#01- LES LAMINOIRS
Scénariste(s) : Jean David MORVAN, Yann LE GALL
Dessinateur(s) : Bruno BESSADI, Vincent TRANNOY
Éditions : Soleil
Collection : X
Série : Zorn & Dirna
Année : 1998 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1 à 4 / 6)
Genre(s) : Fantastique médiéval, Fantastique mythique, Horreur, Steam-punk, Drame familial
Appréciation : 5.5 / 6
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la Mort est morte... Vive la Mort??!??
Écrit le vendredi 07 août 2015 par PG Luneau
Titres lus : #01 - les Laminoirs
#02 - le Dauphin et le renard (coll., Soleil levant, 2003, 5/6)
#03 - les Griffes de la meute (dess. Bruno BESSADI, coll. Soleil levant, 2005, 4,5 /6)
#04 - Familles décomposées (dess. Bruno BESSADI, coll. Soleil levant, 2005, 64 p., 5/6)
Vaincre la mort. Vivre éternellement. De tous les rêves fous, celui-là est l'un des plus récurrents. Et pourtant... Après avoir plongé dans l'univers morbide de Zorn et Dirna, concocté par messieurs Morvan, Le Gall, Bessadi et Trannoy, vous y penserez sans doute à deux fois avant de souhaiter défier la Grande Faucheuse, comme l'a fait le roi Hochwald!!
En effet, ce grand monarque craignait tant la Mort qu'il a saigné son pays pour financer médecins, savants et sorciers afin qu'ils le délivrent de l'inéluctable fin. Et grâce au savoir d'un certain Erken, il a finalement pu emprisonner la Mort dans un grand miroir!...
Mais depuis ce temps, plus personne ne meurt au royaume d'Hochwald!? On vieillit, on flétrit, on s'encroûte, on s'assèche... mais on ne meurt plus! Si on se blesse, on souffre atrocement, mais on recoud le tout et on continue à vivre, défiguré, lacéré, pourrissant sur pieds... tant que l'axe cœur-tête n'est pas sectionné!! Le royaume est littéralement rempli non pas de morts-vivants... mais de vivants-morts!! Et si l'un d'entre eux a la «chance» de voir sa tête tranchée, son âme n'est pas perdue pour autant : elle se réfugie dans le corps de son décapiteur... pour y cohabiter!?! :^O
Ainsi, le royaume a dû instaurer un système «d'élimination» afin d'éviter la surpopulation, et de mettre fin aux souffrances des plus âgés ou des plus amochés! Les autorités ont donc construit les Laminoirs, un grand mouroir où quelques criminels ont la douloureuse tâche de décapiter les «excédents» de population - vieillards, malades, grands blessés... Ce faisant, ces bourreaux de substitution cumulent les âmes, en tentant de ne pas devenir fou à force de voir leur esprit cohabiter avec ceux de centaines d'autres individus.
Pendant ce temps, loin, très loin dans son château, le roi Hochwald garde une éternelle jeunesse en passant des heures à regarder la Mort dans sa psyché... tandis que son épouse, son fils héritier et toute sa cour attendent qu'il daigne les inviter à la regarder avec lui, question de ne pas décrépir trop rapidement...
C'est dans cet univers médiévalo-fantastique des plus malsains que les jeunes Zorn et Dirna, un couple de jumeaux âgé d'à peine six ans, se découvrent un pouvoir incroyable : celui de pouvoir «enlever la vie»!! :^O En se concentrant minimalement et en touchant simultanément leur cible, ils peuvent la tuer définitivement et libérer son âme sans en hériter! Ce pouvoir devient une véritable bénédiction dans un monde dominé par la souffrance éternelle!
Aussi, les deux gamins, élevés par un vieux sage du nom d'Erken (!! ;^0), sont vite pris en chasse par la cruelle Meute, la Garde d'élite du Dauphin, ce sadique qui ne rêve que du jour où il pourra remplacer son éternel de père! Heureusement, les enfants seront protégés par Seldnör, un chevalier aguerri, et Splata, un mastodonte tout en muscle qui s'avérera... non, autant vous garder la surprise : elle est trop bonne!! ;^)
Attention, toutefois : malgré ses très agréables dessins, aux traits semi-caricaturaux d'une clarté tout ce qu'il y a de plus classique, il ne faut pas que vous vous laissiez abuser. Cette série N'EST PAS pour les chochottes! D'ailleurs, ce choix de dessin est très judicieux, il aide à faire passer les horreurs présentées. Je n'aurais personnellement pas été intéressé par un dessin réaliste ou gore : le propos l'est déjà bien assez comme ça!! En fait, je déconseille cette série aux moins de 18 ans... mais je la recommande chaudement à tous les autres!! ;^) En espérant que la finale rende justice à l'originalité de l'univers mis en place... mais seule la lecture des deux derniers tomes me le dira!!
À lire aussi : ce qu'a pensé, du premier tome, mon ami Yaneck... qui me connaît si bien!! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- la fascinante morbidité qui domine tout le récit. Le principe des vivants-morts permet une grande intensité dans le saccage, le pourfendage ou les lacérations de toutes sortes... puisque personne ne meurt!! Les illustrateurs y vont donc à fond dans le juicy!! On est loin des combats de nos Astérix d'enfance, qui ne nous montraient jamais une seule goutte de sang!! Ici, les corps sont tranchés en deux, question de parfaire de visu nos notions d'anatomie, les têtes roulent à tout bout de champ et les membres sont sectionnés à qui mieux mieux. Les viscères se répandent sans cesse partout, puis on les réinsère dans leurs cavités et on ficèle leurs propriétaires comme de gros jambons! Tout un chacun qui a le moindrement combattu ressemble à un patchwork plus ou moins ragoûtant... et ceux qui ne font que vieillir sans encombre... le font en pourrissant de plus en plus!! Juste un regard au cheval en lambeaux de Seldnör, sur la première planche du tout premier tome, vous situera le degré d'horreur auquel vous devrez vous attendre... Mais le plus étrange, c'est que j'ai apprécié cette morbidité, moi qui suis en temps normal tout à fait allergique à l'horreur!! Et c'est très certainement dû au fait que les dessins sont très colorés, et exécutés selon une ligne claire très définie. Comme je l'expliquais plus haut, ces traits presque bon enfant adoucissent le gore qu'en d'autres temps je n'aurai pas été capable de supporter. Bravo aux auteurs pour ce judicieux choix : grâce à lui, ils viennent de me rajouter au nombre de leurs fidèles lecteurs!! ;^)
- des personnages colorés. La grosse brute schizophrène qu'on rencontre dès la p.8 est des plus étonnantes, surtout quand ce sont ses âmes féminines qui prennent le contrôle de son corps!! Son image de virilité en prend alors pour son rhume, et ça entraîne des scènes surprenantes auxquelles on n'est peu accoutumés, souvent très amusantes (dont l'hilarant punch final du premier tome!!). Certaines personnes que je connais y trouveraient même une espèce d'homoérotisme peu commun en BD générale! Dans un tout autre ordre d'idée, la jeune Dirna, avec son caractère relativement vicelard, est aussi dérangeante : je ne suis pas encore sûr, après 4 tomes, si je l'aime ou non!! ;^) Chose certaine, le très jeune âge des deux jumeaux entraîne de joyeuses discussions qui tranchent sensiblement avec le caractère gore de l'univers dans lequel ils sont plongés!! ;^)
- la qualité plastique générale du dessin de monsieur Bessadi (et de monsieur Trannoy, dans les 2 premiers tomes). Non seulement j'adore la parfaite maîtrise de leurs lignes, toujours très nettes, toujours très propres, mais je tiens aussi à souligner la richesse de leurs mises en pages! Les plans, les angles de vue et l'agencement des vignettes (avec ou sans cadre, avec ou sans insert, avec ou sans débordement sur les vignettes environnantes...) sont très variés, très agréables et très dynamisants. À souligner : les très jolies doubles planches des p.40 et 41 des tomes #1 et 4! Bravo encore!!
- le grand talent des artistes pour mettre en place des paysages splendides. Je pense notamment à la demeure de Zorn, Dirna et Erken, au sommet de leur pic rocheux (tome #1, p.12) et à tout ce qui l'entoure. C'est de toute beauté, tout comme les plans généraux de la ville (ex.: tome #2, p.31).
- plusieurs caméos amusants. Décidément, les dessinateurs s'en sont donné à cœur joie! Voyez plutôt : le gros dinosaure Casimir est caché parmi les marionnettes du forain, au début du tome #1; On peut apercevoir Luke Skywalker qui porte maître Yoda aux mouroirs (p.43 du 1er tome, vignette #4, de dos), de même que le casque blanc d'un des soldats de Darth Vader (tome #2, p.16, #10); Spiderman a perdu la tête (#2, p.17, #5), puis Batman semble mendier (#3, p.14); Et remarquez le pendentif au cou de la vieille folle, dans le tome #3 (p.36, #4)! Qui aurait cru qu'on puisse y retrouver le visage d'Omer Simpson!!?? (Merci, Placard à B.D., pour plusieurs de ces découvertes qui m'avaient échappées!)
- l'étrange tendresse qui se dégage de la «mort-délivrance» que Zorn et Dirna transmettent, à la fin du premier tome. On y voit là une très touchante transposition de l'idée d'euthanasie thérapeutique, et elle peut nous faire réfléchir.
- les intrigants petits dessins qui parsèment le bas de certaines planches. Toutes les planches numérotées 13 se voient affublées d'un petit masque de hockey (en référence à Friday the 13th, j'imagine!?), mais plusieurs des planches #23, 28 et 34 sont agrémentées de petits graffitis divers, en référence à un certain H.K., ou à Akira... la série de manga?? Si jamais je croise monsieur Bessadi, je l'interrogerai sans doute sur ces petits détails!! ;^)
- l'ingénieuse construction scénaristique du tome #2. Elle nous dresse, en flash-back parallèle, le destin de Splata et celui de Seldnör, lors de l'attaque du bal de la St-Jean. Les deux jumeaux peuvent ainsi entendre ce récit selon deux points de vue différents... Idem pour nous!! ;^)
- la déconcertante conclusion du tome #2, qui nous ramène, en trois planches silencieuses, à la légende des premières planches du tome initial! Ça entretient bien le mystère!
- le spectaculaire revirement du tome #4, quand Seldnör agonise. Vraiment, monsieur Morvan ne nous épargne rien. Cette idée est particulièrement géniale, je trouve!
- une très intéressante réflexion sur la dégénérescence. Dans le tome #4, l'abject Dauphin se lance dans une diatribe sur le fait que sa décrépitude physique serait à l'origine de sa dégoûtante immoralité. Monsieur Morvan lance là une étonnante piste de réflexion, et je m'y attarde assez souvent depuis. De même, j'aime beaucoup l'attitude mielleusement déférente de toute cette cour de décrépis qui demeurent malgré tout coquets (allant jusqu'à porter des masques partiels, des voilettes ou des faux-nez quand leur visage devient trop délabré), souhaitant ainsi rester dans les bonnes grâces de leurs suzerains, tant le père que le fils.
- le supplément de la fin du tome #4. Il s'agit d'un collectif où 39 illustrateurs (dont Guillaume Bianco, Philippe Buchet, Thomas Labourot, Simon Léturgie et Sylvain Savoia) rendent hommage à la série en dessinant les héros (ou ce qu'ils leur inspiraient!) selon leur propre style. Ce genre de compilation est toujours agréable car elle met en vitrine toute une foule de visions de ce à quoi un même personnage, par exemple, aurait pu ressembler. C'est très éclectique, mais vraiment sympathique.
Ce qui m'a le plus agacé :
- la typographie. Dans les premiers tomes, elle est un peu trop irrégulière, comme malhabile, tremblotante... Au point de nuire parfois à la lecture. :^(
- un petit détail technique qui m'a achalé tout au long du récit : d'où sortent les deux lames de Seldnör?? Ce grand guerrier nous apparaît avec une armure impressionnante, de laquelle il peut faire glisser deux grosses lames, l'une à sa main gauche, l'autre au bout d'un long manche, dans sa droite... Mais où sont ces lames quand elles sont «rentrées» dans leur «fourreau»??? La mécanique entraînant leur «apparition» semble très impressionnante et fait très steam-punk... mais elle est d'un réalisme douteux!! :^(
- le caractère hyperviolent et sadique du récit. Oui, je sais, j'ai mis un élément similaire dans les points positifs... mais j'y faisais surtout mention du traitement visuel, qui me l'a fait supporter. Reste que les auteurs y vont fort dans la méchanceté : comme si ce n'était pas assez de couper bras et jambes à un vieillard, était-il nécessaire de les offrir en repas à un ours, devant ses propres yeux?? Et ce cheval, tranché en deux sur le sens de la longueur, dans le tome #4?? Puis, il y a les horribles orgies ensanglantées du Dauphin, où luxure morbide et torture collective vont de pair... La dépravation de ce personnage est carrément à lever le cœur... cœur qu'il faut avoir solide, finalement, pour traverser ce récit! :^S
- la jaquette de la première édition du tome #1. Je sais qu'elle a été refaite, et c'est tant mieux, mais puisque c'est l'édition que je possède, je vais tout de même en glisser mot : d'abord, l'illustration de couverture n'a rien à voir avec le récit (celle du tome #3 non plus, ceci dit!!) Puis, le texte de la quatrième de couverture y est assez obscur. Avec le recul, on en déduit qu'il s'agirait d'un très très lointain flash-forward... mais pour un premier tome, est-ce bien approprié??
- une erreur syntaxique, à la p.8 du tome #2. Alors que sa mère lui rappelle que l'exactitude est la politesse des rois, l'affreux Dauphin lui répond : «Vous êtes bien placée pour savoir que je ne le suis point, mère.» Mais vu la tournure de phrase employée par la reine, il aurait dû dire : «... que je n'en suis point pourvu...»!
- un grand manque de fluidité dans les scènes d'action du tome #2. D'abord, le combat de la p.34 est très difficile à comprendre, le contenu des intercases reste flou, on y sent mal les mouvements et les manœuvres des deux protagonistes. C'est à peine si j'avais remarqué que Splata s'était emparé du corps de Seldnör! Puis, à la p.36, la blessure que ce dernier inflige à son ravisseur n'est pas claire non plus, on ne sait pas trop comment elle survient, tout comme la bousculade de la page suivante... Vraiment, comme combat, c'est un peu raté...
- quelques petites incohérences. D'abord, le peu de réalisme de la chute de la p.35 du 2e tome, dans ce même combat dont je viens de parler : l'envoi d'un tel poids, lancé de si haut et stoppé par une corde à la cheville, aurait dû se solder par un pied arraché, rien de moins!! Dans le 3e tome, maintenant, la présence, à la p.27, de la chansonnette «Un km à pied» est tout à fait déplacé!!?? En plein monde médiévalo-fantastique, avouez que ça jure!! Finalement, aux pages suivantes, le romanichel va prévenir son chef en deux temps, trois mouvements, comme si nos héros n'étaient qu'à cinq ou dix minutes de la ville!!?? N'avaient-ils pas navigué pendant au moins toute une journée avant de s'échouer??! C'est le genre de détails qui minent un peu mon plaisir...
- le caractère transitionnel du troisième tome. En gros, outre l'expédition du quatuor vers leur demeure et la halte chez la vieille folle, il ne s'y passe pas grand-chose. Mais je comprends que certaines transitions sont parfois nécessaires, dans les longs récits, question de mettre en place les éléments pour la suite (dans ce cas-ci, la poursuite de la Meute)... D'autant plus qu'il s'agit d'un tome où des tonnes d'éclaircissements nous sont transmis, via de longs retours en arrière.
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