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#01- Gringos Locos
#01- GRINGOS LOCOS
Scénariste(s) : Yann Le Pennetier dit YANN
Dessinateur(s) : Olivier SCHWARTZ
Éditions : Dupuis
Collection : X
Série : Gringos Locos
Année : 2012     Nb. pages : 52
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre
Genre(s) : Hommage, Récit de voyage, Biographie, Humour
Appréciation : 5 / 6
la Mythique épopée des three lonesome cowboys (mais pas si lonesome puisqu'ils étaient huit dans la bagnole!)
Écrit le samedi 21 septembre 2013 par PG Luneau

Morris et Franquin font probablement partie du top 6 des bédéistes franco-belges les plus connus (avec Hergé, Uderzo, Goscinny et Peyo). Même ceux qui ne s’intéressent pas au neuvième art (les malheureux!! ;^) savent qui sont ces deux bonzes : le premier, créateur et prolifique dessinateur du mondialement célèbre Lucky Luke; l’autre, le créateur du désopilant Gaston Lagaffe… mais aussi du Comte de Champignac, de Zorglub et du si charmant Marsupilami, qu’il a su intégrer dans les plus mémorables aventures de Spirou et Fantasio!

Beaucoup moins nombreux sont ceux qui savent que ces deux bédéistes, dans leur jeune temps, étaient sous l’égide bienveillante d’un autre grand, Joseph Gillain, alias Jijé! Les considérant presque comme ses propres frères, cet homme les a souvent logés et nourris en plus de les soutenir professionnellement en leur alléguant des tonnes de conseils techniques en dessin ou en scénarisation… Aussi, en 1948, quand Gillain décide de fuir la Belgique avec femme et (quatre!!) enfants (de crainte d’un troisième conflit mondial!), pour aller tâter du rêve américain en tentant sa chance aux studios Disney, c’est avec un naturel sans compromis qu’il invite ses potes et émules Maurice de Bevere et André Franquin à le suivre, ce que ces deux galopins (alors âgés de 25 et 24 ans) se sont empressés d’accepter.

Ce voyage en terres d’Amérique, où ils ont littéralement traversé le continent (de New York à la Californie, tous entassés dans la même voiture!!), j’en ai personnellement eu vent pour la première fois en lisant le livre Franquin, chronologie d’une œuvre. J’en ai réentendu parler en lisant les pages documentaires qui ouvrent les intégrales #1 et 2 de Jerry Spring, de Jijé. Mais pour les connaisseurs et les bédéistes européens, l’épopée de ce trio si célèbre a quelque chose de mythique : c’est là que s’est forgé le talent brut de trois des piliers les plus solides du magazine Spirou, journal qui deviendra à son tour une roue d’engrenage qui attisera la flamme de presque tous les bédéistes européens des cinquante dernières années!

C’est pourquoi Yann, scénariste réputé, avait envie de raconter leurs tribulations, et ce, depuis… trente ans!! En effet, depuis tout ce temps, le bougre collectait ses données, à force d’entrevues diverses et de discussions de coins de tables avec les amis ou la famille de ses trois protagonistes. Il a même eu le privilège de côtoyer Franquin et Morris de leur vivant, et de les interviewer en bonne et due forme sur cet épisode marquant de leur vie. Avec l’accord des descendants des trois bonzes (les familles Gillain, Franquin et de Bevere), voilà qu’il s’est mis, il y a quelques années, à la rédaction finale, demandant à son pote Schwartz, aux dessins si typés et toujours si colorés, de s’occuper de l’aspect graphique! Leur projet, ils l’ont baptisé Gringos Locos, et se répartira sur plus d’un tome (deux? trois?)…

Mais voilà qu’à la lecture du premier tome, qui regorge d’anecdotes s’étant déroulées lors de ce voyage et un peu avant le départ, anecdotes consciencieusement cumulées et presque toutes contrevérifiées auprès de plusieurs sources de premières mains, je le rappelle, les descendants sont circonspects!! «On n’y reconnaît pas nos pères!», s’insurgent-ils, en gros! Marchant sur des œufs, et ne voulant pas déplaire à personne, les éditions Dupuis ont quand même publié l’album, mais avec

  • un encart d’«avertissement aux lecteurs»,
  • des explications du scénariste sur sa démarche,
  • un deuxième encart de 10 pages, collé sur la troisième de couverture, contenant un «droit de réponse» des trois familles et…
  • une notation de type «ce récit se veut fictif, toute ressemblance serait une coïncidence» (!!??celle-là, j’avoue que je la trouve un peu forte!?!?),

Ça fait beaucoup de palabres pour un récit qui se voulait un hommage à ces piliers de l’Âge d’or de la BD, avec une dose de scénarisation de bon aloi pour pimenter le tout!!

En ce qui me concerne, j’ai véritablement adoré ma lecture! C’est bien certain que je me suis faite une idée de ce que devait être Gillain en tant que personne, que j’ai découvert un Morris à la cuisse légère et que j’ai reconnu le Franquin toujours un peu dépressif dont parlent toutes les biographies portant sur lui! Étaient-ils vraiment comme ça?? Gillain avait-il si peur d’une troisième guerre mondiale, au point d’en rêver la nuit?? Je n’en ai pas la moindre idée : je n’y étais pas, et Yann non plus. Peut-être certaines personnes lui ont-elles dressé des portraits qui allaient dans ce sens, peut-être s’est-il forgé lui-même ces caractérisations de personnages… Je n’en sais rien, mais peut-on l’accuser de dénaturer ces trois hommes?? Je n’ai vu, personnellement, aucun manque de respect dans ses propos! Au contraire : j’ai ressenti un véritable amour et une grande admiration de la part de Yann envers ses sujets.

Maintenant, si les enfants ne reconnaissent pas leurs pères, qu’y peut-on? Ils ne possèdent pas pour autant la vérité! Oui, certains y étaient… mais les plus vieux avaient dix ou douze ans! Peut-on véritablement se fier aux souvenirs de si jeunes enfants… Et le regard d’un enfant sur son père est-il réellement objectif? Ce sont sans doute ces arguments qui ont poussé Dupuis à aller de l’avant avec la parution, malgré la polémique! D’autant plus que Yann n’a jamais vraiment eu l’intention d’en faire un documentaire parfaitement conforme à la réalité…

Chose certaine, toute cette histoire, qui a fait beaucoup de vagues, ne troublera en rien la lecture du profane, qui trouvera dans cet album un récit de voyage épique et amusant. Que vous connaissiez ou non ces icônes du neuvième art, vous l’apprécierez, j’en suis plus que certain. Et si vous vous intéressez à la fabuleuse histoire de la BD, vous êtes en présence d’un incontournable… En tout cas, moi, il n’était pas question que je le contourne, avec ou sans polémique pour en mousser les ventes!!

Reste plus qu’à espérer que toute cette histoire n’entachera pas la réalisation du – ou des – tome(s) suivant(s)!!

À lire aussi : la critique de Yaneck.

 

Plus grandes forces de cette BD :

 

  • le style graphique de Schwartz, très design et Art Déco, tout en restant très vieille école. Mais j’en ai déjà parlé, tant dans ma critique de l’Inspecteur Bayard que dans celle du Spirou et Fantasio par… que cet habile dessinateur a eu la bonté de nous concocter (avec le même Yann au scénario, d’ailleurs!!)!

 

  • la couleur, toujours aussi vive et franche dans les albums de Schwartz. Dans le cas présent, elle est due à Fabien Alquier : une vraie splendeur, comme en témoigne la couverture, par exemple!

 

  • plusieurs anecdotes surprenantes… au point d’être parfois presque invraisemblables!! Comme celle de l’attaque des coyotes (à la p.19), ou celle de la conception, par Franquin, d’un «pré» Gaston, mais à l’allure mexicaine et à la lubricité qui n’aurait pas été très appréciée par monsieur Dupuis!! Une des plus étonnantes, c’est cette idée de l’appartement de Bruxelles qu’ils laissent dans un «faux» mauvais état!! Sont-elles toutes historiquement exactes?? Je ne saurais dire. Mais Yann semble sincère quand il nous dit qu’il n’a rien inventé, que tous les événements majeurs lui ont été rapportés par Morris, Franquin ou un de leurs proches… Par contre, il avoue aussi ne pas s’être gêné non plus pour les enrober un peu (en inventant les dialogues, en déplaçant un ou deux de ces anecdotes dans le temps, ou même, à la limite, en attribuant à l’un ce qui serait arrivé à un autre)! C’est le propre de tous les ceux qui font dans l’autofiction, d’ailleurs! Et c’est bien tant mieux, si ça sert la trame narrative!! Après tout, on nous le martèle tant de fois qu’on finit par le comprendre : Gringos Locos n’est pas un documentaire journalier qui expose les faits littéralement comme ils se sont produits!! Donc, pourquoi se retenir?? Allons-y gaiement, d’une petite dose de caricature!

 

  • l’incroyable insouciance que ces gens avaient, tous!!! Sans le sou, avec le strict minimum comme bagage, entassés à huit dans une bagnole qui risquait de flancher à tous les miles, ils avaient tout un culot pour se risquer à traverser ainsi le continent américain de part en part… Surtout qu’ils n’avaient aucune certitude de dénicher un boulot à l’arrivée (d’ailleurs, l’histoire nous apprend qu’ils ont effectivement fait tout ce trajet pour rien!!)!  C’est qu’il y avait quatre enfants d’impliqués dans tout ça!! Ah! Ces artistes!!

 

  • l’approche intimiste que les auteurs ont décidé de prendre pour nous parler de leurs personnages centraux, qui sont en même temps parmi leurs idoles professionnelles! On entre, à certains moments, dans leurs rêves, leurs fantasmes ou leurs lubies avec une impudeur toute respectueuse mais néanmoins surprenante! Franquin le dépressif, Morris le courrailleux, Jijé, le Roger-bon-temps qui n’a peur que d’une chose : c’est que la 3e guerre mondiale lui tombe sur la tête! Bien que les enfants respectifs de ces trois bonzes du neuvième art crient haut et fort à l’imposture, ne reconnaissant pas leur père dans la représentation offerte par les auteurs, ceux-ci ont tenu bon. Seuls des mises en garde et un droit de réponse ont été ajoutés dans chaque album, question de nous aider à nous faire un portrait plus juste de qui étaient vraiment ces trois bédéistes hors-pairs!!

 

  • l’annonce du tome #2, à la toute dernière page, digne des accroches figurant dans les récits d’aventures des années 50… ou de la finale des épisodes de Batman, à la télé, dans les années 60 : «Qui est donc cet étrange individu qui va bouleverser le destin de nos amis?... Découvriront-ils enfin le véritable Eldorado de la bande dessinée?» J’espère qu’on le saura, en lisant la suite, qui s’intitulera apparemment Crazy Belgians!!

 

  • l’interview donnée par le scénariste, à la toute fin de l’album. Répondant aux questions de José-Louis Bocquet, Yann nous y parle de sa documentation et de ses rencontres avec Franquin et Morris, alors qu’il a travaillé avec eux sur divers projets. Puis, il y liste les noms de plusieurs de ceux qu’il a interrogés. Il explique aussi les raisons pour lesquelles il a commis certaines extrapolations à partir de la tonne d’anecdotes réalistes qu’il avait cumulées, et comment il a pu intégrer certains éléments comiques. Un entretien très enrichissant pour comprendre ses processus, surtout dans ce délicat contexte de polémique!!

 

  • le fait qu’on ait laissé un droit de réponse aux descendants des protagonistes. Ce document est surtout intéressant pour les nombreuses photos de famille datant de cette époque, où l’on voit, en vrai, les membres de l’équipage : Morris, Franquin, Gillain, sa femme et ses nombreux enfants… On y voit même la fameuse Hudson qui les a tous trimballés d’un bord à l’autre du continent américain, de New York à la Californie, puis au Mexique! Ces photos contribuent à nous plonger dans le réalisme de leur folle équipée!!

 

Ce qui m’a le plus agacé :

 

  • un manque de référents de ma part. Parfois, j’avais l’impression de passer à côté de certaines choses. Par exemple, j’aurais aimé savoir qui étaient les joyeux lurons avec qui ils ont fêté leur départ, aux p.5, 6 et 7!? On nous piste sur la présente de Hubinon, mais les autres?? Ça pique ma curiosité!

 

  • le contenu du droit de réponse. C’est très fair-play, de la part des éditeurs, d’avoir permis aux familles de donner leurs points de vue, ce qu’elles font de façon très civilisée. Toutefois, je dois avouer que je suis plutôt resté sur ma faim! J’ai trouvé que les éléments qu’ils avançaient étaient plutôt futiles, qu’ils pinaillaient sur des détails somme toute assez vagues, pour ne pas dire insignifiants. Si c’est là l’ensemble de leurs récriminations, je trouve qu’on a vraiment fait toute une histoire avec pas grand-chose! Mon ami Yaneck me dit souvent que je suis chipoteur, j’ai maintenant la preuve que je ne suis pas le seul!! ;^)

 

 


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@ Geneviève : Ça, ça me fait tellement plaisir de lire ça!! MERCI!!!!! ;^)
Rédigé par PG Luneau le lundi 23 septembre 2013 à 23:06


Si tu savais le nombre de titre que je note chez toi! ;)
Rédigé par Geneviève le dimanche 22 septembre 2013 à 22:05


@ Geneviève : Ça me fait un très grand plaisir, Geneviève, surtout que c'est un album qui mérite vraiment d'être lu!! Si tu allais passer à côté et que tu en retiens le titre grâce à cette critique, alors, j'ai joué mes rôles de transmetteur d'informations et de communicateur d'intérêts, et j'en suis très satisfait!! ;^)
Rédigé par PG Luneau le dimanche 22 septembre 2013 à 21:26


@ Yaneck : Merci, cher collègue!! Cette affirmation me va droit au coeur!! ;^)
Rédigé par PG Luneau le dimanche 22 septembre 2013 à 21:21


Eh! Mais c'est super intéressant ça! Je comprends mieux à la lecture de ton billet, ce que tu voulais dire par polémique. Comme tu dis, les enfants disaient ne pas reconnaître leurs pères, mais quel parent éduque ses enfants en racontant toutes ses frasques de jeunesse? Souvent on fini par apprendre des trucs loufoques sur nos parents ou des anecdotes dont on ne doutait rien, quand on est plus vieux ou alors, quand ils sont partis...
En tout cas je note parce que je trouve intéressant de voir sous un autre angle des icônes de la bd comme ceux-là! Merci pour la découverte! :)
Rédigé par Geneviève le dimanche 22 septembre 2013 à 7:30


Je dirai surtout que tu n'es donc pas le pire des chipoteurs ^^
Rédigé par Yaneck le samedi 21 septembre 2013 à 18:06


@ Anne des Ocreries : Tu as raison, Anne, de soulever l'aspect «road movie» de cet album!! Je réalise maintenant que je n'ai pas assez insisté sur ce parallèle : il donne pourtant au récit un air d'aller tout à fait intéressant!!
Rédigé par PG Luneau le samedi 21 septembre 2013 à 16:26


Ah, j'ai lu ça dans mon beau Journal de Spirou, pis j'ai vraiment bien aimé moi ! quels pinailleurs, les descendants ! des légendes, c'est pas fait pour qu'on en tire des documentaires, m'enfin ! J'ai adoré le dessin, l'humour, les sales mômes chiants ( c'est sans doute ça qui les a dérangés, va savoir ?), non, vrai, un bon "road movie" !!!!
Rédigé par anne des ocreries le samedi 21 septembre 2013 à 14:43




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