel point l’imagination de Petersen a pu se décupler, d’une fois à l’autre! Chaque ville étant unique de par son architecture et ses spécialités artisanales, culturelles et économiques, on a toujours droit à d’agréables découvertes. Dans le tome #2, c’est surtout Sprucetuck qui m’a subjugué : une ville-gratte-ciel, sculptée à l’intérieur du tronc d’un arbre encore vivant, pensez donc!!
- l’étonnante relation qu’entretiennent les souris et les lièvres, à la toute fin du tome #2. Ces derniers démontrent un mélange de noblesse et de désinvolture tout à fait original!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la similitude des protagonistes. Malgré le fait que l’auteur leur ait donné des pelages et des capes de couleurs différentes, toutes leurs petites frimousses se ressemblent trop!! La difficulté est accrue de par leur grand nombre! Le tout atteint son paroxysme à la fin du tome #2 (p.144-145), alors qu’une trentaine de ces bestioles sont réunies pour assister à des funérailles… J’ai tenté d’en reconnaître le plus possible… mais quel défi!! D’ailleurs, les pages qui suivent (p.148-151) m’ont complètement mystifié, avec leurs retours en arrière, leurs propos sibyllins… et la trop grande ressemblance entre Saxon (en rouge) et Lieam (en vert) : ça m’a pris dix bonnes minutes à tout relire pour tenter de démêler tout ça!!
- certaines mises en page malhabiles, qui nuisent à l’ordre de lecture des vignettes. Et de manière générale, la construction scénaristique des récits, souvent en contrepoint entre deux ou trois pôles, peut paraître un peu complexe : un lecteur peu alerte pourrait facilement s’y perdre un peu ou être momentanément déboussolé, avis aux endormis!!
- l’amourette de Saxon envers… sa douce (vous verrez!) semble sortir de nulle part! Je ne l’ai pas vue venir du tout. Il me semble qu’aucune piste ne pouvait nous y préparer. Peut-être m’ont-elles simplement passé sous le nez sans que je ne m’y attarde (je devrai peut-être tout relire pour vérifier… chouette!! ;^) ), mais s’il n’y en a effectivement pas, ce béguin m’apparaît trop précipité : il me semble qu’il aurait été encore plus touchant s’il avait été introduit plus subtilement…
- les innombrables textures et trames utilisées. En fait, je ne sais pas si je dois placer cet aspect dans les forces ou les faiblesses de l’œuvre. Généralement, j’ai peu d’appétit pour les surfaces texturées à l’aide de trames pointées ou de petits traits juxtaposés. Ici, j’avoue que je suis plus partagé. Je n’aime pas toujours les effets qui en résultent, mais je dois avouer que ça cadre vraiment bien avec l’époque, les ambiances recherchées et le milieu rude dans lequel les protagonistes évoluent… Je reste donc perplexe… D’autant plus que vous apprécierez probablement!! ;^)
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