#01- LE BUREAU DES RUMEURS
Scénariste(s) : Bertrand ESCAICH
Dessinateur(s) : Marc N'GUESSAN
Éditions : Bamboo
Collection : X
Série : Ling-Ling
Année : 2012 Nb. pages : 48
Style(s) narratif(s) : Récit complet
Genre(s) : Aventure humoristique, Historique, Drame familial
Appréciation : 5.5 / 6
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Une petite perle d'Orient méconnue!
Écrit le dimanche 06 décembre 2015 par PG Luneau
Titres lus : #01 - le Bureau des rumeurs
#02 - les Lanternes roses
WOW!! Quelle superbe découverte que ces deux grands albums des éditions Bamboo!! Contrairement à la série le Maître des ogres, où mes attentes très élevées ont été un peu déçues, celles que j'entretenais pour la série Ling-Ling se sont avérées bien fondées!! ;^) J'ai un véritable coup de cœur pour cette série d'aventure située en Chine impériale du Moyen-Âge!!
On y fait la connaissance de Ling-Ling, une jeune délurée de 17 ans qui vient de compléter sa formation en kung-fu auprès d'un des plus grands maîtres de l'empire, même si celui-ci avait décidé de prendre sa retraite!... C'est dire le pouvoir de persuasion de cette jeune fille!?
Après une première aventure, où elle est venue en aide à une jeune princesse qui désirait retrouver son tout jeune fils, gardé captif chez l'empereur en personne, notre jeune héroïne devient membre du Bureau des Rumeurs, un centre de renseignements bien particulier qui sert de base à tout un important de réseau d'espionnage et de contre-espionnage, étrangement plus fidèle à l'Empire qu'à l'Empereur en tant que tel!!
Ling-Ling devient donc agent de renseignement, mais d'un genre bien particulier : sympathique et toujours prête à rendre service à tout le monde, notre mini-James Bond reste humaine et conciliante. Toujours enjouée et positive, elle se fera justicière ou investigatrice, selon le besoin du moment, et n'hésitera pas, par exemple, à infiltrer le QG d'une triade pour dénicher un indice sur l'identité d'un prétendu criminel!
Le contexte et le juste équilibre entre la légèreté et l'intensité de ces récits m'ont remis dans le même état d'esprit que lorsque j'ai suivi la nouvelle saison du populaire dessin animé les Mystérieuses Cités d'or, celle qui se passe en Chine ancienne! ;^) La même franche énergie juvénile, le même goût de l'aventure, le même genre de révélations surprenantes... Sincèrement, je trouve que monsieur Escaich (qui coscénarise habituellement en duo avec Caroline Roque, sous le nom de Béka : Studio danse, par exemple, c'est aussi lui... à moitié!!) et monsieur N'Guessan ont fait un travail remarquable, et je ne m'explique pas le fait qu'on n'ait pas plus entendu parler de cette petite série tant elle est exceptionnelle!! Une héroïne solide, charmante et engagée qui vit des aventures palpitantes et originales, avec humour, suspense et un certain décalage : quoi demander de mieux??!
Il y a bien quelques petites scènes de nudité qui déplairont aux plus frileux : eh oui, croyez-le ou non, les gens de cette époque se déshabillaient pour prendre leur bain!! :^O Mais tout est traité avec beaucoup d'habileté (et d'humour!), de manière à ce que la pudeur du jeune lecteur ne soit offensée d'aucune manière : on ne voit absolument rien!
En tout cas, moi, j'adore, et je recommande très chaleureusement ces 2 albums, relatant chacun une histoire complète. Une belle idée de cadeau pour tous les jeunes de 10 ans et plus, sinophiles ou non... Et même pour les moins jeunes : ces albums renferment beaucoup de gags que les enfants ne capteront pas mais qui feront pouffer leurs parents!! Des niveaux de lecture pour satisfaire tous les âges, quoi!! Et j'espère ardemment qu'on aura droit à d'autres tomes!! ;^)
Plus grandes forces de cette BD :
- la construction des illustrations de couverture, étalées sur deux planches! Pour en admirer toute la beauté et l'originalité, je vous conseille de les observer en étalant complètement les albums à plat, pages contre table, ou en vous plaçant devant quelqu'un qui est en train de lire : les quatrièmes de couverture sont aussi belles que les premières!
- le contexte historique. Je trouve original qu'on exploite la Chine médiévale dans une BD jeunesse! En plus de tous les atouts culturels que les jeunes peuvent en retirer (sans que ce soit, spécifiquement, une série qui se veuille didactique ou pédagogique), ça apporte une belle alternative aux sempiternels récits-miroirs, où les jeunes suivent les récits de jeunes de leur époque! Bravo pour cette belle audace! ;^)
- la qualité et la finesse des illustrations. Marc N'Guessan y déploie un style très personnel, loin des standards actuels. Ses lignes, toutes fines, donnent une légèreté à l'ensemble de l'œuvre, et cadre tout à fait avec le thème. L'effet «estampes asiatiques» est des plus réussis, malgré la belle modernité dans le mouvement et les expressions faciales! Chapeau, monsieur N'Guessan! ;^)
- les jeux de mots dans les noms. Il y avait longtemps que je n'avais pas lu de noms de personnages (ou de lieux, même!) aussi efficaces. J'oserai même dire qu'ils sont dignes de ceux de Gosciny!! Voyez plutôt : les montagnes du Kon-Phin de Thou, le roi d'Unhnotrtan, la princesse Kaa-Nhon, Tâ-Rô le devin, Kâ-Lyne et Kô-kyne (toujours jolies, ces deux courtisanes ;^), les désagréables Muh-Fleu, Sufi-Zan et Shi-Py, et les artistes visuels Fû-Zin, Han Creu et Lah-Vi!! Personnellement, c'est le genre de détails que j'adore! ;^)
- la fraîcheur de cette héroïne vraiment sympathique! Fantasque et frondeuse, la jeune Ling-Ling fonce dans la vie avec une belle énergie positive et communicative. Elle trace son chemin avec détermination, sans avoir peur de contrer les stéréotypes de son époque. Voilà véritablement un superbe modèle féminin, une héroïne comme il y en a peu. Et dire qu'elle est issue de la misère noire : orpheline élevée par sa grand-mère, elle aurait dû être vendue, comme un cochon... mais pour beaucoup moins cher!! :^O
- le ton résolument moderne et léger. Oui, nous sommes dans la Chine médiévale, mais les personnages laissent parfois échapper des expressions comme Meeeeeeeerde! ou Ben tien! (p.11 & 17 du premier tome) ! Avec leur sonorité très actuelle, ces expressions nous rappellent que la série ne se prend pas au sérieux, et qu'elle ne vise pas, non plus, à nous brosser un portrait historique parfaitement rigoureux. Autre exemple? À la p.12 du tome #2, le peintre qui nous avoue avoir fumé du thé avant de peindre, nous montre ses nouvelles toiles... qui s'avèrent très avant-gardistes puisque l'une d'elle est digne du cubisme de Picasso et que l'autre est une application du Pop Art de Warhol (avec, si je ne m'abuse, la face du scénariste??!). Amusant et efficace!
- le traitement un peu surréaliste de certains combats. À quelques reprises, quand Ling-Ling en vient à devoir faire usage de ses grands talents en kung-fu, ses opposants virevoltent si loin et si haut qu'il nous est impossible de ne pas songer à toutes ces images de films d'arts martiaux récents (genre Tigre et Dragon) où les mouvements et les contrecoups sont ralentis, léchés et exagérés à l'extrême, question d'en magnifier la portée artistique! On en a un bon exemple dans le super-saut du mandarin, à la p.8 du tome 2. Le clin d'œil est vraiment parfait, et le tout est fait avec beaucoup d'humour. J'adore les mimiques de Muh-Fleu quand il revole dans les airs, après les savates de Ling-Ling, à la p.12 du 1er tome!! ;^)
- l'humour. Plusieurs éléments et personnages ont pour mandat d'ajouter une touche d'humour à l'ensemble. C'est le cas des deux ridicules bonshommes, Fû-Rhé et Tâ-Rô : la façon dont ils se font avoir par les concubines impériales est vraiment réjouissante (tome #1, p.20), de même que lorsqu'ils croient fomenter un plan tout à fait stupide pour assurer la longévité de l'empereur : le forcer à manger 5 fruits ou légumes par jour!?! De même, quand Ling-Ling précise à Kha-Khou que, même s'il a inventé la poudre, il n'en est pas plus brillant pour autant (p.25, tome #1), c'est vraiment très drôle! Ces blagues, misant sur le décalage, sont d'autant plus amusantes qu'elles sont subtilement amenées. De plus, les quelques allusions un peu grivoises qu'on retrouve aux p.39 et 41 du tome #1, sont des plus efficaces, et d'une subtilité merveilleuse : littéralement tordantes pour les adultes, elles restent inoffensives pour les enfants! Comme je le disais plus haut, n'est-ce pas un gage de qualité que de pouvoir apprécier la lecture d'une BD à tout âge?! ;^)
- le génialissime revirement de situation du tome #1!! À partir de la p.36, monsieur Escaich y va d'une révélation des plus surprenantes qui vient chambouler tout le déroulement de cette passionnante intrigue!! Ne comptez pas sur moi pour vous le dévoiler ici, mais sachez que c'est le genre de punch qui nous tient en haleine et qu'on retrouve malheureusement trop peu souvent en littérature jeunesse!! Bravo! ;^)
- la construction scénaristique générale du tome #1! Plusieurs segments m'ont particulièrement ravi : l'évasion originale de Ling-Ling et de Kha-Khou, à la p.45; le secret bien gardé de Kan-Kan (superbe personnage, en passant!); le suspense latent (et super angoissant!!) de la dernière planche... Vivement d'autres tomes!! ;^P
- l'habileté du scénariste à insérer la définition des termes historiques plus complexes à même ses dialogues, sans les alourdir ou que ça fasse plaqué. C'est principalement le cas dans le volume #2, où des mots comme triade, mandarin et géomancien sont astucieusement intégrés dans les discussions. Ça peut sembler anodin, mais en littérature jeunesse, c'est un détail qui peut faire toute la différence! ;^)
- quelques belles réussites graphiques. J'adore, par exemple, la bouille d'Han Creu, l'artiste-peintre : on dirait un hippie des années 60!! Tout comme les couvertures, plusieurs vignettes panoramiques sont de toute beauté, notamment les décors autour et à l'intérieur du Bureau des Rumeurs, ou le beau décor de la p.24 (tome #2)... Malgré un léger problème de perspective (mais peut-être est-ce voulu?!?), ce dernier rappelle, lui aussi, les estampes asiatiques du temps! Et bravo pour la grande variété d'angles de vue, comme sur la planche de la p.31 (tome #2) : en voilà une qui me replonge complètement dans l'album l'Encre du passé, où l'on suivait, là aussi, un calligraphe... mais dans un registre beaucoup plus sérieux! ;^)
- une certaine poésie intéressante (mais??!!... est-ce bien moi qui écris cela?? ;^)... La solution finale, trouvée par Lah-Vî, d'écrire sur la neige, est toute douce, toute... zen! Je la trouve très belle et symbolique. De même, j'ai aimé l'ingéniosité de la scène des p.14 à 16 du tome #2 : il faut du talent pour écrire 3 planches sans aucun texte, mais en restant clair! Même les quelques scènes de nudité, quand Ling-Ling et Kaa-Nhon ou les courtisanes se baignent, sont illustrées avec pudeur et poésie. Chapeau!
Ce qui m'a le plus agacé :
- certains éléments des scénarii qui misent un peu trop sur le hasard. Ainsi, l'enchaînement des rencontres de Ling-Ling, dans le premier tome (un recruteur de jeunes filles, puis une jeune fille voulant être recrutée!!?), ou le fait que Kaa-Nhon se retrouve seule dans les cuisines du Palais impérial et que Ling-Ling se retrouve seule au gynécée JUSTEMENT au moment où toutes deux avaient chacune une importante mission à y réaliser est, à mon sens, un peu trop arrangé avec le gars des vues! Ça mine grandement au réalisme!!
- la représentation du Palais impérial, dans le haut de la p.10 (tome #1). Je ne m'y connais pas du tout en Chine médiévale, mais j'ai peine à croire que le Palais de l'Empereur se trouvait dans une zone aussi peu densément peuplée, et si près de quartiers populaires miteux!? Peut-être était-ce le cas (auquel cas, je m'en excuse à l'illustrateur, qui a probablement fait des recherches iconographiques et historiques plus poussées que les miennes!), mais ça me semble étrange... Je suis sceptique, quoi!... :^S
- l'âge prétendu de l'héroïne. On nous apprend que Ling-Ling a 17 ans. Pourtant, il me semble qu'elle ne fait pas cet âge! Souvent, j'avais l'impression d'être en présence d'une gamine de 12 ou 13 ans!! C'est vrai que le propre de l'adolescence, c'est d'osciller encore entre l'enfance et l'âge adulte, mais il y a tout de même des limites!? :^S
- quelques passages à la lisibilité douteuse. D'abord, le combat ultime, aux p.42 et 43 du premier tome. Afin d'en bien comprendre le déroulement, on doit fournir de bons efforts d'imagination, question de combler les manques et d'assembler le tout. De même, je lève mon chapeau à ceux qui comprennent du premier coup ce qui se passe au bas de la p.13 du tome #2. Pour ma part, j'ai dû lire et relire ce passage au moins 4 fois, en observant bien chaque vignette presque à la loupe, pour en venir à une interprétation satisfaisante... Il me semble que c'est symptomatique d'un problème de mise en pages, non?
- les petites erreurs de perspective qu'on retrouve un peu partout dans les beaux paysages. La première vignette de l'album #2 en est un bel exemple, de même que la double couverture du premier album! C'est un peu dommage car, sans cela, ce serait divin! :^S
- d'autres petites maladresses graphiques. D'abord, certaines irrégularités dans les faciès, qui ne sont pas toujours constants pour un même personnage. Parfois, j'avais de la difficulté à reconnaître un personnage en gros plan : c'est dire à quel point je me fiais souvent plus aux vêtements plutôt qu'aux traits pour les identifier!! C'est notamment le cas pour les trois sbires qui suivent Lah-Vi, dans le tome #2. Leurs visages, sur la quatrième de couverture et à différents moments de l'album, sont trop différents à mon goût. :^( De même, la séquence des p.17 et suivantes (t. #2) ramène Ling-Ling chez son maître, comme au tout début du tome #1... Mais on n'y retrouve aucunement la finesse, dans les traits des décors et des visages, qui m'avait tant charmé, au début de ma lecture!! Monsieur N'Guessan se serait-il un peu assis sur ses lauriers ou aurait-il manqué de temps pour tout fignoler?? Dans un cas comme dans l'autre, c'est bien dommage :^(
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